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– Vous avez raison, Sire! dit Marguerite mise à son aise par la proposition de son mari; je vais envoyer chercher M. de La Mole… Gillonne! Gillonne!

La jeune fille parut.

– Il faut que je parle à l’instant même à M. de La Mole, lui dit la reine. Tâchez de le trouver et amenez-le.

Gillonne partit. Henri s’assit devant une table sur laquelle était un livre allemand avec des gravures d’Albert Dürer, qu’il se mit à regarder avec une si grande attention que lorsque La Mole vint, il ne parut pas l’entendre et ne leva même pas la tête.

De son côté, le jeune homme voyant le roi chez Marguerite demeura debout sur le seuil de la chambre, muet de surprise et pâlissant d’inquiétude.

Marguerite alla à lui.

– Monsieur de la Mole, demanda-t-elle, pourriez-vous me dire qui est aujourd’hui de garde chez M. d’Alençon?

– Coconnas, madame…, dit La Mole.

– Tâchez de me savoir de lui s’il a introduit chez son maître un homme couvert de boue et paraissant avoir fait une longue route à franc étrier.

– Ah! madame, je crains bien qu’il ne me le dise pas; depuis quelques jours il devient très taciturne.

– Vraiment! Mais en lui donnant ce billet, il me semble qu’il vous devra quelque chose en échange.

– De la duchesse!… Oh! avec ce billet, j’essaierai.

– Ajoutez dit Marguerite en baissant la voix, que ce billet lui servira de sauf-conduit pour entrer ce soir dans la maison que vous savez.

– Et moi, madame, dit tout bas La Mole, quel sera le mien?

– Vous vous nommerez, et cela suffira.

– Donnez, madame, donnez, dit La Mole tout palpitant d’amour; je vous réponds de tout. Et il partit.

– Nous saurons demain si le duc d’Alençon est instruit de l’affaire de Pologne, dit tranquillement Marguerite en se retournant vers son mari.

– Ce M. de La Mole est véritablement un gentil serviteur, dit le Béarnais avec ce sourire qui n’appartenait qu’à lui; et… par la messe! je ferai sa fortune.

XXIX Le départ

Lorsque le lendemain un beau soleil rouge, mais sans rayons, comme c’est l’habitude dans les jours privilégiés de l’hiver, se leva derrière les collines de Paris, tout depuis deux heures était déjà en mouvement dans la cour du Louvre.

Un magnifique barbe, nerveux quoique élancé, aux jambes de cerf sur lesquelles les veines se croisaient comme un réseau, frappant du pied, dressant l’oreille et soufflant le feu par ses narines, attendait Charles IX dans la cour; mais il était moins impatient encore que son maître, retenu par Catherine, qui l’avait arrêté au passage pour lui parler, disait-elle, d’une affaire importante.

Tous deux étaient dans la galerie vitrée, Catherine froide, pâle et impassible comme toujours, Charles IX frémissant, rongeant ses ongles et fouettant ses deux chiens favoris, revêtus de cuirasses de mailles pour que le boutoir du sanglier n’eût pas de prise sur eux et qu’ils pussent impunément affronter le terrible animal. Un petit écusson aux armes de France était cousu sur leur poitrine à peu près comme sur la poitrine des pages, qui plus d’une fois avaient envié les privilèges de ces bienheureux favoris.

– Faites-y bien attention, Charles, disait Catherine, nul que vous et moi ne sait encore l’arrivée prochaine des Polonais; cependant le roi de Navarre agit, Dieu me pardonne! comme s’il le savait. Malgré son abjuration, dont je me suis toujours défiée, il a des intelligences avec les huguenots. Avez-vous remarqué comme il sort souvent depuis quelques jours? Il a de l’argent, lui qui n’en a jamais eu; il achète des chevaux, des armes, et, les jours de pluie, du matin au soir il s’exerce à l’escrime.

