– Je cherche mon ami La Mole, dit le Piémontais.
– Cherchez du côté de ma chambre, monsieur, dit Marguerite, il y a là un certain cabinet…
– Bon, dit Coconnas, j’y suis. Et il entra dans la chambre.
– Eh bien, dit une voix dans les ténèbres, où en sommes-nous?
– Eh! mordi! nous en sommes au dessert.
– Et le roi de Navarre?
– Il n’a rien vu; c’est un mari parfait, et j’en souhaite un pareil à ma femme. Cependant je crains bien qu’elle ne l’ait jamais qu’en secondes noces.
– Et le roi Charles?
– Ah! le roi, c’est différent; il a emmené le mari.
– En vérité?
– C’est comme je te le dis. De plus, il m’a fait l’honneur de me regarder de côté quand il a su que j’étais à M. d’Alençon, et de travers quand il a su que j’étais ton ami.
– Tu crois donc qu’on lui aura parlé de moi?
– J’ai peur, au contraire, qu’on ne lui en ait dit trop de bien. Mais ce n’est point de tout cela qu’il s’agit, je crois que ces dames ont un pèlerinage à faire du côté de la rue du Roi-de-Sicile, et que nous conduisons les pèlerines.
– Mais, impossible!… Tu le sais bien.
– Comment, impossible?
– Eh! oui, nous sommes de service chez son Altesse Royale.
– Mordi, c’est ma foi vrai; j’oublie toujours que nous sommes en grade, et que de gentilshommes que nous étions nous avons eu l’honneur de passer valets.
Et les deux amis allèrent exposer à la reine et à la duchesse la nécessité où ils étaient d’assister au moins au coucher de monsieur le duc.
– C’est bien, dit madame de Nevers, nous partons de notre côté.
– Et peut-on savoir où vous allez? demanda Coconnas.
– Oh! vous êtes trop curieux, dit la duchesse. Quaere et invenies.
Les deux jeunes gens saluèrent et montèrent en toute hâte chez M. d’Alençon.
Le duc semblait les attendre dans son cabinet.
– Ah! ah! dit-il, vous voilà bien tard, messieurs.
– Dix heures à peine, Monseigneur, dit Coconnas. Le duc tira sa montre.
– C’est vrai, dit-il. Tout le monde est couché au Louvre, cependant.
– Oui, Monseigneur, mais nous voici à vos ordres. Faut-il introduire dans la chambre de Votre Altesse les gentilshommes du petit coucher?
– Au contraire, passez dans la petite salle et congédiez tout le monde.
Les deux jeunes gens obéirent, exécutèrent l’ordre donné, qui n’étonna personne à cause du caractère bien connu du duc, et revinrent près de lui.
– Monseigneur, dit Coconnas, Votre Altesse va sans doute se mettre au lit ou travailler?
– Non, messieurs; vous avez congé jusqu’à demain.
– Allons, allons, dit tout bas Coconnas à l’oreille de La Mole, la cour découche ce soir, à ce qu’il paraît; la nuit sera friande en diable, prenons notre part de la nuit.
Et les deux jeunes gens montèrent les escaliers quatre à quatre, prirent leurs manteaux et leurs épées de nuit, et s’élancèrent hors du Louvre à la poursuite des deux dames, qu’ils rejoignirent au coin de la rue du Coq-Saint-Honoré.
Pendant ce temps, le duc d’Alençon, l’œil ouvert, l’oreille au guet, attendait, enfermé dans sa chambre, les événements imprévus qu’on lui avait promis.
III Dieu dispose
Comme l’avait dit le duc aux jeunes gens, le plus profond silence régnait au Louvre.
En effet, Marguerite et madame de Nevers étaient parties pour la rue Tizon. Coconnas et La Mole s’étaient mis à leur poursuite. Le roi et Henri battaient la ville. Le duc d’Alençon se tenait chez lui dans l’attente vague et anxieuse des événements que lui avait prédits la reine mère. Enfin Catherine s’était mise au lit, et madame de Sauve, assise à son chevet, lui faisait lecture de certains contes italiens dont riait fort la bonne reine.
Depuis longtemps Catherine n’avait été de si belle humeur. Après avoir fait de bon appétit une collation avec ses femmes, après avoir réglé les comptes quotidiens de sa maison, elle avait ordonné une prière pour le succès de certaine entreprise importante, disait-elle, pour le bonheur de ses enfants; c’était l’habitude de Catherine, habitude, au reste toute florentine, de faire dire dans certaines circonstances des prières et des messes dont Dieu et elle savaient seuls le but.
Enfin elle avait revu René, et avait choisi, dans ses odorants sachets et dans son riche assortiment, plusieurs nouveautés.
– Qu’on sache, dit Catherine, si ma fille la reine de Navarre est chez elle; et si elle y est, qu’on la prie de venir me faire compagnie.
Le page auquel cet ordre était adressé sortit, et un instant après il revint accompagné de Gillonne.
– Eh bien, dit la reine mère, j’ai demandé la maîtresse et non la suivante.
– Madame, dit Gillonne, j’ai cru devoir venir moi-même dire à Votre Majesté que la reine de Navarre est sortie avec son amie la duchesse de Nevers…
– Sortie à cette heure! reprit Catherine en fronçant le sourcil; et où peut-elle être allée?
– À une séance d’alchimie, répondit Gillonne, laquelle doit avoir lieu à l’hôtel de Guise, dans le pavillon habité par madame de Nevers.
– Et quand rentrera-t-elle? demanda la reine mère.
– La séance se prolongera fort avant dans la nuit, répondit Gillonne, de sorte qu’il est probable que Sa Majesté demeurera demain matin chez son amie.
– Elle est heureuse, la reine de Navarre, murmura Catherine, elle a des amies et elle est reine; elle porte une couronne, on l’appelle Votre Majesté, et elle n’a pas de sujets; elle est bien heureuse.
Après cette boutade, qui fit sourire intérieurement les auditeurs:
– Au reste, murmura Catherine, puisqu’elle est sortie! car elle est sortie, dites-vous?
– Depuis une demi-heure, madame.
– Tout est pour le mieux; allez.
Gillonne salua et sortit.
– Continuez votre lecture, Charlotte, dit la reine. Madame de Sauve continua. Au bout de dix minutes Catherine interrompit la lecture.
– Ah! à propos, dit-elle, qu’on renvoie les gardes de la galerie. C’était le signal qu’attendait Maurevel. On exécuta l’ordre de la reine mère, et madame de Sauve continua son histoire.
Elle avait lu un quart d’heure à peu près sans interruption aucune, lorsqu’un cri long, prolongé, terrible, parvint jusque dans la chambre royale et fit dresser les cheveux sur la tête des assistants.