Выбрать главу

– de Mouy, lui dit-il, ce n’est pas certainement sans un motif bien puissant que vous êtes venu ainsi vous jeter dans la gueule du loup?

– Non, Sire. Aussi voilà huit jours que je vous guette. Hier seulement, j’ai appris que Votre Majesté devait essayer ce cheval ce matin et j’ai pris poste à la porte du Louvre.

– Mais comment sous ce costume?

– Le capitaine de la compagnie est protestant et de mes amis.

– Voici votre mousquet, remettez-vous à votre faction. On nous examine. En repassant, je tâcherai de vous dire un mot; mais si je ne vous parle point, ne m’arrêtez point. Adieu.

de Mouy reprit sa marche mesurée, et Henri s’avança vers le cheval.

– Qu’est-ce que ce joli petit animal? demanda le duc d’Alençon de sa fenêtre.

– Un cheval que je devais essayer ce matin, répondit Henri.

– Mais ce n’est point un cheval d’homme, cela.

– Aussi était-il destiné à une belle dame.

– Prenez garde, Henri, vous allez être indiscret, car nous allons voir cette belle dame à la chasse; et si je ne sais pas de qui vous êtes le chevalier, je saurai au moins de qui vous êtes l’écuyer.

– Eh! mon Dieu non, vous ne le saurez pas, dit Henri avec sa feinte bonhomie, car cette belle dame ne pourra sortir, étant fort indisposée ce matin.

Et il se mit en selle.

– Ah bah! dit d’Alençon en riant, pauvre madame de Sauve!

– François! François! c’est vous qui êtes indiscret.

– Et qu’a-t-elle donc cette belle Charlotte? reprit le duc d’Alençon.

– Mais, continua Henri en lançant son cheval au petit galop et en lui faisant décrire un cercle de manège, mais je ne sais trop: une grande lourdeur de tête, à ce que m’a dit Dariole, une espèce d’engourdissement par tout le corps, une faiblesse générale enfin.

– Et cela vous empêchera-t-il d’être des nôtres? demanda le duc.

– Moi, et pourquoi? reprit Henri, vous savez que je suis fou de la chasse à courre, et que rien n’aurait cette influence de m’en faire manquer une.

– Vous manquerez pourtant celle-ci, Henri, dit le duc après s’être retourné et avoir causé un instant avec une personne qui était demeurée invisible aux yeux de Henri, attendu qu’elle causait avec son interlocuteur du fond de la chambre, car voici Sa Majesté qui me fait dire que la chasse ne peut avoir lieu.

– Bah! dit Henri de l’air le plus désappointé du monde. Pourquoi cela?

– Des lettres fort importantes de M. de Nevers, à ce qu’il paraît. Il y a conseil entre le roi, la reine mère et mon frère le duc d’Anjou.

– Ah! ah! fit en lui-même Henri, serait-il arrivé des nouvelles de Pologne? Puis tout haut:

– En ce cas, continua-t-il, il est inutile que je me risque plus longtemps sur ce verglas. Au revoir, mon frère! Puis arrêtant le cheval en face de de Mouy:

– Mon ami, dit-il, appelle un de tes camarades pour finir ta faction. Aide le palefrenier à dessangler ce cheval, mets la selle sur ta tête et porte-la chez l’orfèvre de la sellerie; il y a une broderie à y faire qu’il n’avait pas eu le temps d’achever pour aujourd’hui. Tu reviendras me rendre réponse chez moi.

de Mouy se hâta d’obéir, car le duc d’Alençon avait disparu de sa fenêtre, et il est évident qu’il avait conçu quelque soupçon.

En effet, à peine avait-il tourné le guichet que le duc d’Alençon parut. Un véritable Suisse était à la place de de Mouy.

D’Alençon regarda avec grande attention le nouveau factionnaire; puis se retournant du côté de Henri:

– Ce n’est point avec cet homme que vous causiez tout à l’heure, n’est-ce pas, mon frère?

– L’autre est un garçon qui est de ma maison et que j’ai fait entrer dans les Suisses: je lui ai donné une commission et il est allé l’exécuter.

– Ah! fit le duc, comme si cette réponse lui suffisait. Et Marguerite, comment va-t-elle?

– Je vais le lui demander, mon frère.

– Ne l’avez-vous donc point vue depuis hier?

– Non, je me suis présenté chez elle cette nuit vers onze heures, mais Gillonne m’a dit qu’elle était fatiguée et qu’elle dormait.

– Vous ne la trouverez point dans son appartement, elle est sortie.

– Oui, dit Henri, c’est possible; elle devait aller au couvent de l’Annonciade. Il n’y avait pas moyen de pousser la conversation plus loin, Henri paraissant décidé seulement à répondre.

Les deux beaux-frères se quittèrent donc, le duc d’Alençon pour aller aux nouvelles, disait-il, le roi de Navarre pour rentrer chez lui.

Henri y était à peine depuis cinq minutes lorsqu’il entendit frapper.

– Qui est là? demanda-t-il.

– Sire, répondit une voix que Henri reconnut pour celle de de Mouy, c’est la réponse de l’orfèvre de la sellerie.

Henri, visiblement ému, fit entrer le jeune homme, et referma la porte derrière lui.

– C’est vous, de Mouy! dit-il. J’espérais que vous réfléchiriez.

– Sire, répondit de Mouy, il y a trois mois que je réfléchis, c’est assez; maintenant il est temps d’agir. Henri fit un mouvement d’inquiétude.

– Ne craignez rien, Sire, nous sommes seuls et je me hâte, car les moments sont précieux. Votre Majesté peut nous rendre, par un seul mot, tout ce que les événements de l’année ont fait perdre à la religion. Soyons clairs, soyons brefs, soyons francs.

– J’écoute, mon brave de Mouy, répondit Henri voyant qu’il lui était impossible d’éluder l’explication.

– Est-il vrai que Votre Majesté ait abjuré la religion protestante?

– C’est vrai, dit Henri.

– Oui, mais est-ce des lèvres? est-ce du cœur?

– On est toujours reconnaissant à Dieu quand il nous sauve la vie, répondit Henri tournant la question, comme il avait l’habitude de le faire en pareil cas, et Dieu m’a visiblement épargné dans ce cruel danger.

– Sire, reprit de Mouy, avouons une chose.

– Laquelle?

– C’est que votre abjuration n’est point une affaire de conviction, mais de calcul. Vous avez abjuré pour que le roi vous laissât vivre, et non parce que Dieu vous avait conservé la vie.

– Quelle que soit la cause de ma conversion, de Mouy, répondit Henri, je n’en suis pas moins catholique.

– Oui, mais le resterez-vous toujours? à la première occasion de reprendre votre liberté d’existence et de conscience, ne la reprendrez-vous pas? Eh bien! cette occasion, elle se présente: La Rochelle est insurgée, le Roussillon et le Béarn n’attendent qu’un mot pour agir; dans la Guyenne, tout crie à la guerre. Dites-moi seulement que vous êtes un catholique forcé et je vous réponds de l’avenir.

– On ne force pas un gentilhomme de ma naissance, mon cher de Mouy. Ce que j’ai fait, je l’ai fait librement.