– Eh! mon Dieu, ma mère, fit Charles IX impatienté, croyez-vous point qu’il ait l’intention de me tuer, moi, ou mon frère d’Anjou? En ce cas il lui faudra encore quelques leçons, car hier je lui ai compté avec mon fleuret onze boutonnières sur son pourpoint qui n’en a cependant que six. Et quant à mon frère d’Anjou, vous savez qu’il tire encore mieux que moi ou tout aussi bien, à ce qu’il dit du moins.

– Écoutez donc, Charles, reprit Catherine, et ne traitez pas légèrement les choses que vous dit votre mère. Les ambassadeurs vont arriver; eh bien, vous verrez! Une fois qu’ils seront à Paris, Henri fera tout ce qu’il pourra pour captiver leur attention. Il est insinuant, il est sournois; sans compter que sa femme, qui le seconde je ne sais pourquoi, va caqueter avec eux, leur parler latin, grec, hongrois, que sais-je! oh! je vous dis, Charles, et vous savez que je ne me trompe jamais! je vous dis, moi, qu’il y a quelque chose sous jeu.

En ce moment l’heure sonna, et Charles IX cessa d’écouter sa mère pour écouter l’heure.

– Mort de ma vie! sept heures! s’écria-t-il. Une heure pour aller, cela fera huit; une heure pour arriver au rendez-vous et lancer, nous ne pourrons nous mettre en chasse qu’à neuf heures. En vérité, ma mère, vous me faites perdre bien du temps! À bas, Risquetout!… mort de ma vie! à bas donc, brigand!

Et un vigoureux coup de fouet sanglé sur les reins du molosse arracha au pauvre animal, tout étonné de recevoir un châtiment en échange d’une caresse, un cri de vive douleur.

– Charles, reprit Catherine, écoutez-moi donc, au nom de Dieu! et ne jetez pas ainsi au hasard votre fortune et celle de la France. La chasse, la chasse, la chasse, dites-vous… Eh! vous aurez tout le temps de chasser lorsque votre besogne de roi sera faite.

– Allons, allons, ma mère! dit Charles pâle d’impatience, expliquons-nous vite, car vous me faites bouillir. En vérité, il y a des jours où je ne vous comprends pas.

Et il s’arrêta battant sa botte du manche de son fouet. Catherine jugea que le bon moment était venu, et qu’il ne fallait pas le laisser passer.

– Mon fils, dit-elle, nous avons la preuve que de Mouy est revenu à Paris. M. de Maurevel, que vous connaissez bien, l’y a vu. Ce ne peut être que pour le roi de Navarre. Cela nous suffit, je l’espère, pour qu’il nous soit plus suspect que jamais.

– Allons, vous voilà encore après mon pauvre Henriot! vous voulez me le faire tuer, n’est-ce pas?

– Oh! non.

– Exiler? Mais comment ne comprenez-vous pas qu’exilé il devient beaucoup plus à craindre qu’il ne le sera jamais ici, sous nos yeux, dans le Louvre, où il ne peut rien faire que nous ne le sachions à l’instant même?

– Aussi ne veux-je pas l’exiler.

– Mais que voulez-vous donc? dites vite!

– Je veux qu’on le tienne en sûreté, tandis que les Polonais seront ici; à la Bastille, par exemple.

– Ah! ma foi non, s’écria Charles IX. Nous chassons le sanglier ce matin, Henriot est un de mes meilleurs suivants. Sans lui la chasse est manquée. Mordieu, ma mère! vous ne songez vraiment qu’à me contrarier.

– Eh! mon cher fils, je ne dis pas ce matin. Les envoyés n’arrivent que demain ou après-demain. Arrêtons-le après la chasse seulement, ce soir… cette nuit…

– C’est différent, alors. Eh bien, nous reparlerons de cela, nous verrons; après la chasse, je ne dis pas. Adieu! Allons! ici, Risquetout! ne vas-tu pas bouder à ton tour?

– Charles, dit Catherine en l’arrêtant par le bras au risque de l’explosion qui pouvait résulter de ce nouveau retard, je crois que le mieux serait, tout en ne l’exécutant que ce soir ou cette nuit, de signer l’acte d’arrestation de suite.