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Comme il faisait une chaleur presque estivale en ce début d'automne, même le soir, la jeune fille ne portait pas grand-chose en fait de vêtements. Mais elle n'enlevait chaque pièce qu'avec lenteur et censément les plus grandes réticences, assez fière pourtant sans nul doute de ce qu'elle dévoilerait à ce jury d'experts, dans une progression voulue. Quand, avec les tortillements, courbures ou flexions indispensables, elle a eu ôté, pour finir, sa petite culotte blanche, elle s'est abandonnée à nos regards inquisiteurs, et, choisissant avec à-propos de cacher sa honte plutôt que ses délicates intimités, elle a relevé les bras vers son visage afin de masquer celui-ci derrière ses deux mains, paumes ouvertes et doigts écartés, entre lesquels je voyais briller ses prunelles. Ensuite, il lui a fallu encore exécuter plusieurs tours assez lents sur elle-même, afin de se laisser voir à loisir sous toutes ses faces. Et, de tous les côtés, c'était vraiment très joli, statuette modelée comme une ravissante poupée femelle, juste au sortir de l'éclosion.

Le docteur lui en a fait compliment, détaillant à haute voix – dans l'intention évidente d'accroître le trouble d'un objet si complaisant -la qualité remarquable de ses charmes exposés, insistant sur l'élégante sveltesse de la taille, le galbe des hanches, les deux fossettes au creux des reins cambrés, la rondeur exquise des petites fesses, le développement déjà très marqué des jeunes seins aux aréoles discrètes mais à la pointe en aimable érection, la délicatesse du nombril, le pubis enfin, dodu et dessiné avec grâce sous une toison d'or encore duveteuse quoique bien fournie. Précisons que Juan Ramirez, qui atteint la soixantaine, était autrefois un spécialiste des dérèglements de la période prépubère chez les enfants. Il a, en 1920, participé avec Karl Abraham à la fondation de l'Institut psychanalytique de Berlin. Comme Melanie Klein, il poursuivait une analyse didactique avec Abraham lui-même lorsque celui-ci est mort prématurément. Peut-être sous l'influence de sa déjà prestigieuse collègue, il travaillait d'ailleurs, lui aussi, sur l'agressivité enfantine précoce, se consacrant bientôt de façon plus particulière au cas des petites filles ou pré-adolescentes.

Celle-ci, d'une voix hésitante, demande alors si nous allons la violer. Je la rassure aussitôt: le docteur Juan vient d'apprécier son académie selon des critères esthétiques objectifs, mais elle est nettement trop formée pour son goût personnel, qui ne s'écarte pas de la plus stricte pédophilie. Quant à moi, dont elle satisfait à merveille – il faut en convenir – les fixations sexuelles et fétiches anatomiques les mieux ancrés, constituant même à mes yeux éblouis une sorte d'idéal féminin, je me trouve être, en matière d'éros, partisan de la douceur et de l'inoffensive persuasion. Même lorsqu'il s'agit d'obtenir des complaisances humiliantes ou de mettre en scène des pratiques amoureuses à caractère ouvertement cruel, j'ai besoin du consentement de ma partenaire, c'est-à-dire bien souvent de ma victime. J'espère ne pas trop la décevoir par un pareil aveu d'altruisme. Dans l'exercice de ma profession, bien entendu, c'est une toute autre chose, comme elle risque de s'en apercevoir bientôt, si elle ne montre pas assez d'empressement dans ses réponses à nos questions. Ça sera, qu'elle le sache bien, pour les seuls besoins de notre enquête.

