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— Monseigneur Louis, m’enfermerez-vous aussi au cloître ? demanda Eudeline avec effroi.

Comme le Hutin avait changé, en peu de temps ! Elle ne retrouvait plus rien, en ce roi qui dictait ses ordres d’un ton sans réplique, ni de l’adolescent inquiet auquel elle avait appris l’amour, ni du pauvre prince, grelottant d’angoisse, d’impuissance et de froid, qu’elle avait encore réchauffé dans ses bras un soir de l’hiver passé. Les yeux seuls gardaient leur expression fuyante.

— Pour toi, dit-il, je vais te donner charge de surveiller à Vincennes le meuble et le linge, pour que tout soit prêt chaque fois que j’y viendrai.

Eudeline hocha la tête. Cet éloignement du Palais, cet envoi dans une résidence secondaire, elle les ressentait comme une offense. N’était-on pas satisfait de la façon dont elle tenait son office ? En un sens, elle eût mieux accepté le couvent ; son orgueil eût été moins blessé.

— Je suis votre servante et vous obéirai, répondit-elle froidement.

Elle invita Eudeline la petite à se relever et lui reprit la main.

Au moment de franchir la porte, elle aperçut le portrait de Clémence de Hongrie posé sur une crédence, et demanda :

— C’est elle ?

— C’est la prochaine reine de France, répondit Louis X non sans hauteur.

— Soyez donc heureux, Sire, dit Eudeline en sortant.

Elle avait cessé de l’aimer.

« Certes, certes, je vais être heureux », se répétait Louis, marchant à travers la chambre où le soleil entrait à grands rayons.

Pour la première fois depuis son avènement, il se sentait pleinement satisfait et sûr de soi. Il s’était délivré de son épouse infidèle, délivré du trop puissant ministre de son père ; il éloignait du Palais sa première maîtresse et envoyait sa fille naturelle au couvent.[17]

Tous les chemins nettoyés, il pouvait maintenant accueillir la belle princesse napolitaine, et se voyait déjà vivre auprès d’elle un long règne de gloire.

Il sonna le chambellan de service.

— J’ai fait mander messire de Bouville. Est-il arrivé ?

— Oui, Sire ; il attend vos ordres.

À ce moment les murs du Palais vibrèrent sous un choc sourd.

— Qu’est ceci ? demanda le roi.

— La statue, je pense, Sire, qui vient de tomber.

— C’est bien… Dites à Bouville d’entrer.

Et il se disposa à recevoir l’ancien grand chambellan.

Dans la Galerie mercière, la statue d’Enguerrand gisait sur le pavement. Les cordes avaient glissé un peu vite, et les vingt quintaux de pierre avaient brutalement heurté le sol. Les pieds étaient rompus.

Au premier rang des badauds, Spinello Tolomei et son neveu Guccio Baglioni contemplaient le colosse abattu.

— J’aurai vu cela, j’aurai vu cela… murmurait le capitaine des Lombards.

Il n’affichait pas, comme Monseigneur de Valois du haut de la fenêtre à balustrade, un triomphe ostentatoire ; mais sa joie non plus ne se teintait pas de mélancolie. Il éprouvait une bonne satisfaction bien simple et sans mélange. Tant de fois, sous le gouvernement de Marigny, les banquiers italiens avaient tremblé pour leurs biens et même pour leur peau ! Messer Tolomei, un œil ouvert, l’autre fermé, respirait l’air de la délivrance.

— Cet homme-là vraiment n’était pas notre ami, dit-il. Les barons se font gloire de sa chute ; mais nous avons pris bonne part à ce travail. Et toi-même, Guccio, tu m’y as bien aidé. Je tiens à t’en récompenser, et à t’associer mieux à nos affaires. As-tu quelque souhait ?

Ils s’étaient mis à marcher entre les éventaires des merciers. Guccio abaissa son nez mince et ses cils noirs.

— Oncle Spinello, je voudrais gérer le comptoir de Neauphle.

— Eh quoi ! s’écria Tolomei tout surpris. Est-ce là ton ambition ? Un comptoir de campagne, qui fonctionne avec trois commis bien suffisants pour leur tâche ? Tu as de petits rêves !

