Peu de contacts avaient été établis avec les Roulants et on ne savait pratiquement rien d’eux, ce qui était mauvais. Il n’y avait pas eu de mains tendues, pas de gestes de bonne volonté ni d’un côté ni de l’autre. La frontière entre les Roulants et les Humains était installée dans l’espace, ligne silencieuse et sombre que personne n’avait traversée.
— Je me déciderais plus facilement, dit Maxwell, si nous en savions davantage sur vous.
— Vous savez que nous sommes de la vermine, dit M. Marmaduke avec dédain. Vous êtes intolérants.
— C’est faux, dit Maxwell. Nous savons que vous êtes des mécaniques dont la base est composée de ce que, sur notre Terre, nous nommons insectes. Ceci vous rend différents de nous, bien sûr, mais pas davantage que beaucoup d’autres créatures. Je n’aime pas beaucoup le mot intolérant, M. Marinaduke car il suppose que le sujet puisse appeler la tolérance et il n’en est pas question, ni pour vous, ni pour moi, ni pour aucune autre créature au monde.
Il s’aperçut qu’il tremblait de colère et il se demanda comment un seul mot avait pu le mettre dans cet état, alors qu’il n’avait pas été touché à l’idée de voir le Roulant acheter le savoir de la planète de cristal. Il se dit que cela provenait de ce que depuis que tant de races se côtoyaient, la tolérance et l’intolérance étaient devenues des mots prohibés.
— Votre discours était percutant et courtois, dit le Roulant. Il se peut que vous ne soyez pas intolérant.
— Même si l’intolérance existait, dit Maxwell, je ne vois pas pourquoi elle vous heurterait. Elle salirait davantage celui qui l’éprouverait que celui vers lequel elle serait dirigée. Ce serait non seulement une preuve de sa mauvaise éducation mais aussi de son peu de culture. Il n’y a rien de plus bête que l’intolérance.
— Alors, s’il ne s’agit pas d’intolérance, qu’est-ce qui vous fait hésiter ?
— Il me faudrait savoir ce que vous comptez faire de ce que vous voulez acheter. Je voudrais être plus renseigné sur vous.
— Pour pouvoir juger ?
— Je ne sais pas d’après quoi on peut émettre un jugement dans un cas pareil.
— Nous parlons trop, dit M. Marmaduke, et cela ne sert à rien. Je vois que vous n’avez pas l’intention de traiter avec nous.
— Pour l’instant, je crois que vous avez raison.
— Alors, nous devons trouver un autre moyen. Votre refus va nous causer bien du tracas et va nous faire perdre notre temps. Nous vous le reprocherons.
— Je pense que je le supporterai.
— Il vaut mieux être du côté du vainqueur.
Une masse compacte et rapide frôla Maxwell et il saisit un éclair de dents luisantes et un pelage roux.
— Sylvester ! cria Maxwell. Arrête !
M. Marmaduke se déplaça à toute vitesse. Il vira sur ses roues pour éviter la charge de Sylvester et tenter d’atteindre la porte. Sylvester fit demi-tour et on entendit le grincement de ses griffes sur le sol. Maxwell aperçut le Roulant qui se dirigeait droit sur lui, il fit un plongeon pour s’écarter mais une roue le heurta à l’épaule et le poussa rudement sur le côté. M. Marmaduke sortit de la pièce comme un éclair, suivi par Sylvester, silhouette longue et souple qui paraissait voler dans les airs.
— Arrête, Sylvester ! cria Maxwell tout en sortant lui-même en courant. Il prit si vite le tournant du hall que ses jambes pédalèrent dans le vide un moment.
Devant lui, le Roulant avançait avec aisance dans le hall, toujours suivi de Sylvester. Maxwell ne s’essouffla pas davantage à appeler le chat mais se lança dans la course.
Au fond du hall, M. Marmaduke bifurqua sur la gauche et Sylvester perdit de précieuses secondes à essayer, sans succès, de l’imiter. Maxwell les suivit et il déboucha dans un corridor au bout duquel un petit escalier de marbre descendait vers la foule des invités.
