Выбрать главу

– Hélas! fit Marguerite avec un soupir.

– Oh! oh! que cet hélas m’effraie, chère reine! est-il donc trop respectueux ou trop sentimental, ce gentil La Mole? Ce serait, je suis forcée de l’avouer, tout le contraire de son ami Coconnas.

– Mais non, il a ses moments, dit Marguerite, et cet hélas ne se rapporte qu’à moi.

– Que veut-il dire alors?

– Il veut dire, chère duchesse, que j’ai une peur affreuse de l’aimer tout de bon.

– Vraiment?

– Foi de Marguerite!

– Oh! tant mieux! la joyeuse vie que nous allons mener alors! s’écria Henriette; aimer un peu, c’était mon rêve; aimer beaucoup c’était le tien. C’est si doux, chère et docte reine, de se reposer l’esprit par le cœur, n’est-ce pas? et d’avoir après le délire le sourire. Ah! Marguerite, j’ai le pressentiment que nous allons passer une bonne année.

– Crois-tu? dit la reine; moi, tout au contraire, je ne sais pas comment cela se fait, je vois les choses à travers un crêpe. Toute cette politique me préoccupe affreusement. À propos, sache donc si ton Annibal est aussi dévoué à mon frère qu’il paraît l’être. Informe-toi de cela, c’est important.

– Lui, dévoué à quelqu’un ou à quelque chose! on voit bien que tu ne le connais pas comme moi. S’il se dévoue jamais à quelque chose, ce sera à son ambition et voilà tout. Ton frère est-il homme à lui faire de grandes promesses, oh! alors, très bien: il sera dévoué à ton frère; mais que ton frère, tout fils de France qu’il est, prenne garde de manquer aux promesses qu’il lui aura faites, ou sans cela, ma foi, gare à ton frère!

– Vraiment?

– C’est comme je te le dis. En vérité, Marguerite, il y a des moments où ce tigre que j’ai apprivoisé me fait peur à moi-même. L’autre jour, je lui disais: Annibal, prenez-y garde, ne me trompez pas, car si vous me trompiez!… Je lui disais cependant cela avec mes yeux d’émeraude qui ont fait dire à Ronsard:

La duchesse de Nevers

Aux yeux verts

Qui, sous leur paupière blonde,

Lancent sur nous plus d’éclairs

Que ne font vingt Jupiters

Dans les airs,

Lorsque la tempête gronde.

– Eh bien?

– Eh bien! je crus qu’il allait me répondre: Moi, vous tromper! moi, jamais! etc., etc. Sais-tu ce qu’il m’a répondu?

– Non.

– Eh bien, juge l’homme: Et vous, a-t-il répondu, si vous me trompiez, prenez garde aussi; car, toute princesse que vous êtes… Et, en disant ces mots, il me menaçait, non seulement des yeux, mais de son doigt sec et pointu, muni d’un ongle taillé en fer de lance, et qu’il me mit presque sous le nez. En ce moment, ma pauvre reine, je te l’avoue, il avait une physionomie si peu rassurante que j’en tressaillis, et, tu le sais, cependant je ne suis pas trembleuse.

– Te menacer, toi, Henriette! il a osé?

– Eh! mordi! je le menaçais bien, moi! Au bout du compte, il a eu raison. Ainsi, tu le vois, dévoué jusqu’à un certain point, ou plutôt jusqu’à un point très incertain.

– Alors, nous verrons, dit Marguerite rêveuse, je parlerai à La Mole. Tu n’avais pas autre chose à me dire?

– Si fait: une chose des plus intéressantes et pour laquelle je suis venue. Mais, que veux-tu! tu as été me parler de choses plus intéressantes encore. J’ai reçu des nouvelles.

– De Rome?

– Oui, un courrier de mon mari.

– Eh bien, l’affaire de Pologne?

– Va à merveille, et tu vas probablement sous peu de jours être débarrassée de ton frère d’Anjou.

