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– Tâchez de vous soutenir tandis que je vais ouvrir la porte, dit la reine. La Mole appuya sa main à terre, et parvint à garder l’équilibre.

Marguerite fit un pas vers la porte; mais elle s’arrêta tout à coup, frémissant d’effroi.

– Ah! tu n’es pas seule? s’écria-t-elle en entendant un bruit d’armes.

– Non, je suis accompagnée de douze gardes que m’a laissés mon beau frère M. de Guise.

– M. de Guise! murmura La Mole. Oh! l’assassin! l’assassin!

– Silence, dit Marguerite, pas un mot.

Et elle regarda tout autour d’elle pour voir où elle pourrait cacher le blessé.

– Une épée, un poignard! murmura La Mole.

– Pour vous défendre? inutile; n’avez-vous pas entendu? ils sont douze et vous êtes seul.

– Non pas pour me défendre, mais pour ne pas tomber vivant entre leurs mains.

– Non, non, dit Marguerite, non, je vous sauverai. Ah! ce cabinet! venez, venez.

La Mole fit un effort, et soutenu par Marguerite il se traîna jusqu’au cabinet. Marguerite referma la porte derrière lui, et serrant la clef dans son aumônière:

– Pas un cri, pas une plainte, pas un soupir, lui glissa-t-elle à travers le lambris, et vous êtes sauvé.

Puis jetant un manteau de nuit sur ses épaules, elle alla ouvrir à son amie qui se précipita dans ses bras.

– Ah! dit-elle, il ne vous est rien arrivé, n’est-ce pas, madame?

– Non, rien, dit Marguerite, croisant son manteau pour qu’on ne vît point les taches de sang qui maculaient son peignoir.

– Tant mieux, mais en tout cas, comme M. le duc de Guise m’a donné douze gardes pour me reconduire à son hôtel, et que je n’ai pas besoin d’un si grand cortège, j’en laisse six à Votre Majesté. Six gardes du duc de Guise valent mieux cette nuit qu’un régiment entier des gardes du roi.

Marguerite n’osa pas refuser; elle installa ses six gardes dans le corridor, et embrassa la duchesse qui, avec les six autres, regagna l’hôtel du duc de Guise, qu’elle habitait en l’absence de son mari.

IX Les massacreurs

Coconnas n’avait pas fui, il avait fait retraite. La Hurière n’avait pas fui, il s’était précipité. L’un avait disparu à la manière du tigre, l’autre à celle du loup.

Il en résulta que La Hurière se trouvait déjà sur la place Saint-Germain l’Auxerrois, que Coconnas ne faisait encore que sortir du Louvre.

La Hurière, se voyant seul avec son arquebuse au milieu des passants qui couraient, des balles qui sifflaient et des cadavres qui tombaient des fenêtres, les uns entiers, les autres par morceaux, commença à avoir peur et à chercher prudemment à regagner son hôtellerie; mais comme il débouchait de la rue de l’Arbre-Sec par la rue d’Averon, il tomba dans une troupe de Suisses et de chevau-légers: c’était celle que commandait Maurevel.

– Eh bien, s’écria celui qui s’était baptisé lui-même du nom de Tueur de roi, vous avez déjà fini? Vous rentrez, mon hôte? et que diable avez-vous fait de notre gentilhomme piémontais? il ne lui est pas arrivé malheur? Ce serait dommage, car il allait bien.

– Non pas, que je pense, reprit La Hurière, et j’espère qu’il va nous rejoindre.

– D’où venez-vous?

– Du Louvre, où je dois dire qu’on nous a reçus assez rudement.

– Et qui cela?

– M. le duc d’Alençon. Est-ce qu’il n’en est pas, lui?

– Monseigneur le duc d’Alençon n’est de rien que de ce qui le touche personnellement; proposez-lui de traiter ses deux frères aînés en huguenots, et il en sera: pourvu toutefois que la besogne se fasse sans le compromettre. Mais n’allez-vous point avec ces braves gens, maître La Hurière?

– Et où vont-ils?

– Oh! mon Dieu! rue Montorgueil; il y a là un ministre huguenot de ma connaissance; il a une femme et six enfants. Ces hérétiques engendrent énormément. Ce sera curieux.

– Et vous, où allez-vous?

– Oh! moi, je vais à une affaire particulière.

– Dites donc, n’y allez pas sans moi, dit une voix qui fit tressaillir Maurevel; vous connaissez les bons endroits et je veux en être.

– Ah! c’est notre Piémontais, dit Maurevel.

– C’est M. de Coconnas, dit La Hurière. Je croyais que vous me suiviez.

– Peste! vous détalez trop vite pour cela; et puis, je me suis un peu détourné de la ligne droite pour aller jeter à la rivière un affreux enfant qui criait: «À bas les papistes, vive l’amiral!» Malheureusement, je crois que le drôle savait nager. Ces misérables parpaillots, si on veut les noyer, il faudra les jeter à l’eau comme les chats, avant qu’ils voient clair.

– Ah çà! vous dites que vous venez du Louvre? Votre huguenot s’y était donc réfugié? demanda Maurevel.

– Oh! mon Dieu, oui!

– Je lui ai envoyé un coup de pistolet au moment où il ramassait son épée dans la cour de l’amiral; mais je ne sais comment cela s’est fait, je l’ai manqué.

– Oh! moi, dit Coconnas, je ne l’ai pas manqué; je lui ai donné de mon épée dans le dos, que la lame en était humide à cinq pouces de la pointe. D’ailleurs, je l’ai vu tomber dans les bras de Marguerite, jolie femme, mordi! Cependant, j’avoue que je ne serais pas fâché d’être tout à fait sûr qu’il est mort. Ce gaillard-là m’avait l’air d’être d’un caractère fort rancunier, et il serait capable de m’en vouloir toute sa vie. Mais ne disiez-vous pas que vous alliez quelque part?

– Vous tenez donc à venir avec moi?

– Je tiens à ne pas rester en place, mordi! Je n’en ai encore tué que trois ou quatre, et, quand je me refroidis, mon épaule me fait mal. En route! en route!

– Capitaine! dit Maurevel au chef de la troupe, donnez-moi trois hommes et allez expédier votre ministre avec le reste.

Trois Suisses se détachèrent et vinrent se joindre à Maurevel. Les deux troupes cependant marchèrent côte à côte jusqu’à la hauteur de la rue Tirechappe; là, les chevau-légers et les Suisses prirent la rue de la Tonnellerie, tandis que Maurevel, Coconnas, La Hurière et ses trois hommes suivaient la rue de la Ferronnerie, prenaient la rue Trousse-Vache et gagnaient la rue Sainte-Avoye.

– Mais où diable nous conduisez-vous? dit Coconnas, que cette longue marche sans résultat commençait à ennuyer.

– Je vous conduis à une expédition brillante et utile à la fois. Après l’amiral, après Téligny, après les princes huguenots, je ne pouvais rien vous offrir de mieux. Prenez donc patience. C’est rue du Chaume que nous avons affaire, et dans un instant nous allons y être.

– Dites-moi, demanda Coconnas, la rue du Chaume n’est-elle pas proche du Temple?

– Oui, pourquoi?

– Ah! c’est qu’il y a là un vieux créancier de notre famille, un certain Lambert Mercandon, auquel mon père m’a recommandé de rendre cent nobles à la rose que j’ai là à cet effet dans ma poche.

– Eh bien, dit Maurevel, voilà une belle occasion de vous acquitter envers lui.

– Comment cela?