M. Marmaduke se dirigeait très vite vers l’escalier, suivi à une distance d’environ trois bonds par Sylvester, puis encore un bond plus loin par Peter Maxwell.
Maxwell tenta d’avertir le Roulant mais il ne trouva pas le souffle et, de toute façon, les événements étaient trop rapides.
Le Roulant trébucha sur la marche supérieure. Maxwell fit un vol plané pour atterrir sur le chat et le ceinturer. Tous deux s’étalèrent sur le sol et ils déboulèrent le long du couloir. Il eut le temps d’apercevoir le Roulant qui rebondissait sur la deuxième marche et commençait à dévaler l’escalier.
Soudain, des cris de femmes effrayées, d’hommes stupéfaits retentirent, accompagnés de bruits de verres cassés. Maxwell eut une vilaine pensée et se dit que Nancy aurait plus de succès qu’elle ne l’avait espéré.
Il s’écrasa contre le mur au bord de l’escalier et, il ne comprit pas comment, Sylvester était installé sur lui, appliqué à lui lécher le visage.
— Sylvester, tu as réussi cette fois-ci. Tu nous as bien mis dans le pétrin.
Sylvester continua à le lécher en ronronnant.
Maxwell repoussa le chat et réussit à s’asseoir contre le mur.
En bas, M. Marmaduke était renversé sur le flanc. Ses roues tournaient dans le vide, et le frottement de celle qui était sur le sol le faisait tourner sur lui-même.
Carol descendit l’escalier en courant et s’arrêta les poings sur les hanches pour regarder Maxwell et Sylvester.
— Tous deux ensemble, s’exclama-t-elle, puis la colère l’étouffa.
— Nous sommes désolés, dit Maxwell.
— L’hôte d’honneur ! Vous pourchassez l’hôte d’honneur dans les couloirs comme si c’était un élan !
Elle pleurait presque.
— Je vois qu’il est entier. Nous ne lui avons pas fait trop de mal. Je m’attendais à lui trouver le ventre éclaté et toute sa vermine répandue partout.
— Que va penser Nancy ? dit Carol avec reproche.
— Je pense qu’elle sera ravie. Il n’y a jamais eu autant d’ambiance à aucune de ses soirées. À part la fois où l’Amphibie du Système Nettle, celui qui soufflait des flammes, a mis le feu à l’arbre de Noël.
— Vous inventez, dit Carol.
— Je vous jure que c’est vrai. J’y étais. J’ai même aidé à éteindre le feu.
En bas, on hissait M. Marmaduke pour le remettre d’aplomb sur ses deux roues. De petits robots serveurs s’affairaient. Ils ramassaient les débris de verres cassés et essuyaient les boissons répandues sur le sol.
Maxwell se releva et Sylvester se rapprocha de lui. Il se frotta contre ses jambes en ronronnant.
Nancy était apparue, elle parlait à M. Marmaduke. Un cercle d’invités s’était formé autour d’eux pour écouter la conversation.
— À votre place, suggéra Carol, je disparaîtrais le plus vite possible. Je ne pense pas que vous soyez très bien accueilli.
— Je crois que si. Je suis toujours le bienvenu ici.
Il commença à descendre l’escalier. Sylvester le suivit d’un pas royal. Nancy se retourna et le vit. Elle traversa le cercle des invités pour venir à sa rencontre.
— Pete ! s’exclama-t-elle. Alors, c’est bien vrai, vous êtes revenu ?
— Bien sûr, dit Maxwell.
— Je l’ai lu dans les journaux mais je n’y croyais pas vraiment. Je pensais qu’il s’agissait d’une blague ou d’une mystification.
— Mais, vous m’avez invité !
— Invité ?
Il voyait qu’elle ne plaisantait pas.
— Vous voulez dire que vous ne m’avez pas envoyé la Crevette ?
— La Crevette ?
— Enfin, quelque chose qui ressemblait à une crevette géante.
Elle hocha la tête négativement. Maxwell l’observait et il s’aperçut qu’elle vieillissait. Elle avait au coin des yeux de petites rides que le maquillage n’avait pu camoufler. Cela lui fit un choc.