Coligny resta impassible à ce trait sanglant du duc de Guise, lequel faisait évidemment allusion à la mort de François de Guise, son père, tué devant Orléans par Poltrot de Méré, non sans soupçon que l’amiral eut conseillé le crime.
– Monsieur, répliqua-t-il froidement et avec dignité, je suis nécromant toutes les fois que je veux savoir bien positivement ce qui importe à mes affaires ou à celles du roi.
Mon courrier est arrivé d’Orléans il y a une heure, et, grâce à la poste, a fait trente-deux lieues dans la journée. M. de La Mole, qui voyage sur son cheval, n’en fait que dix par jour, lui, et arrivera seulement le 24. Voilà toute la magie.
– Bravo, mon père! bien répondu, dit Charles IX. Montrez à ces jeunes gens que c’est la sagesse en même temps que l’âge qui ont fait blanchir votre barbe et vos cheveux: aussi allons-nous les envoyer parler de leurs tournois et de leurs amours, et rester ensemble à parler de nos guerres. Ce sont les bons cavaliers qui font les bons rois, mon père. Allez, messieurs, j’ai à causer avec l’amiral.
Les deux jeunes gens sortirent, le roi de Navarre d’abord, le duc de Guise ensuite; mais, hors de la porte, chacun tourna de son côté après une froide révérence.
Coligny les avait suivis des yeux avec une certaine inquiétude, car il ne voyait jamais rapprocher ces deux haines sans craindre qu’il n’en jaillît quelque nouvel éclair. Charles IX comprit ce qui se passait dans son esprit, vint à lui, et appuyant son bras au sien:
– Soyez tranquille, mon père, je suis là pour maintenir chacun dans l’obéissance et le respect. Je suis véritablement roi depuis que ma mère n’est plus reine, et elle n’est plus reine depuis que Coligny est mon père.
– Oh! Sire, dit l’amiral, la reine Catherine…
– Est une brouillonne. Avec elle il n’y a pas de paix possible. Ces catholiques italiens sont enragés et n’entendent rien qu’à exterminer. Moi, tout au contraire, non seulement je veux pacifier, mais encore je veux donner de la puissance à ceux de la religion. Les autres sont trop dissolus, mon père, et ils me scandalisent par leurs amours et par leurs dérèglements. Tiens, veux-tu que je te parle franchement, continua Charles IX en redoublant d’épanchement, je me défie de tout ce qui m’entoure, excepté de mes nouveaux amis! L’ambition des Tavannes m’est suspecte. Vieilleville n’aime que le bon vin, et il serait capable de trahir son roi pour une tonne de malvoisie. Montmorency ne se soucie que de la chasse, et passe son temps entre ses chiens et ses faucons. Le comte de Retz est Espagnol, les Guises sont Lorrains: il n’y a de vrais Français en France, je crois, Dieu me pardonne! que moi, mon beau-frère de Navarre et toi. Mais, moi, je suis enchaîné au trône et ne puis commander des armées. C’est tout au plus si on me laisse chasser à mon aise à Saint-Germain et à Rambouillet. Mon beau-frère de Navarre est trop jeune et trop peu expérimenté. D’ailleurs, il me semble en tout point tenir de son père Antoine que les femmes ont toujours perdu. Il n’y a que toi, mon père, qui sois à la fois brave comme Julius César, et sage comme Plato. Aussi, je ne sais ce que je dois faire, en vérité: te garder comme conseiller ici, ou t’envoyer là-bas comme général. Si tu me conseilles, qui commandera? Si tu commandes, qui me conseillera?
– Sire, dit Coligny, il faut vaincre d’abord, puis le conseil viendra après la victoire.
– C’est ton avis, mon père? eh bien, soit. Il sera fait selon ton avis. Lundi tu partiras pour les Flandres, et moi, pour Amboise.
– Votre Majesté quitte Paris?
– Oui. Je suis fatigué de tout ce bruit et de toutes ces fêtes. Je ne suis pas un homme d’action, moi, je suis un rêveur. Je n’étais pas né pour être roi, j’étais né pour être poète. Tu feras une espèce de conseil qui gouvernera tant que tu seras à la guerre; et pourvu que ma mère n’en soit pas, tout ira bien. Moi, j’ai déjà prévenu Ronsard de venir me rejoindre; et là, tous les deux loin du bruit, loin du monde, loin des méchants, sous nos grands bois, aux bords de la rivière, au murmure des ruisseaux, nous parlerons des choses de Dieu, seule compensation qu’il y ait en ce monde aux choses des hommes. Tiens, écoute ces vers, par lesquels je l’invite à me rejoindre; je les ai faits ce matin.
Coligny sourit. Charles IX passa sa main sur son front jaune et poli comme de l’ivoire, et dit avec une espèce de chant cadencé les vers suivants:
Ronsard, je connais bien que si tu ne me vois
Tu oublies soudain de ton grand roi la voix,
Mais, pour ton souvenir, pense que je n’oublie
Continuer toujours d’apprendre en poésie,
Et pour ce j’ai voulu t’envoyer cet écrit,
Pour enthousiasmer ton fantastique esprit.
Donc ne t’amuse plus aux soins de ton ménage,
Maintenant n’est plus temps de faire jardinage;
Il faut suivre ton roi, qui t’aime par sus tous,
Pour les vers qui de toi coulent braves et doux,
Et crois, si tu ne viens me trouver à Amboise,
Qu’entre nous adviendra une bien grande noise.
– Bravo! Sire, bravo! dit Coligny; je me connais mieux en choses de guerre qu’en choses de poésie, mais il me semble que ces vers valent les plus beaux que fassent Ronsard, Dorat et même Michel de l’Hospital, chancelier de France.
– Ah! mon père! s’écria Charles IX, que ne dis-tu vrai! car le titre de poète, vois-tu, est celui que j’ambitionne avant toutes choses; et, comme je le disais il y a quelques jours à mon maître en poésie:
L’art de faire des vers, dût-on s’en indigner, Doit être à plus haut prix que celui de régner; Tous deux également nous portons des couronnes: Mais roi, je les reçus, poète, tu les donnes; Ton esprit, enflammé d’une céleste ardeur, Éclate par soi-même et moi par ma grandeur. Si du côté des dieux je cherche l’avantage, Ronsard est leur mignon et je suis leur image. Ta lyre, qui ravit par de si doux accords, Te soumet les esprits dont je n’ai que les corps; Elle t’en rend le maître et te fait introduire Où le plus fier tyran n’a jamais eu d’empire.
– Sire, dit Coligny, je savais bien que Votre Majesté s’entretenait avec les Muses, mais j’ignorais qu’elle en eût fait son principal conseil.
– Après toi, mon père, après toi; et c’est pour ne pas me troubler dans mes relations avec elles que je veux te mettre à la tête de toutes choses. Écoute donc: il faut en ce moment que je réponde à un nouveau madrigal que mon grand et cher poète m’a envoyé… je ne puis donc te donner à cette heure tous les papiers qui sont nécessaires pour te mettre au courant de la grande question qui nous divise, Philippe II et moi. Il y a, en outre, une espèce de plan de campagne qui avait été fait par mes ministres. Je te chercherai tout cela et je te le remettrai demain matin.