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— Mais j’ai accompli pour de justes causes des actes injustes, et de cela je me repens.

Précédé du maître-bourreau, il gravit la rampe de pierre par laquelle on accédait à la plate-forme et, avec cette autorité qu’il avait toujours eue, il demanda en désignant les potences :

— Laquelle ?

Comme du haut d’une estrade, il jeta un dernier regard sur la multitude hurlante. Il refusa d’avoir les mains liées.

— Qu’on ne me maintienne point.

Il releva lui-même ses cheveux, et avança sa tête de taureau dans le nœud coulant qu’on lui présentait. Il prit un grand souffle, pour garder le plus longtemps possible la vie dans ses poumons, serra les poings ; la corde, par six bras tirée, l’éleva à deux toises du sol.

La foule, qui pourtant n’attendait que cela, poussa une immense clameur d’étonnement. Durant plusieurs minutes elle vit Marigny se tordre, les yeux exorbités, la face devenant bleue, puis violette, la langue sortie, et les bras et les jambes s’agitant comme pour grimper le long d’un mât invisible. Enfin les bras retombèrent, les convulsions diminuèrent d’amplitude, s’arrêtèrent, et les yeux n’eurent plus de regard.

Et la foule, toujours surprenante parce que toujours surprise, se tut.

Valois avait ordonné que le condamné restât entièrement habillé afin de demeurer mieux reconnaissable. Les bourreaux descendirent le corps, le tirèrent par les pieds à travers la plate-forme ; puis dressant leurs échelles sur le devant du gibet, du côté de Paris, ils suspendirent aux chaînes, pour l’y laisser pourrir entre les charognes de malfaiteurs inconnus, l’un des plus grands ministres que la France ait jamais eus.

VII

LA STATUE ABATTUE

Dans l’obscurité de Montfaucon où les chaînes grinçaient, des voleurs, la nuit suivante, dépendirent le mort illustre pour le dépouiller ; au matin, on trouva le corps de Marigny couché nu sur la pierre.

Monseigneur de Valois, qui était encore au lit quand on l’en vint avertir, commanda de rhabiller le cadavre et de le rependre. Puis lui-même se vêtit et, bien vivant, mieux vivant que jamais, tout gonflé de sa force intacte, il partit se mêler au mouvement de la ville, au trafic des hommes, à la puissance des rois.

En compagnie du chanoine de Mornay, son ancien chancelier, qu’il avait fait nommer garde des Sceaux de France, il gagna le palais de la Cité.

Dans la Galerie mercière, marchands et badauds observaient quatre ouvriers maçons, perchés sur un échafaudage, et qui descellaient la grande statue d’Enguerrand de Marigny. Elle tenait à la muraille, non seulement par le socle, mais par le dos. Les pics et les burins frappaient la pierre qui volait en éclats blancs.

Une fenêtre intérieure, qui donnait vue sur l’ensemble de la Galerie, s’ouvrit ; Valois et le chancelier apparurent à la balustrade. Les badauds, apercevant leurs nouveaux maîtres, ôtèrent leurs bonnets.

— Continuez, bonnes gens, continuez à regarder ; c’est bon travail que l’on fait là, lança Valois en adressant à la petite foule un geste engageant.

Puis, se tournant vers Mornay, il lui demanda :

— Avez-vous achevé l’inventaire des biens de Marigny ?

— J’ai achevé, Monseigneur, et le compte en est assez gras.

— Je n’en doute point, dit Valois. Ainsi le roi va se trouver en fonds pour récompenser ceux qui l’ont servi en cette affaire, dit Valois. Tout d’abord j’exige retour de ma terre de Gaillefontaine que le coquin m’avait prise par duperie dans un mauvais échange. Cela n’est point récompense ; c’est justice. D’autre part, il conviendrait que mon fils Philippe disposât enfin d’un hôtel en propre et qu’il eût son train personnel. Marigny possédait deux maisons, celle des Fossés-Saint-Germain et celle de la rue d’Autriche. J’incline pour la seconde… Je sais aussi que le roi veut faire quelque libéralité à Henriet de Meudon, son veneur, qui lui ouvre ses paniers à colombes ; notez donc ce désir. Ah ! Surtout n’oubliez pas que Monseigneur d’Artois attend depuis cinq ans les revenus de son comté de Beaumont. C’est l’occasion de lui en remettre une part. Le roi a de grandes dettes envers notre cousin d’Artois.

