Il se leva et traversa la pièce en hochant la tête. Il fit demi-tour et se rassit.
— Laissez-moi réfléchir, dit-il. Donnez-moi un peu de temps. Je vais trouver quelque chose. Il y a beaucoup de travail. Il y a aussi votre testament…
— Mon testament, je l’avais oublié.
— Il est sous scellés, mais je peux obtenir un sursis.
— J’ai tout laissé à mon frère qui est au Service d’Exploration. Je pourrais le joindre, bien que ce soit sûrement toute une histoire. Il est généralement avec le corps expéditionnaire. Je ne veux pas que cela fasse des histoires là-bas. Dès qu’il saura ce qui s’est passé…
— Ce n’est pas avec lui qu’il y aura des histoires, mais avec la Cour. On peut le faire, bien sûr, mais ce sera long. Vous n’aurez aucun droit sur vos biens avant que tout soit bien clair. Vous ne possédez que les vêtements que vous avez sur le dos et ce que vous avez dans vos poches.
— L’Université m’a proposé un poste sur Gothique IV, Doyen d’une unité de recherche. Je n’ai pas l’intention d’accepter.
— Et pour votre argent ?
— Pour l’instant, ça va. Oop m’a hébergé et j’ai un peu d’argent. S’il le fallait, Harlow Sharp m’aiderait à trouver du travail. Au besoin, je pourrais faire partie d’un de ses voyages d’exploration. Je crois que cela ne me déplairait pas.
— Mais pour cela, il ne faut pas être diplômé du Temps ?
— Pas pour les travailleurs. Je pense que ce n’est que pour les postes de direction.
— Avant d’entamer une procédure, il me faut connaître tous les détails.
— Je vous ferai un rapport.
— Il me semble, dit Preston, que nous pourrions introduire une action contre les Transports. Ils vous ont mis dans une drôle de situation.
Maxwell hésita un moment.
— Pas tout de suite. Nous avons tout le temps d’y penser.
— Vous me faites ce rapport, et pendant ce temps, je vais réfléchir et consulter mes textes. Ensuite, nous pourrons commencer. Avez-vous lu les journaux ou regardé la télévision ?
Maxwell secoua la tête :
— Je n’ai pas eu le temps.
— Ils sont déchaînés. C’est incroyable qu’ils ne vous aient pas coincé, ils doivent vous chercher. Jusqu’à présent, ils ne font que des suppositions. On vous a vu hier soir au « Pig and Whistle ». Les journaux titrent que vous revenez de parmi les morts. À votre place, j’éviterais les journalistes, et, s’ils vous trouvent, ne leur dîtes absolument rien.
— Je n’en avais pas l’intention, dit Maxwell.
Ils se regardèrent, assis face à face dans le bureau calme et silencieux.
— Quel gâchis, dit finalement Preston. Quelle foutue pagaille. Dans le fond, Pete, je trouve cela plutôt drôle.
— Au fait, dit Maxwell, Nancy m’a invité ce soir à un cocktail chez elle. Je me demandais si cela avait un rapport avec mon aventure. Remarquez, elle m’invite de temps en temps.
Preston sourit :
— C’est normal, vous êtes célèbre. Vous serez le clou de sa soirée.
— Je ne suis pas certain que ce soit pour cela. Elle a dû entendre dire que j’avais réapparu et cela a piqué sa curiosité.
— Oui, dit Preston sèchement, elle a envie de savoir.
XIII
Maxwell s’attendait à trouver des journalistes devant chez Oop, mais il n’y avait personne. À première vue, sa retraite n’avait pas été découverte.
Dans la torpeur de la fin d’après-midi, le soleil inondait d’or fondu les vieilles planches de la cabane. Devant la porte, des abeilles bourdonnaient au-dessus d’un buisson d’asters et des papillons jaunes voletaient dans la fin de journée brumeuse ; ils se détachaient sur le fond de collines qui dominaient la chaussée roulante.
