– Mais, Sire, Votre Majesté ne pouvait-elle me laisser quelque espérance, sinon par ses paroles, du moins par un geste, par un signe?
– Que vous a dit mon beau-frère, de Mouy? demanda Henri.
– Oh! Sire, ceci n’est point mon secret.
– Eh! mon Dieu, reprit Henri avec une certaine impatience d’avoir affaire à un homme qui comprenait si mal ses paroles, je ne vous demande pas quelles sont les propositions qu’il vous a faites, je vous demande seulement s’il écoutait, s’il a entendu.
– Il écoutait, Sire, et il a entendu.
– Il écoutait, et il a entendu! Vous le dites vous-même, de Mouy. Pauvre conspirateur que vous êtes! si j’avais dit un mot, vous étiez perdu. Car je ne savais point, je me doutais, du moins, qu’il était là, et, sinon lui, quelque autre, le duc d’Anjou, Charles IX, la reine mère; vous ne connaissez pas les murs du Louvre, de Mouy; c’est pour eux qu’a été fait le proverbe que les murs ont des oreilles; et connaissant ces murs-là j’eusse parlé! Allons, allons, de Mouy, vous faites peu d’honneur au bon sens du roi de Navarre, et je m’étonne que, ne le mettant pas plus haut dans votre esprit, vous soyez venu lui offrir une couronne.
– Mais, Sire, reprit encore de Mouy, ne pouviez-vous, tout en refusant cette couronne, me faire un signe? Je n’aurais pas cru tout désespéré, tout perdu.
– Eh ventre-saint-gris! s’écria Henri, s’il écoutait, ne pouvait-il pas aussi bien voir, et n’est-on pas perdu par un signe comme par une parole? Tenez, de Mouy, continua le roi en regardant autour de lui, à cette heure, si près de vous que mes paroles ne franchissent pas le cercle de nos trois chaises, je crains encore d’être entendu quand je dis: de Mouy, répète-moi tes propositions.
– Mais, Sire, s’écria de Mouy au désespoir, maintenant je suis engagé avec M. d’Alençon.
Marguerite frappa l’une contre l’autre et avec dépit ses deux belles mains.
– Alors, il est donc trop tard? dit-elle.
– Au contraire, murmura Henri, comprenez donc qu’en cela même la protection de Dieu est visible. Reste engagé, de Mouy, car ce duc François c’est notre salut à tous. Crois-tu donc que le roi de Navarre garantirait vos têtes? Au contraire, malheureux! Je vous fais tuer tous jusqu’au dernier, et cela sur le moindre soupçon. Mais un fils de France, c’est autre chose; aie des preuves, de Mouy, demande des garanties; mais, niais que tu es, tu te seras engagé de cœur, et une parole t’aura suffi.
– Oh! Sire! c’est le désespoir de votre abandon, croyez-le bien, qui m’a jeté dans les bras du duc; c’est aussi la crainte d’être trahi, car il tenait notre secret.
– Tiens donc le sien à ton tour, de Mouy, cela dépend de toi. Que désire-t-il? Être roi de Navarre? promets-lui la couronne. Que veut-il? Quitter la cour? fournis-lui les moyens de fuir, travaille pour lui, de Mouy, comme si tu travaillais pour moi, dirige le bouclier pour qu’il pare tous les coups qu’on nous portera. Quand il faudra fuir, nous fuirons à deux; quand il faudra combattre et régner, je régnerai seul.
– Défiez-vous du duc, dit Marguerite, c’est un esprit sombre et pénétrant, sans haine comme sans amitié, toujours prêt à traiter ses amis en ennemis et ses ennemis en amis.
– Et, dit Henri, il vous attend, de Mouy?
– Oui, Sire.
– Où cela?
– Dans la chambre de ses deux gentilshommes.
– À quelle heure?
– Jusqu’à minuit.
– Pas encore onze heures, dit Henri; il n’y a point de temps perdu, allez, de Mouy.
– Nous avons votre parole, monsieur? dit Marguerite.
– Allons donc! madame, dit Henri avec cette confiance qu’il savait si bien montrer avec certaines personnes et dans certaines occasions, avec M. de Mouy ces choses-là ne se demandent même point.
– Vous avez raison, Sire, répondit le jeune homme; mais moi j’ai besoin de la vôtre, car il faut que je dise aux chefs que je l’ai reçue. Vous n’êtes point catholique, n’est-ce pas?
Henri haussa les épaules.
– Vous ne renoncez pas à la royauté de Navarre?
– Je ne renonce à aucune royauté, de Mouy; seulement, je me réserve de choisir la meilleure, c’est-à-dire celle qui sera le plus à ma convenance et à la vôtre.
– Et si, en attendant, Votre Majesté était arrêtée, Votre Majesté promet-elle de ne rien révéler, au cas même où l’on violerait par la torture la majesté royale?
– de Mouy, je le jure sur Dieu.
– Un mot, Sire: comment vous reverrai-je?
– Vous aurez, dès demain, une clef de ma chambre; vous y entrerez, de Mouy, autant de fois qu’il sera nécessaire aux heures que vous voudrez. Ce sera au duc d’Alençon de répondre de votre présence au Louvre. En attendant, remontez par le petit escalier, je vous servirai de guide. Pendant ce temps-là la reine fera entrer ici le manteau rouge, pareil au vôtre, qui était tout à l’heure dans l’antichambre. Il ne faut pas qu’on fasse une différence entre les deux et qu’on sache que vous êtes double, n’est-ce pas, de Mouy? n’est-ce pas madame?
Henri prononça ces derniers mots en riant et en regardant Marguerite.
– Oui, dit-elle sans s’émouvoir; car enfin, ce M. de La Mole est au duc mon frère.
– Eh bien, tâchez de nous le gagner, madame, dit Henri avec un sérieux parfait. N’épargnez ni l’or ni les promesses. Je mets tous mes trésors à sa disposition.
– Alors, dit Marguerite avec un de ces sourires qui n’appartiennent qu’aux femmes de Boccace, puisque tel est votre désir, je ferai de mon mieux pour le seconder.
– Bien, bien, madame; et vous, de Mouy? retournez vers le duc et enferrez-le.
XXVI Margarita
Pendant la conversation que nous venons de rapporter, La Mole et Coconnas montaient leur faction; La Mole un peu chagrin, Coconnas un peu inquiet.
C’est que La Mole avait eu le temps de réfléchir et que Coconnas l’y avait merveilleusement aidé.
– Que penses-tu de tout cela, notre ami? avait demandé La Mole à Coconnas.
– Je pense, avait répondu le Piémontais, qu’il y a dans tout cela quelque intrigue de cour.
– Et, le cas échéant, es-tu disposé à jouer un rôle dans cette intrigue?
– Mon cher, répondit Coconnas, écoute bien ce que je te vais dire et tâche d’en faire ton profit. Dans toutes ces menées princières, dans toutes ces machinations royales, nous ne pouvons et surtout nous ne devons passer que comme des ombres: où le roi de Navarre laissera un morceau de sa plume et le duc d’Alençon un pan de son manteau, nous laisserons notre vie, nous. La reine a un caprice pour toi, et toi une fantaisie pour elle, rien de mieux. Perds la tête en amour, mon cher, mais ne la perds pas en politique.
C’était un sage conseil. Aussi fut-il écouté par La Mole avec la tristesse d’un homme qui sent que, placé entre la raison et la folie, c’est la folie qu’il va suivre.