– Cela serait imprudent, Annibal, mon ami, après ce qui s’est passé cette nuit. D’ailleurs ne nous a-t-on pas fait donner notre parole que nous n’y retournerions pas seuls? Passe-moi donc mon manteau.
– C’est ma foi vrai, dit Coconnas; je l’avais oublié. Mais où diable est-il donc ton manteau?… Ah! le voilà.
– Non, tu me passes le noir, et c’est le rouge que je te demande. La reine m’aime mieux avec celui-là.
– Ah! ma foi, dit Coconnas après avoir regardé de tous côtés, cherche-le toi-même, je ne le trouve pas.
– Comment, dit La Mole, tu ne le trouves pas? mais où donc est-il?
– Tu l’auras vendu…
– Pour quoi faire? il me reste encore six écus.
– Alors, mets le mien.
– Ah! oui… un manteau jaune avec un pourpoint vert, j’aurais l’air d’un papegeai.
– Par ma foi tu es trop difficile. Arrange-toi comme tu voudras, alors.
En ce moment, et comme après avoir tout mis sens dessus dessous La Mole commençait à se répandre en invectives contre les voleurs qui se glissaient jusque dans le Louvre, un page du duc d’Alençon parut avec le précieux manteau tant demandé.
– Ah! s’écria La Mole, le voilà, enfin!
– Votre manteau, monsieur?… dit le page. Oui, Monseigneur l’avait fait prendre chez vous pour s’éclaircir à propos d’un pari qu’il avait fait sur la nuance.
– Oh! dit La Mole, je ne le demandais que parce que je veux sortir, mais si Son Altesse désire le garder encore…
– Non, monsieur le comte, c’est fini. Le page sortit; La Mole agrafa son manteau.
– Eh bien, continua La Mole, à quoi te décides-tu?
– Je n’en sais rien.
– Te retrouverai-je ici ce soir?
– Comment veux-tu que je te dise cela?
– Tu ne sais pas ce que tu feras dans deux heures?
– Je sais bien ce que je ferai, mais je ne sais pas ce qu’on me fera faire.
– La duchesse de Nevers?
– Non, le duc d’Alençon.
– En effet, dit La Mole, je remarque que depuis quelque temps il te fait force amitiés.
– Mais oui, dit Coconnas.
– Alors ta fortune est faite, dit en riant La Mole.
– Peuh! fit Coconnas, un cadet!
– Oh! dit La Mole, il a si bonne envie de devenir l’aîné, que le ciel fera peut-être un miracle en sa faveur. Ainsi tu ne sais pas où tu seras ce soir?
– Non.
– Au diable, alors… ou plutôt adieu!
– Ce La Mole est terrible, dit Coconnas, pour vouloir toujours qu’on lui dise où l’on sera! est-ce qu’on le sait? D’ailleurs, je crois que j’ai envie de dormir.
Et il se recoucha. Quant à La Mole, il prit son vol vers les appartements de la reine. Arrivé au corridor que nous connaissons, il rencontra le duc d’Alençon.
– Ah! c’est vous, monsieur de la Mole? lui dit le prince.
– Oui, Monseigneur, répondit La Mole en saluant avec respect.
– Sortez-vous donc du Louvre?
– Non, Votre Altesse; je vais présenter mes hommages à Sa Majesté la reine de Navarre.
– Vers quelle heure sortirez-vous de chez elle, monsieur de la Mole?
– Monseigneur a-t-il quelques ordres à me donner?
– Non, pas pour le moment, mais j’aurai à vous parler ce soir.
– Vers quelle heure?
– Mais de neuf à dix.
– J’aurai l’honneur de me présenter à cette heure-là chez Votre Altesse.
– Bien, je compte sur vous. La Mole salua et continua son chemin.
– Ce duc, dit-il, a des moments où il est pâle comme un cadavre; c’est singulier. Et il frappa à la porte de la reine. Gillonne, qui semblait guetter son arrivée, le conduisit près de Marguerite.
Celle-ci était occupée d’un travail qui paraissait la fatiguer beaucoup; un papier chargé de ratures et un volume d’Isocrate étaient placés devant elle. Elle fit signe à La Mole de la laisser achever un paragraphe; puis, ayant terminé, ce qui ne fut pas long, elle jeta sa plume, et invita le jeune homme à s’asseoir près d’elle.
La Mole rayonnait. Il n’avait jamais été si beau, jamais si gai.
– Du grec! s’écria-t-il en jetant les yeux sur le livre; une harangue d’Isocrate! Que voulez-vous faire de cela? Oh! oh! sur ce papier du latin: Ad Sarmatiae legatos reginae Margaritae concio! Vous allez donc haranguer ces barbares en latin?
– Il le faut bien, dit Marguerite, puisqu’ils ne parlent pas français.
– Mais comment pouvez-vous faire la réponse avant d’avoir le discours?
– Une plus coquette que moi vous ferait croire à une improvisation; mais pour vous, mon Hyacinthe, je n’ai point de ces sortes de tromperies: on m’a communiqué d’avance le discours, et j’y réponds.
– Sont-ils donc près d’arriver, ces ambassadeurs?
– Mieux que cela, ils sont arrivés ce matin.
– Mais personne ne le sait?
– Ils sont arrivés incognito. Leur entrée solennelle est remise à après-demain, je crois. Au reste, vous verrez, dit Marguerite avec un petit air satisfait qui n’était point exempt de pédantisme, ce que j’ai fait ce soir est assez cicéronien; mais laissons là ces futilités. Parlons de ce qui vous est arrivé.
– À moi?
– Oui.
– Que m’est-il donc arrivé?
– Ah! vous avez beau faire le brave, je vous trouve un peu pâle.
– Alors, c’est d’avoir trop dormi; je m’en accuse bien humblement.
– Allons, allons, ne faisons point le fanfaron, je sais tout.
– Ayez donc la bonté de me mettre au courant, ma perle, car moi je ne sais rien.
– Voyons, répondez-moi franchement. Que vous a demandé la reine mère?
– La reine mère à moi! avait-elle donc à me parler?
– Comment! vous ne l’avez pas vue?
– Non.
– Et le roi Charles?
– Non.
– Et le roi de Navarre?
– Non.
– Mais le duc d’Alençon, vous l’avez vu?
– Oui, tout à l’heure, je l’ai rencontré dans le corridor.
– Que vous a-t-il dit?
– Qu’il avait à me donner quelques ordres entre neuf et dix heures du soir.