«Et maintenant, dis-je, nous allons donc procéder à l'interrogatoire préliminaire. Tu vas lever les mains au-dessus de la tête, car nous avons besoin de voir tes yeux quand tu parles, pour savoir s'il s'agit d'une vérité sincère ou de mensonges, ou encore de demi-vérités. Afin que tu n'aies aucun mal à conserver longtemps cette posture, nous pouvons te faciliter les choses.» Le docteur, qui a sorti un bloc-notes et son stylo pour consigner par écrit certains points de la déposition, appuie alors sur une sonnette qui se trouve à portée de sa main gauche, et trois jeunes femmes font aussitôt leur apparition, vêtues de stricts uniformes noirs ayant probablement appartenu à un corps auxiliaire walkyrien de l'ex-armée allemande. Sans un mot et avec une rapidité de professionnelles habituées au travail en équipe, elles s'emparent de la petite prisonnière avec une fermeté dépourvue de toute violence inutile, lui fixent les poignets par des bracelets de cuir à deux lourdes chaînes descendues comme par miracle du plafond, tandis que ses deux chevilles sont attachées selon la même méthode à deux gros anneaux en fer jaillis du sol, distants d'un pas environ.

Les jambes se trouvent ainsi bien ouvertes, face à nous, dans une attitude peut-être un peu indécente, mais cet écartement des pieds – qui n'a rien d'excessif – donnera plus d'assise à une station debout prolongée. Ces entraves du reste ne sont pas trop tendues, non plus que les chaînes retenant les mains en l'air de part et d'autre de la chevelure dorée, si bien que le corps et les jambes peuvent toujours bouger, dans des limites cependant assez étroites, cela va sans dire. Nos trois assistantes ont agi avec une si naturelle aisance, tant de précisions dans les gestes, une si bonne coordination des mouvements et vitesses respectives, que notre jeune captive n'a pas eu le temps de bien comprendre ce qui lui arrivait, se laissant manipuler sans tenter la moindre résistance. Sur son tendre visage s'est peint seulement un mélange d'étonnement, d'appréhension vague et d'une espèce de déroute psychomotrice. Ne voulant pas lui laisser le loisir d'y réfléchir davantage, j'entame sans attendre le questionnaire, auquel les réponses arrivent aussitôt, d'une manière presque mécanique:

«Prénom?

– Geneviève.

– Diminutif habituel?

– Ginette… ou Gigi.

– Nom de la mère?

– Kastanjevica. K, A, S… (Elle épelle le mot), dite Kast sur son passeport actuel.

– Nom du père?

– Père inconnu.

– Date de naissance?

– Douze mars mille neuf cent trente-cinq.

– Lieu de naissance?

– Berlin – Kreuzberg.

– Nationalité?

– Française.

– Profession?

– Lycéenne.»

On devine qu'elle a dû remplir souvent ce même formulaire d'identité. Pour moi, en revanche, cela ne va pas sans problème: nous avons donc affaire à la fille de 10, que pourtant je croyais demeurée en France. L'érotique objet de mes actuelles convoitises serait ainsi ma demi-sœur, puisque engendrée comme moi par le détestable Dany von Brücke. En réalité, les choses ne sont pas aussi claires. Si le père présumé n'a jamais voulu reconnaître l'enfant, ni convoler en justes noces avec la jeune mère, sa maîtresse officielle depuis déjà deux mois au moment de la conception, c'est qu'il connaissait les relations amoureuses que son fils indigne et méprisé avait entretenues le premier avec la jolie française, relations qui s'étaient en outre poursuivies pendant une assez longue période transitoire. Despote à l'ancienne mode, usant d'abord d'un ignoble droit de cuissage seigneurial, il a fini par la garder pour lui seul. Joëlle, sans ressources, disponible et vagabonde, un peu perdue dans notre lointain Brandebourg, n'avait pas dix-huit ans. Elle s'est laissée convaincre par le prestigieux officier, d'ailleurs bel homme, qui lui apportait l'aisance matérielle et lui promettait le mariage. Son consentement à une solution apparemment avantageuse était fort compréhensible et je lui ai pardonné… A elle, pas à lui! En tout cas, vu la date de naissance de la troublante fillette, elle pourrait parfaitement être ma propre fille, sa carnation d'aryenne nordique lui venant alors de son grand-père, ce qui n'aurait rien d'exceptionnel.