Выбрать главу

– Et qui me les donnera, ces recommandations?

– Moi.

– Quand cela?

– Aussitôt que je vais avoir terminé ce que j’ai à dire à Sa Majesté le roi de Navarre.

Charlotte ouvrit de grands yeux, ne comprenant rien à cette espèce de langue mystérieuse qui se parlait auprès d’elle, et elle resta tenant le pot d’opiat d’une main, et regardant l’extrémité de son doigt rougie par la pâte carminée.

Henri se leva, et mû par une pensée qui, comme toutes celles du jeune roi, avait deux côtés, l’un qui paraissait superficiel et l’autre qui était profond, il alla prendre la main de Charlotte, et fit, toute rougie qu’elle était, un mouvement pour la porter à ses lèvres.

– Un instant, dit vivement René, un instant! Veuillez, madame, laver vos belles mains avec ce savon de Naples que j’avais oublié de vous envoyer en même temps que l’opiat, et que j’ai eu l’honneur de vous apporter moi-même.

Et tirant de son enveloppe d’argent une tablette de savon de couleur verdâtre, il la mit dans un bassin de vermeil, y versa de l’eau, et, un genou en terre, présenta le tout à madame de Sauve.

– Mais, en vérité, maître René, je ne vous reconnais plus, dit Henri; vous êtes d’une galanterie à laisser loin de vous tous les muguets de la cour.

– Oh! quel délicieux arôme! s’écria Charlotte en frottant ses belles mains avec de la mousse nacrée qui se dégageait de la tablette embaumée.

René accomplit ses fonctions de cavalier servant jusqu’au bout; il présenta une serviette de fine toile de Frise à madame de Sauve, qui essuya ses mains.

– Et maintenant, dit le Florentin à Henri, faites à votre plaisir, Monseigneur.

Charlotte présenta sa main à Henri, qui la baisa, et tandis que Charlotte se tournait à demi sur son siège pour écouter ce que René allait dire, le roi de Navarre alla reprendre sa place, plus convaincu que jamais qu’il se passait dans l’esprit du parfumeur quelque chose d’extraordinaire.

– Eh bien? demanda Charlotte.

Le Florentin parut rassembler toute sa résolution et se tourna vers Henri.

XXII Sire, vous serez roi

– Sire, dit René à Henri, je viens vous parler d’une chose dont je m’occupe depuis longtemps.

– De parfums? dit Henri en souriant.

– Eh bien, oui, Sire… de parfums! répondit René avec un singulier signe d’acquiescement.

– Parlez, je vous écoute, c’est un sujet qui de tout temps m’a fort intéressé.

René regarda Henri pour essayer de lire, malgré ses paroles, dans cette impénétrable pensée; mais voyant que c’était chose parfaitement inutile, il continua:

– Un de mes amis, Sire, arrive de Florence; cet ami s’occupe beaucoup d’astrologie.

– Oui, interrompit Henri, je sais que c’est une passion florentine.

– Il a, en compagnie des premiers savants du monde, tiré les horoscopes des principaux gentilshommes de l’Europe.

– Ah! ah! fit Henri.

– Et comme la maison de Bourbon est en tête des plus hautes, descendant comme elle le fait du comte de Clermont, cinquième fils de saint Louis, Votre Majesté doit penser que le sien n’a pas été oublié.

Henri écouta plus attentivement encore.

– Et vous vous souvenez de cet horoscope? dit le roi de Navarre avec un sourire qu’il essaya de rendre indifférent.

– Oh! reprit René en secouant la tête, votre horoscope n’est pas de ceux qu’on oublie.

– En vérité! dit Henri avec un geste ironique.

– Oui, Sire, Votre Majesté, selon les termes de cet horoscope, est appelée aux plus brillantes destinées.

L’œil du jeune prince lança un éclair involontaire qui s’éteignit presque aussitôt dans un nuage d’indifférence.

– Tous ces oracles italiens sont flatteurs, dit Henri; or, qui dit flatteur dit menteur. N’y en a-t-il pas qui m’ont prédit que je commanderais des armées, moi?

Et il éclata de rire. Mais un observateur moins occupé de lui-même que ne l’était René eût vu et reconnu l’effort de ce rire.

– Sire, dit froidement René, l’horoscope annonce mieux que cela.

– Annonce-t-il qu’à la tête d’une de ces armées je gagnerai des batailles?

– Mieux que cela, Sire.

– Allons, dit Henri, vous verrez que je serai conquérant.

– Sire, vous serez roi.

– Eh! ventre-saint-gris! dit Henri en réprimant un violent battement de cœur, ne le suis-je point déjà?

– Sire, mon ami sait ce qu’il promet; non seulement vous serez roi, mais vous régnerez.

– Alors, dit Henri avec son même ton railleur, votre ami a besoin de dix écus d’or, n’est-ce pas, René? car une pareille prophétie est bien ambitieuse, par le temps qui court surtout. Allons, René, comme je ne suis pas riche, j’en donnerai à votre ami cinq tout de suite, et cinq autres quand la prophétie sera réalisée.

– Sire, dit madame de Sauve, n’oubliez pas que vous êtes déjà engagé avec Dariole, et ne vous surchargez pas de promesses.

– Madame, dit Henri, ce moment venu, j’espère que l’on me traitera en roi, et que chacun sera fort satisfait si je tiens la moitié de ce que j’ai promis.

– Sire, reprit René, je continue.

– Oh! ce n’est donc pas tout? dit Henri, soit: si je suis empereur, je donne le double.

– Sire, mon ami revient donc de Florence avec cet horoscope qu’il renouvela à Paris, et qui donna toujours le même résultat, et il me confia un secret.

– Un secret qui intéresse Sa Majesté? demanda vivement Charlotte.

– Je le crois, dit le Florentin.

«Il cherche ses mots, pensa Henri, sans aider en rien René; il paraît que la chose est difficile à dire.»

– Alors, parlez, reprit la baronne de Sauve, de quoi s’agit-il?

– Il s’agit, dit le Florentin en pesant une à une toutes ses paroles, il s’agit de tous ces bruits d’empoisonnement qui ont couru depuis quelque temps à la cour.

Un léger gonflement de narines du roi de Navarre fut le seul indice de son attention croissante à ce détour subit que faisait la conversation.

– Et votre ami le Florentin, dit Henri, sait des nouvelles de ces empoisonnements?

– Oui, Sire.

– Comment me confiez-vous un secret qui n’est pas le vôtre, René, surtout quand ce secret est si important? dit Henri du ton le plus naturel qu’il put prendre.

– Cet ami a un conseil à demander à Votre Majesté.

– À moi?

– Qu’y a-t-il d’étonnant à cela, Sire? Rappelez-vous le vieux soldat d’Actium, qui, ayant un procès, demandait un conseil à Auguste.

– Auguste était avocat, René, et je ne le suis pas.

– Sire, quand mon ami me confia ce secret, Votre Majesté appartenait encore au parti calviniste, dont vous étiez le premier chef, et M. de Condé le second.

– Après? dit Henri.

– Cet ami espérait que vous useriez de votre influence toute puissante sur M. le prince de Condé pour le prier de ne pas lui être hostile.