— J’aime assez ce comptoir, dit Guccio, et je suis sûr qu’on pourrait fort l’agrandir.

— Et je suis bien sûr, moi, répondit Tolomei, que c’est l’amour plutôt que la banque qui t’attire de ce côté… La demoiselle de Cressay, n’est-ce pas ? J’ai vu les comptes. Non seulement ces gens-là sont nos débiteurs, mais en plus nous les nourrissons.

Guccio regarda Tolomei et vit qu’il souriait.

— Elle est belle comme aucune, mon oncle, et de bonne noblesse.

— Ah ! soupira le banquier en élevant les mains. Une fille de noblesse ! Tu vas te mettre dans de gros ennuis. La noblesse, tu sais, est toujours prête à nous prendre de l’argent, mais guère à laisser son sang se mêler au nôtre. La famille est-elle d’accord ?

— Elle le sera, mon oncle, je suis certain qu’elle le sera. Les frères me traitent comme un des leurs.

Traînée par deux chevaux de trait, la statue de Marigny sortait de la Galerie mercière. Les maçons enroulaient leurs cordes et la foule se dispersait.

— Marie m’aime autant que je l’aime, reprit Guccio, et vouloir nous faire vivre l’un sans l’autre, c’est vouloir nous faire mourir ! Avec les gains nouveaux que je tirerai de Neauphle, je pourrai réparer le manoir, qui est beau, je vous assure, mais qui mérite un peu de travail, et vous viendrez vivre dans un château, mon oncle, comme un vrai seigneur.

— Moi, tu sais, je n’aime pas la campagne, dit Tolomei. S’il m’arrive une fois l’an d’avoir affaire à Grenelle ou à Vaugirard, je m’y sens au bout du monde et vieux de cent ans… J’avais rêvé pour toi une autre alliance, avec une fille de nos cousins Bardi…

Il s’interrompit un instant.

— Mais c’est mal aimer ceux qu’on aime que de vouloir faire leur bonheur malgré eux. Va, mon garçon, va t’occuper de Neauphle. Et marie-toi comme il te plaît. Les Siennois sont des hommes libres, et l’on doit choisir son épouse selon son cœur. Mais amène ta belle à Paris le plus tôt que tu pourras. Elle sera bien accueillie sous mon toit.

— Merci, oncle Spinello ! dit Guccio en se jetant à son cou.

Le comte de Bouville, sortant de chez le roi, traversait alors la Galerie mercière. Le gros homme avançait de ce pas ferme qu’il prenait lorsque le souverain lui avait fait l’honneur de lui donner un ordre.

— Ah ! Ami Guccio ! s’écria-t-il en apercevant les deux Italiens. C’est chance que de vous rencontrer ici. J’allais dépêcher un écuyer à vous quérir.

— Que puis-je pour vous servir, messire Hugues ? dit le jeune homme. Mon oncle et moi sommes tout à vous.

Bouville souriait à Guccio avec une réelle expression d’amitié.

— Je vous apprends une bonne nouvelle ; oui, une très bonne nouvelle. J’ai dit au roi vos mérites et combien vous m’étiez utile…

Le jeune homme s’inclina, en signe de remerciement.

— Alors, ami Guccio, nous repartons pour Naples.

FIN

RÉPERTOIRE

BIOGRAPHIQUE

Les souverains apparaissent dans ce répertoire au nom sous lequel ils ont régné ; les autres personnages à leur nom de famille ou de fief principal. Nous n’avons pas fait mention de certains personnages épisodiques, lorsque les documents historiques ne conservent de leur existence d’autre trace que l’action précise pour laquelle ils figurent dans notre récit.

Alençon (Charles de Valois, comte d’) (1294-1346). Second fils de Charles de Valois et de Marguerite d’Anjou-Sicile. Tué à Crécy.

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17

Cette Eudeline, fille naturelle de Louis X, et religieuse au couvent des clarisses du faubourg Saint-Marcel de Paris, devait être autorisée, par une bulle du pape Jean XXII du 10 août 1330, à devenir, en dépit de sa naissance illégitime, abbesse de Saint-Marcel ou de tout autre monastère de clarisses.