— Le roi va devoir aussi, dit le chancelier, offrir à sa nouvelle épouse les présents d’usage, et il semble décidé, dans l’amour qu’il a, aux plus grandes largesses. Or sa cassette n’est guère en état d’y subvenir. Ne pourrait-on prendre sur les biens de Marigny les faveurs qui seront attribuées à notre nouvelle reine ?

— C’est sagement pensé, Mornay. Préparez un partage en ce sens, où vous placerez ma nièce de Hongrie en tête des bénéficiaires ; le roi ne pourra qu’y souscrire.

Valois, tout en parlant, continuait de regarder le travail des maçons.

— Bien sûr, Monseigneur, reprit le chancelier, je me garderai de rien demander pour moi-même…

— Et en cela, vous agirez bien, Mornay, car de méchants esprits auraient beau jeu de dire qu’en poursuivant Marigny, vous ne cherchiez que votre profit. Faites donc grossir un peu ma part, afin que je vous puisse gratifier à proportion de vos mérites… Ah ! Elle a bougé ! ajouta Valois en pointant le doigt vers la statue.

La grande effigie de Marigny était maintenant complètement décollée du mur ; on l’entourait de cordes. Valois posa sa main baguée sur le bras du chancelier.

— L’homme en vérité est créature étrange, dit-il. Savez-vous que soudain j’éprouve comme un vide de l’âme ? J’avais si fort accoutumé de haïr ce méchant qu’il me semble à présent qu’il va me manquer…

À l’intérieur du Palais, Louis X, dans le même moment, achevait de se faire raser. Auprès de lui se trouvait dame Eudeline, rose et fraîche, tenant par la main une enfant de dix ans, blonde, un peu maigre, intimidée, et qui ne savait pas que ce roi, dont on séchait le menton à l’aide de toiles chaudes, était son père.

La première lingère du Palais attendait, émue, pleine d’espoir, d’apprendre la raison pour laquelle Louis les avait mandées, elle et sa fille.

Le barbier sortit, emportant bassin, rasoirs et onguents.

Le roi de France se leva, secoua ses longs cheveux autour de son col et dit :

— Mon peuple est content, n’est-il pas vrai, Eudeline, que j’aie fait pendre Marigny ?

— Certes, Monseigneur Louis… Sire, je veux dire. Chacun se plaît à croire que les temps du malheur sont finis…

— C’est bien, c’est bien. Je veux qu’il en soit ainsi.

Louis X traversa la chambre, se pencha sur un miroir, étudia son visage quelques instants, se retourna.

— Je t’avais promis d’assurer l’établissement de cette enfant… Elle s’appelle Eudeline, comme toi…

Des larmes d’émotion vinrent aux yeux de la lingère ; et elle pressa légèrement l’épaule de sa fille. Eudeline la petite s’agenouilla pour entendre de la bouche souveraine, l’annonce des bienfaits.

— Sire, cette enfant vous bénira jusqu’à son dernier jour en ses prières…

— C’est justement ce que j’ai décidé, répondit le Hutin. Qu’elle prie. Elle entrera en religion, au couvent de Saint-Marcel qui est réservé aux filles nobles, et où elle sera mieux que nulle part.

La stupeur parut sur les traits d’Eudeline la mère.

— Est-ce donc cela, Sire, que vous voulez pour elle ? La cloîtrer ?

— Eh quoi ? N’est-ce pas un bon établissement ? dit Louis. Et puis il faut que cela soit ; elle ne saurait rester dans le monde. Et je trouve bon pour notre salut et pour le sien qu’elle rachète par une vie de piété la faute que nous avons commise en sa naissance. Quant à toi…