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— Et maintenant, voilà que le Temps transplante Shakespeare pour lui faire faire une conférence. Vous ne trouvez pas que c’est un peu exagéré ?

— Là n’est pas le problème, dit Carol. Le Temps est obligé de faire un peu de battage autour de cette affaire pour se faire de l’argent. C’est toujours comme cela. N’importe quoi pour trouver de l’argent. Finalement, il se fait une mauvaise réputation. Vous ne croyez pas que cela fasse plaisir à Sharp ?

— Je connais Harlow Sharp, dit Maxwell. Et croyez-moi, cela lui fait très plaisir.

— Tu blasphèmes, s’exclama Oop, simulant l’horreur. Tu ne sais pas que tu mériterais d’être crucifié pour déblatérer ainsi ?

— Vous vous moquez de moi, dit Carol. Vous vous moquez de tout et de tous. Vous aussi, Peter Maxwell.

— Je vous demande de les excuser, dit Fantôme. Il faut avoir vécu avec eux pendant dix ou quinze ans pour comprendre qu’ils ne parlent pas méchamment.

— Mais, dit Carol, le jour viendra où le Temps aura tout l’argent nécessaire pour faire exactement tout ce qu’il voudra. Tous les projets qui lui sont chers. Et il pourra rompre avec les autres collèges. Quand l’affaire se fera…

Elle s’interrompit brusquement. Elle resta immobile, comme paralysée. On sentait qu’elle aurait aimé mettre la main devant la bouche et qu’elle prenait sur elle pour ne pas le faire.

— De quelle affaire parlez-vous ? demanda Maxwell.

— Je crois savoir, dit Oop. J’en ai vaguement entendu parler et je n’y ai pas prêté attention. Ce sont toujours les petits bruits qui se révèlent être vrais. Les grands…

— Pas besoin de discours, coupa Fantôme. Dis-nous ce que tu as entendu.

— C’est incroyable, dit Oop. Vous ne le croirez jamais. Jamais de la vie…

— Taisez-vous, s’écria Carol.

Ils la fixèrent tous, dans l’expectative.

— J’ai fait une gaffe, dit-elle. Oubliez-le tous. Je ne suis même pas certaine que cela soit vrai.

— Bien sûr, dit Maxwell. Vous avez été un peu secouée ce soir.

Elle hocha la tête négativement :

— Non. Cela n’est pas correct de ma part. Je dois vous le dire et faire appel à votre discrétion. Et je suis presque sûre que c’est vrai. On a fait au Temps une proposition pour l’Artifact.

Le silence s’établit dans la pièce. Maxwell, Fantôme et Oop demeuraient immobiles, ils respiraient à peine. Son regard se porta de l’un à l’autre, interrogateur.

Finalement, Fantôme fit un léger mouvement et on entendit un bruissement comme si son drap blanc était un vrai drap qui bougeait en même temps que lui.

— Vous ne pouvez comprendre, dit-il, l’attachement que nous éprouvons pour l’Artifact.

— Vous nous avez profondément émus, dit Oop.

— L’Artifact, murmura Maxwell. Le grand Mystère. La seule chose qui soit une énigme pour tous.

— Une drôle de pierre, dit Oop.

— Pas vraiment une pierre, dit Fantôme.

— Alors, dit Carol, vous me direz peut-être ce que c’est.

Maxwell se dit que c’était justement ce que ni Fantôme ni personne d’autre ne pouvaient faire. Les chercheurs du Temps l’avaient découvert une dizaine d’années auparavant sur une colline de l’ère jurassique. Ils l’avaient rapporté dans le présent au prix de grandes dépenses et de beaucoup d’imagination. Le poids de l’Artifact était très important. Il avait fallu pour le propulser dans le temps une puissance énergétique bien supérieure à tout ce qui avait été employé jusqu’alors. On avait dû projeter dans le passé un générateur nucléaire, qui avait été transporté en pièces détachées et assemblé sur place. Il y avait aussi eu le problème du retour, car on ne pouvait rien laisser dans le passé, même aussi lointain que l’ère jurassique. C’était une question d’éthique.

— Je suis incapable de vous le dire, dit Fantôme. Ni d’ailleurs personne d’autre.

Fantôme avait raison. Personne n’était capable d’y comprendre quoi que ce soit. L’Artifact était un énorme bloc d’un matériau qui – on en était maintenant sûr – n’était ni roche ni métal ; ces deux hypothèses avaient été envisagées consécutivement. Toutes les recherches avaient échoué. C’était un bloc noir, long de deux mètres, épais et large de un mètre vingt. Il n’absorbait et n’émettait aucune sorte d’énergie. Toute lumière ou radiation était réfléchie. Impossible de l’entamer ou de l’ébrécher. Il arrêtait un rayon laser comme si le rayon n’existait pas. Pas moyen de le sonder, d’en tirer le moindre renseignement. Il était dressé sur un piédestal dans l’avant-cour du musée du Temps. C’était la seule chose au monde à propos de laquelle on ne pouvait émettre aucune hypothèse.

— Alors, demanda Carol, pour quelle raison êtes-vous abattus ?

— Parce que, dit Oop, Pete avait dans l’idée que l’Artifact avait peut-être été à une certaine époque un Dieu pour les Petits Hommes. À supposer que ces sales petits individus soient capables d’honorer un Dieu.

— Je suis désolée, dit Carol. Vraiment navrée. Je ne savais pas. Peut-être que si le Temps savait…

— Nous n’avons pas assez de données pour en parler, dit Maxwell. Rien d’autre qu’une supposition, un sentiment qui m’est venu en entendant des bribes de phrases échangées par les Petits Hommes. Eux-mêmes ne savent rien. Cela remonte si loin.

Si loin, pensa-t-il.

Presque cent millions d’années.

VII

— Ce Oop, dit Carol, je n’arrive pas à le comprendre. Cette drôle de maison qu’il habite, au bout du monde !

— Il serait vexé s’il vous entendait, dit Maxwell. C’est une cabane, pas une maison et il en est fier. Le passage d’une caverne à une maison aurait été un trop grand bond. Il ne se serait pas senti à l’aise.

— Une caverne ? Il a vraiment vécu dans une caverne ?

— Je dois vous confier quelque chose. Notre vieil ami Oop est un affreux menteur. Il ne faut pas croire tout ce qu’il dit. Par exemple, son histoire de cannibales.

— Je me sens mieux. Pensez, des gens qui s’entre-dévorent !

— Oh ! Bien sûr que le cannibalisme existait. Mais que Oop l’ait pratiqué est une autre affaire. Pour ce qui est des renseignements d’ordre général, on peut lui faire confiance. C’est seulement quand il se lance dans ses expériences personnelles qu’il faut se méfier.

— C’est drôle, dit Carol. Je l’avais vu plusieurs fois et je me posais des questions à son sujet mais je ne pensais pas le rencontrer un jour. D’ailleurs, je n’en avais pas tellement envie. Il y a certaines personnes sur lesquelles je fais une croix. Il en était. Je l’imaginais grossier.

— Mais il l’est ! répondit Maxwell.

— Oui. Mais à côté de cela, il est charmant.