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— Mais moi, j’étais parti pour le système Coonskin, on aura sûrement fait un rapport…

Il se tut, frappé de stupeur.

Drayton hocha lentement la tête.

— Je pensais que vous auriez saisi, dit-il. Peter Maxwell est bien arrivé au système Coonskin et il est revenu sur Terre cela va faire un mois.

— Il doit y avoir une erreur, protesta faiblement Maxwell.

Il était en effet impensable qu’il puisse y avoir deux lui, qu’un autre Peter Maxwell, identique en tout point à lui-même, existât sur la Terre.

— Il n’y a pas la moindre erreur, dit Drayton. Tout au moins, de la façon dont nous avons reconstitué les faits. Cette planète ne change pas la fréquence d’identification, elle la copie.

— Alors, il est possible qu’il y ait deux moi !

— Plus maintenant, répondit Drayton. Vous êtes le seul. Environ une semaine après son retour, Peter Maxwell a eu un accident. Il est mort.

II

En sortant de la petite pièce où il s’était entretenu avec Drayton, Maxwell aperçut une rangée de sièges vides. Il s’assit avec soin dans l’un d’eux et posa son unique bagage par terre, à côté de lui.

Il était impensable, se dit-il, qu’il y ait eu deux Peter Maxwell et que l’un des deux soit mort. Incroyable aussi que cette planète de cristal possédât un équipement capable de capter et de copier une fréquence d’identification se déplaçant à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Bien supérieure, d’ailleurs, car en aucun point de la galaxie, on n’avait pu déceler le moindre écart entre l’émission et la réception. Peut-être pouvait-on transformer cette fréquence en la captant mais la copier était une autre affaire.

Ces deux faits étaient inimaginables. Ils n’avaient pu réellement se produire. Toutefois, si l’un avait existé, l’autre n’en était que la conséquence. Si l’on avait copié sa fréquence d’identification, il y avait forcément eu deux Peter Maxwell, celui qui était allé jusqu’au système Coonskin et celui qui s’était rendu sur la planète de cristal. Mais celui qui avait été dans le système Coonskin devrait être à peine de retour. Il avait en effet prévu un voyage d’au moins six semaines, davantage s’il l’avait fallu, pour tirer cette histoire de dragon au clair.

Il remarqua que ses mains tremblaient et en eut honte. Il les serra fort l’une contre l’autre et les posa sur ses genoux. Il ne devait pas se laisser abattre.

Il se trouvait en face d’un mystère et il lui fallait l’éclaircir. Mais il ne possédait rien de concret, aucune base solide. Tout ce qu’il savait, il le tenait d’un membre de la Sécurité et il ne fallait pas y accorder trop d’importance. Cela n’était peut-être après tout qu’un sale truc pour l’intimider et le faire parler. Mais, si tout cela était vrai !

Même en admettant que ce soit vrai, il devait éclaircir cette affaire. En effet, il était chargé d’une mission, un travail très délicat.

Maintenant, peut-être que quelqu’un chargé de le surveiller allait lui compliquer la tâche, mais comment en être sûr ? Et, de toute façon, qu’est-ce que cela changerait ?

Le plus difficile serait d’obtenir un rendez-vous d’Andrew Arnold. On ne rencontre pas facilement le président d’une université planétaire. Il avait suffisamment de problèmes de son côté sans écouter les histoires d’un professeur. Surtout si celui-ci refusait de lui faire dire à l’avance de quoi il voulait l’entretenir. Ses mains ne tremblaient plus mais il les garda serrées.

Il s’accorderait encore un moment puis il marcherait jusqu’à la chaussée roulante. Là, il prendrait une des voies les plus rapides, une de l’intérieur, et, en une demi-heure il serait au campus. Il aurait vite fait d’y découvrir la vérité. Il retrouverait ses amis, Alley Oop, Fantôme, Harlow Sharp, Allen Preston et tous les autres. On boirait tard et on rirait fort au « Pig and Whistle », on discuterait paisiblement sur le mail ombragé ou au cours d’une partie de canotage sur le lac. On se raconterait de vieilles histoires et il retrouverait la douceur de vivre universitaire. Il se rendit compte qu’il avait hâte d’être sur le chemin du retour et de longer la réserve des Lutins. Dans cette réserve, il n’y avait pas que des Lutins mais beaucoup d’autres Petits Hommes. Il était leur ami à tous. Ou presque, car les Trolls savaient vraiment être horripilants et il était bien difficile d’établir un contact solide avec un Banshee.

