– Oui, mais auparavant, dit de Mouy, meurs, traître, meurs, misérable, meurs damné comme un assassin!
Et saisissant d’une main l’épée tranchante de Maurevel, de l’autre il plongea la sienne du haut en bas dans la poitrine de son ennemi, et cela avec tant de force qu’il le cloua contre terre.
– Prends garde! prends garde! cria Henri. De Mouy fit un bond en arrière, laissant son épée dans le corps de Maurevel, car un soldat l’ajustait et allait le tuer à bout portant. En même temps Henri passait son épée au travers du corps du soldat, qui tomba près de Maurevel en jetant un cri. Les deux autres soldats prirent la fuite.
– Viens! de Mouy, viens! cria Henri. Ne perdons pas un instant; si nous étions reconnus, ce serait fait de nous.
– Attendez, Sire; et mon épée, croyez-vous que je veuille la laisser dans le corps de ce misérable?
Et il s’approcha de Maurevel gisant et en apparence sans mouvement; mais au moment où de Mouy mettait la main à la garde de cette épée, qui effectivement était restée dans le corps de Maurevel, celui-ci se releva armé du poitrinal que le soldat avait lâché en tombant, et à bout portant il lâcha le coup au milieu de la poitrine de De Mouy.
Le jeune homme tomba sans même pousser un cri; il était tué raide.
Henri s’élança sur Maurevel; mais il était tombé à son tour, et son épée ne perça plus qu’un cadavre.
Il fallait fuir, le bruit avait attiré un grand nombre de personnes, la garde de nuit pouvait venir. Henri chercha parmi les curieux attirés par le bruit une figure, une connaissance, et tout à coup poussa un cri de joie.
Il venait de reconnaître maître La Hurière.
Comme la scène se passait au pied de la croix du Trahoir, c’est-à-dire en face de la rue de l’Arbre-Sec, notre ancienne connaissance, dont l’humeur naturellement sombre s’était encore singulièrement attristée depuis la mort de La Mole et de Coconnas, ses deux hôtes bien-aimés, avait quitté ses fourneaux et ses casseroles au moment où justement il apprêtait le souper du roi de Navarre et était accouru.
– Mon cher La Hurière, je vous recommande De Mouy, quoique j’ai bien peur qu’il n’y ait plus rien à faire. Emportez-le chez vous, et s’il vit encore n’épargnez rien, voilà ma bourse. Quant à l’autre laissez-le dans le ruisseau et qu’il y pourrisse comme un chien.
– Mais vous? dit La Hurière.
– Moi, j’ai un adieu à dire. Je cours, et dans dix minutes, je suis chez vous. Tenez mes chevaux prêts.
Et Henri se mit effectivement à courir dans la direction de la petite maison de la Croix-des-Petits-Champs; mais en débouchant de la rue de Grenelle, il s’arrêta plein de terreur.
Un groupe nombreux était amassé devant la porte.
– Qu’y a-t-il dans cette maison, demanda Henri, et qu’est-il arrivé?
– Oh! répondit celui auquel il s’adressait, un grand malheur, monsieur. C’est une belle jeune femme qui vient d’être poignardée par son mari, à qui l’on avait remis un billet pour le prévenir que sa femme était avec un amant.
– Et le mari? s’écria Henri.
– Il s’est sauvé.
– La femme?
– Elle est là.
– Morte?
– Pas encore; mais, Dieu merci, elle n’en vaut guère mieux.
– Oh! s’écria Henri, je suis donc maudit! Et il s’élança dans la maison. La chambre était pleine de monde; tout ce monde entourait un lit sur lequel était couchée la pauvre Charlotte percée de deux coups de poignard. Son mari, qui pendant deux ans avait dissimulé sa jalousie contre Henri, avait saisi cette occasion de se venger d’elle.
– Charlotte! Charlotte! cria Henri fendant la foule et tombant à genoux devant le lit.
Charlotte rouvrit ses beaux yeux déjà voilés par la mort; elle jeta un cri qui fit jaillir le sang de ses deux blessures, et faisant un effort pour se soulever.
– Oh! je savais bien, dit-elle, que je ne pouvais pas mourir sans le revoir.
Et en effet, comme si elle n’eût attendu que ce moment pour rendre à Henri cette âme qui l’avait tant aimé, elle appuya ses lèvres sur le front du roi de Navarre, murmura encore une dernière fois: «Je t’aime», et tomba morte.
Henri ne pouvait rester plus longtemps sans se perdre. Il tira son poignard, coupa une boucle de ses beaux cheveux blonds qu’il avait si souvent dénoués pour en admirer la longueur, et sortit en sanglotant au milieu des sanglots des assistants, qui ne se doutaient pas qu’ils pleuraient sur de si hautes infortunes.
– Ami, amour, s’écria Henri éperdu, tout m’abandonne, tout me quitte, tout me manque à la fois!
– Oui, Sire, lui dit tout bas un homme qui s’était détaché du groupe de curieux amassé devant la petite maison et qui l’avait suivi, mais vous avez toujours le trône.
– René! s’écria Henri.
– Oui, Sire, René qui veille sur vous: ce misérable en expirant vous a nommé; on sait que vous êtes à Paris, les archers vous cherchent, fuyez, fuyez!
– Et tu dis que je serai roi, René! un fugitif!
– Regardez, Sire, dit le Florentin en montrant au roi une étoile qui se dégageait, brillante, des plis d’un nuage noir, ce n’est pas moi qui le dis, c’est elle.
Henri poussa un soupir et disparut dans l’obscurité.
(1845)
FIN
[1] Charles IX avait épousé Élisabeth d’Autriche, fille de Maximilien.
[2] Espèce de brasero.
[3] En effet, cet enfant naturel, qui n’était autre que le fameux duc d’Angoulême, qui mourut en 1650, supprimait, s’il eût été légitime, Henri III, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV. Que nous donnait-il à la place? L’esprit se confond et se perd dans les ténèbres d’une pareille question.
[4] Votre présence inespérée dans cette cour nous comblerait de joie, moi et mon mari, si elle n’amenait un grand malheur, c’est-à-dire non seulement la perte d’un frère, mais encore celle d’un ami.
[5] Nous sommes désespérés d’être séparés de vous, quand nous eussions préféré partir avec vous. Mais le même destin qui veut que vous quittiez sans retard Paris, nous enchaîne, nous, dans cette ville. Partez donc, cher frère; partez donc, cher ami; partez sans nous. Notre espérance et nos désirs vous suivent.
[6] Textuelle.