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– Je n’ai point une fantaisie pour la reine, Annibal, je l’aime; et, malheureusement ou heureusement, je l’aime de toute mon âme. C’est de la folie, me diras-tu, je l’admets, je suis fou. Mais toi qui es un sage, Coconnas, tu ne dois pas souffrir de mes sottises et de mon infortune. Va-t’en retrouver notre maître et ne te compromets pas.

Coconnas réfléchit un instant, puis relevant la tête:

– Mon cher, répondit-il, tout ce que tu dis là est parfaitement juste; tu es amoureux, agis en amoureux. Moi je suis ambitieux, et je pense, en cette qualité, que la vie vaut mieux qu’un baiser de femme. Quand je risquerai ma vie, je ferai mes conditions. Toi, de ton côté, pauvre Médor, tâche de faire les tiennes.

Et sur ce, Coconnas tendit la main à La Mole, et partit après avoir échangé avec son compagnon un dernier regard et un dernier sourire.

Il y avait dix minutes à peu près qu’il avait quitté son poste lorsque la porte s’ouvrit et que Marguerite, paraissant avec précaution, vint prendre La Mole par la main, et, sans dire une seule parole, l’attira du corridor au plus profond de son appartement, fermant elle-même les portes avec un soin qui indiquait l’importance de la conférence qui allait avoir lieu.

Arrivée dans la chambre, elle s’arrêta, s’assit sur sa chaise d’ébène, et attirant La Mole à elle en enfermant ses deux mains dans les siennes:

– Maintenant que nous sommes seuls, lui dit-elle, causons sérieusement, mon grand ami.

– Sérieusement, madame? dit La Mole.

– Ou amoureusement, voyons! cela vous va-t-il mieux? il peut y avoir des choses sérieuses dans l’amour, et surtout dans l’amour d’une reine.

– Causons… alors de ces choses sérieuses, mais à la condition que Votre Majesté ne se fâchera pas des choses folles que je vais lui dire.

– Je ne me fâcherai que d’une chose, La Mole, c’est si vous m’appelez madame ou Majesté. Pour vous, très cher, je suis seulement Marguerite.

– Oui, Marguerite! oui, Margarita! oui! ma perle! dit le jeune homme en dévorant la reine de son regard.

– Bien comme cela, dit Marguerite; ainsi vous êtes jaloux, mon beau gentilhomme?

– Oh! à en perdre la raison.

– Encore!…

– À en devenir fou, Marguerite.

– Et jaloux de qui? voyons.

– De tout le monde.

– Mais enfin?

– Du roi d’abord.

– Je croyais qu’après ce que vous aviez vu et entendu, vous pouviez être tranquille de ce côté-là.

– De ce M. de Mouy que j’ai vu ce matin pour la première fois, et que je trouve ce soir si avant dans votre intimité.

– De M. de Mouy?

– Oui.

– Et qui vous donne ces soupçons sur M. de Mouy?

– Écoutez… je l’ai reconnu à sa taille, à la couleur de ses cheveux, à un sentiment naturel de haine; c’est lui qui ce matin était chez M. d’Alençon.

– Eh bien, quel rapport cela a-t-il avec moi?

– M. d’Alençon est votre frère; on dit que vous l’aimez beaucoup; vous lui aurez conté une vague pensée de votre cœur; et lui, selon l’habitude de la cour, il aura favorisé votre désir en introduisant près de vous M. de Mouy. Maintenant, comment ai-je été assez heureux pour que le roi se trouvât là en même temps que lui? c’est ce que je ne puis savoir; mais en tout cas, madame, soyez franche avec moi; à défaut d’un autre sentiment, un amour comme le mien a bien le droit d’exiger la franchise en retour. Voyez, je me prosterne à vos pieds. Si ce que vous avez éprouvé pour moi n’est que le caprice d’un moment, je vous rends votre foi, votre promesse, votre amour, je rends à M. d’Alençon ses bonnes grâces et ma charge de gentilhomme, et je vais me faire tuer au siège de La Rochelle, si toutefois l’amour ne m’a pas tué avant que je puisse arriver jusque-là.