À cette époque de l’année, se dit-il, les collines seraient magnifiques. Lorsqu’il était parti pour le système Coonskin, on était à la fin de l’été et elles étaient encore recouvertes de leur parure d’un beau vert profond. Maintenant, à la mi-octobre, elles auraient revêtu leurs atours d’automne. La vigne vierge courrait comme un fil couleur de feu au milieu du pourpre des chênes et des érables sang et or. Dans l’air flotterait cette étrange odeur de cidre, qui émane, étouffante, des feuilles mortes. Il demeurait assis et par la pensée, il retourna deux étés auparavant. Il s’était rendu en canoë, accompagné de M. O’Toole, dans la région sauvage du Nord, dans l’espoir d’entrer en contact avec les esprits chantés dans les anciennes légendes de l’Ojibway. Ils naviguaient sur les eaux transparentes de la rivière et, le soir venu, ils dressaient leur camp au bord des sombres forêts de pins. Ils péchaient leur nourriture et découvraient des fleurs sauvages cachées dans les clairières. Ils observaient les animaux et ils avaient passé de merveilleuses vacances. Mais pas le moindre Esprit et il n’y avait là rien de bien étonnant. Très peu de contacts avaient été établis avec les Petits Hommes d’Amérique car ils étaient très sauvages. Ce qui n’était pas le cas de ceux d’Europe, à peu près civilisés, habitués à l’homme.

Le siège de Maxwell était tourné vers l’Ouest et au travers des hauts murs de verre, il pouvait voir, de l’autre côté du fleuve, les falaises bordant la frontière de l’ancien État de l’Iowa. Leur imposante masse pourpre se détachait nettement sur le ciel bleu pâle. Au sommet de l’une des falaises, il distinguait la tache claire du Collège de Thaumaturgie, géré principalement par les créatures octopodes de Centaure. Il se souvint de la promesse qu’il s’était souvent faite d’assister à l’un de leurs séminaires. Il ne s’y était jamais décidé.

Se préparant à se lever, il tendit la main vers son bagage, mais il ne bougea pas.

Le souffle lui manquait encore et ses jambes ne lui obéissaient pas.

Il réalisa que les paroles de Drayton l’avaient atteint davantage qu’il ne l’aurait pensé et qu’il était encore sous le choc. Il ne devait pas s’en faire, se dit-il. Il ne pouvait reprendre son souffle. Peut-être qu’après tout, rien n’était vrai. Tout était probablement faux. Il n’avait aucune raison de se tracasser avant de l’avoir vérifié.

Lentement, il se leva et il se pencha pour prendre son bagage mais il hésita encore un moment avant de se décider à se mêler à la foule de la salle d’attente. Les voyageurs, humains et extra-terrestres se pressaient ou bien attendaient, formant de petits groupes. Un vieillard à barbe blanche et vêtu solennellement de noir – sans doute un professeur – était entouré d’un groupe d’étudiants venus pour lui dire adieu. Une famille de reptiles était étalée sur des sortes de sièges spécialement installés pour eux et leurs semblables. Les deux adultes étaient tranquillement allongés et bavardaient doucement, de leur voix sifflante. Les enfants escaladaient en rampant les sièges et jouaient, étalés sur le sol.

Dans un petit renfoncement, une créature « Tonneau de Bière », roulait d’un mur à l’autre, comme un humain aurait fait les cent pas. Deux créatures « Araignées », avec leurs corps qui semblaient fabriqués à l’aide d’allumettes, étaient tapies, face à face. Elles avaient tracé à même le sol un jeu ressemblant à la bataille navale et elles déplaçaient avec des cris d’excitation des pions aux formes étranges.