– Le pape a donc ratifié son élection?

– Oui, ma chère.

– Et tu ne me disais pas cela! s’écria Marguerite. Eh! vite, vite, des détails.

– Oh! ma foi, je n’en ai pas d’autres que ceux que je te transmets. D’ailleurs attends, je vais te donner la lettre de M. de Nevers. Tiens, la voilà. Eh! non, non; ce sont des vers d’Annibal, des vers atroces, ma pauvre Marguerite. Il n’en fait pas d’autres. Tiens, cette fois, la voici. Non, pas encore ceci: c’est un billet de moi que j’ai apporté pour que tu le lui fasses passer par La Mole. Ah! enfin, cette fois, c’est la lettre en question.

Et madame de Nevers remit la lettre à la reine. Marguerite l’ouvrit vivement et la parcourut; mais effectivement elle ne disait rien autre chose que ce qu’elle avait déjà appris de la bouche de son amie.

– Et comment as-tu reçu cette lettre? continua la reine.

– Par un courrier de mon mari qui avait ordre de toucher à l’hôtel de Guise avant d’aller au Louvre et de me remettre cette lettre avant celle du roi. Je savais l’importance que ma reine attachait à cette nouvelle, et j’avais écrit à M. de Nevers d’en agir ainsi. Tu vois, il a obéi, lui. Ce n’est pas comme ce monstre de Coconnas. Maintenant il n’y a donc dans tout Paris que le roi, toi et moi qui sachions cette nouvelle; à moins que l’homme qui suivait notre courrier…

– Quel homme?

– Oh! l’horrible métier! Imagine-toi que ce malheureux messager est arrivé las, défait, poudreux; il a couru sept jours, jour et nuit, sans s’arrêter un instant.

– Mais cet homme dont tu parlais tout à l’heure?

– Attends donc. Constamment suivi par un homme de mine farouche qui avait des relais comme lui et courait aussi vite que lui pendant ces quatre cents lieues, ce pauvre courrier a toujours attendu quelque balle de pistolet dans les reins. Tous deux sont arrivés à la barrière Saint-Marcel en même temps, tous deux ont descendu la rue Mouffetard au grand galop, tous deux ont traversé la Cité. Mais, au bout du pont Notre-Dame, notre courrier a pris à droite, tandis que l’autre tournait à gauche par la place du Châtelet, et filait par les quais du côté du Louvre comme un trait d’arbalète.

– Merci, ma bonne Henriette, merci, s’écria Marguerite. Tu avais raison, et voici de bien intéressantes nouvelles. Pour qui cet autre courrier? Je le saurai. Mais laisse-moi. À ce soir, rue Tizon, n’est-ce pas? et à demain la chasse; et surtout prends un cheval bien méchant pour qu’il s’emporte et que nous soyons seules. Je te dirai ce soir ce qu’il faut que tu tâches de savoir de ton Coconnas.

– Tu n’oublieras donc pas ma lettre? dit la duchesse de Nevers en riant.

– Non, non, sois tranquille, il l’aura et à temps. Madame de Nevers sortit, et aussitôt Marguerite envoya chercher Henri, qui accourut et auquel elle remit la lettre du duc de Nevers.

– Oh! oh! fit-il. Puis Marguerite lui raconta l’histoire du double courrier.

– Au fait, dit Henri, je l’ai vu entrer au Louvre.

– Peut-être était-il pour la reine mère?

– Non pas; j’en suis sûr, car j’ai été à tout hasard me placer dans le corridor, et je n’ai vu passer personne.

– Alors, dit Marguerite en regardant son mari, il faut que ce soit…

– Pour votre frère d’Alençon, n’est-ce pas? dit Henri.

– Oui; mais comment le savoir?

– Ne pourrait-on, demanda Henri négligemment, envoyer chercher un de ces deux gentilshommes et savoir par lui…