Maxwell ouvrit la porte et avança la tête dans l’entrebâillement. Personne. Oop devait encore marauder et Fantôme n’était toujours pas là. Le feu rougeoyait dans la cheminée, abandonné.
Maxwell referma et s’assit devant la cabane.
Loin vers l’ouest, un des quatre lacs du campus brillait comme un miroir bleuté. Des laiches mortes et l’herbe brûlée teintaient la campagne de bruns et de jaunes. Çà et là, des groupes d’arbres ponctuaient le paysage de taches de feu.
La chaleur et la douceur invitaient au rêve, à l’opposé des paysages violents et sombres que Lambert avait peints à une époque lointaine.
Il se demanda pourquoi il avait gardé un souvenir aussi précis des paysages de Lambert, et comment le peintre avait découvert l’apparence éthérée des fantômes de la planète de cristal. Il ne pouvait s’agir d’un simple hasard. Un esprit humain ne pouvait avoir inventé cette étrange propriété. La voix de la raison disait que Lambert devait avoir eu connaissance de l’existence des fantômes et elle disait aussi que c’était impossible.
Et toutes les autres créatures ? Tous ces monstres grotesques peints par un pinceau rageur et insensé ? Que représentaient-ils, d’où venaient-ils ? N’étaient-ils que les chimères d’un esprit torturé ? Était-ce bien les habitants de la planète de cristal que Lambert avait représentés ? Cela semblait peu vraisemblable. Il devait aussi avoir vu les autres créatures quelque part, d’une façon ou d’une autre. Et le paysage, l’avait-il inventé pour créer l’atmosphère adéquate ? ou bien était-ce la planète de cristal avant qu’elle ne soit close sous son dôme ? Mais c’était impossible, elle l’avait été avant l’apparition de l’univers actuel. Cela représentait au moins dix billions d’années, peut-être cinquante billions.
Maxwell s’étira. Il était mal à l’aise. Tout cela était insensé. Il se dit qu’il avait assez de problèmes sans, en plus, s’occuper des tableaux de Lambert. Il n’avait plus de travail, ses biens étaient sous scellés. Il n’avait pas même d’existence légale en tant qu’homme.
Mais rien de tout cela n’était important, tout au moins pour l’instant. Il fallait d’abord s’occuper du trésor de savoir de la planète de cristal, l’Université devait en devenir propriétaire. Cela représentait davantage que toute la science de l’entière galaxie. Sûrement qu’une partie serait la répétition de ce qu’on connaissait déjà mais, il en était sûr, il devait y avoir une masse de données et de renseignements auxquels on n’avait pas même songé. Le peu qu’il avait vu le confirmait dans cette idée.
Il se revit installé devant la table sur laquelle étaient empilées les feuilles de métal qu’il avait prises sur les étagères. Il avait autour de la tête l’espèce de traducteur, d’interprète.
Il se souvenait de la feuille de métal qui parlait de l’esprit, non pas en termes philosophiques ou métaphysiques mais comme d’un simple mécanisme, avec des mots hermétiques. Il s’était débattu avec la terminologie car il s’agissait d’un domaine inconnu de l’homme, mais, au bout d’un moment, il avait dû abandonner. Et puis il y avait une autre feuille qui avait l’air d’exposer les principes de l’application des mathématiques aux sciences sociales. Il avançait comme un aveugle, abordant des sujets complètement inconnus. Il avait appris qu’il y avait eu deux et non pas un seul univers, il avait parcouru un traité d’histoire naturelle qui décrivait des formes de vie incroyables dans leurs principes élémentaires et dans leurs fonctions. Il y avait aussi une feuille si mince qu’il pouvait la plier comme du papier et dont le contenu était tellement au-dessus de son entendement qu’il ne savait toujours pas quel en était le sujet. Et une autre, beaucoup plus épaisse sur laquelle il prit connaissance de pensées et de philosophies émanant de civilisations disparues depuis longtemps et dont l’inhumanité l’avait à la fois terrifié et émerveillé.
Tout cela, multiplié par un trillion, donnait là-bas sur la planète de cristal.