Marguerite écouta en souriant ces paroles pleines de charme, et suivit des yeux cette action pleine de grâces; puis, penchant sa belle tête rêveuse sur sa main brûlante:

– Vous m’aimez? dit-elle.

– Oh! madame! plus que ma vie, plus que mon salut, plus que tout; mais vous, vous… vous ne m’aimez pas.

– Pauvre fou! murmura-t-elle.

– Eh! oui, madame, s’écria La Mole toujours à ses pieds, je vous ai dit que je l’étais.

– La première affaire de votre vie est donc votre amour, cher La Mole!

– C’est la seule, madame, c’est l’unique.

– Eh bien, soit; je ne ferai de tout le reste qu’un accessoire de cet amour. Vous m’aimez, vous voulez demeurer près de moi?

– Ma seule prière à Dieu est qu’il ne m’éloigne jamais de vous.

– Eh bien, vous ne me quitterez pas; j’ai besoin de vous, La Mole.

– Vous avez besoin de moi? le soleil a besoin du ver luisant?

– Si je vous dis que je vous aime, me serez-vous entièrement dévoué?

– Eh! ne le suis-je point déjà, madame, et tout entier?

– Oui; mais vous doutez encore, Dieu me pardonne!

– Oh! j’ai tort, je suis ingrat, ou plutôt, comme je vous l’ai dit et comme vous l’avez répété, je suis un fou. Mais pourquoi M. de Mouy était-il chez vous ce soir? pourquoi l’ai-je vu ce matin chez M. le duc d’Alençon? pourquoi ce manteau cerise, cette plume blanche, cette affectation d’imiter ma tournure?… Ah! madame, ce n’est pas vous que je soupçonne, c’est votre frère.

– Malheureux! dit Marguerite, malheureux qui croit que le duc François pousse la complaisance jusqu’à introduire un soupirant chez sa sœur! Insensé qui se dit jaloux et qui n’a pas deviné! Savez-vous, La Mole, que le duc d’Alençon demain vous tuerait de sa propre épée s’il savait que vous êtes là, ce soir, à mes genoux, et qu’au lieu de vous chasser de cette place, je vous dis: Restez là comme vous êtes, La Mole; car je vous aime, mon beau gentilhomme, entendez-vous? je vous aime! Eh bien, oui, je vous le répète, il vous tuerait!

– Grand Dieu! s’écria La Mole en se renversant en arrière et en regardant Marguerite avec effroi, serait-il possible?

– Tout est possible, ami, en notre temps et dans cette cour. Maintenant, un seul mot: ce n’était pas pour moi que M. de Mouy, revêtu de votre manteau, le visage caché sous votre feutre, venait au Louvre. C’était pour M. d’Alençon. Mais moi, je l’ai amené ici, croyant que c’était vous. Il tient notre secret, La Mole, il faut donc le ménager.

– J’aime mieux le tuer, dit La Mole, c’est plus court et c’est plus sûr.

– Et moi, mon brave gentilhomme, dit la reine, j’aime mieux qu’il vive et que vous sachiez tout, car sa vie nous est non seulement utile, mais nécessaire. Écoutez et pesez bien vos paroles avant de me répondre: m’aimez-vous assez, La Mole, pour vous réjouir si je devenais véritablement reine, c’est-à-dire maîtresse d’un véritable royaume?

– Hélas! madame, je vous aime assez pour désirer ce que vous désirez, ce désir dût-il faire le malheur de toute ma vie!

– Eh bien, voulez-vous m’aider à réaliser ce désir, qui vous rendra plus heureux encore?

– Oh! je vous perdrai, madame! s’écria La Mole en cachant sa tête dans ses mains.

– Non pas, au contraire; au lieu d’être le premier de mes serviteurs, vous deviendrez le premier de mes sujets. Voilà tout.