— Vous vous êtes peut-être écartés mais vous êtes restés.
— Il était trop tard, nous ne pouvions plus aller nulle part. La vieille planète était mourante, nous ne pouvions y retourner. Et aussi étrange que cela paraisse, cette planète-ci est devenue la nôtre.
— Vous devez détester les Humains ?
— Il y eut un temps où nous les détestions. Je pense que la haine demeure, elle ne peut disparaître d’un coup. Mais même dans notre haine, nous avons toujours ressenti une certaine fierté à votre égard. Autrement, comment expliqueriez-vous que la vieille planète vous ait offert le savoir qu’elle possède ?
— Mais, vous l’avez aussi offert au Roulant.
— Le Roulant ? Ah oui, je vois de qui vous parlez. Nous ne lui avons pas vraiment offert. Il avait entendu parler de la vieille planète. Sans doute un bruit qui court dans l’espace très lointain. Il avait entendu dire que la planète possédait quelque chose qu’elle était prête à vendre. Il est venu me voir et ne m’a posé qu’une question. Il m’a demandé le prix. Je ne sais pas s’il savait même ce qui était à vendre.
— Et vous lui avez dit que le prix en était l’Artifact ?
— Bien sûr, car à ce moment-là, je ne connaissais pas votre existence. Ce n’est que plus tard que j’ai été averti que j’aurais à vous indiquer le prix de la vente.
— Et, bien entendu, vous alliez le faire ?
— Oui. Maintenant je l’ai fait et ma mission est terminée.
— Pouvez-vous me dire encore une chose ? Qu’est-ce que l’Artifact ?
— Je ne peux pas vous le dire.
— Vous ne pouvez pas ou vous ne voulez pas ?
— Je ne veux pas.
Vendue, la race humaine était vendue, se dit Maxwell. Par cette chose moribonde qui, malgré ses dires, n’avait jamais eu l’intention de lui indiquer le prix réclamé par la planète de cristal. Cette chose qui depuis des millénaires avait nourri une haine froide envers la race humaine. Et maintenant qu’il était hors de toute atteinte, le Banshee lui parlait et se moquait de lui afin qu’il sache bien de quelle façon l’humanité avait été vendue, pour que tous les Humains sachent ce qui s’était passé.
— Et vous avez aussi parlé de moi au Roulant, dit-il. C’est pour cela que Churchill m’attendait à la gare. Il m’a dit qu’il rentrait de voyage, mais c’était faux.
Il se releva, furieux :
— Et l’autre moi, celui qui est mort ?
Il se tourna vers l’arbre mais celui-ci était vide, le nuage avait disparu. Les branches se tendaient nettes et nues vers le ciel.
Le Banshee n’était pas mort, il s’était évanoui. La substance d’une créature élémentaire était retournée aux éléments. Les liens invisibles qui lui avaient permis de vivre s’étaient finalement relâchés et le Banshee avait coulé dans l’air comme une pincée de poudre.
Vivant, le Banshee n’avait pas été facile à côtoyer, sa mort n’avait rien changé. Pendant un instant, Maxwell avait éprouvé de la pitié à son égard, comme on en ressent devant ce qui meurt, mais c’était de la pitié mal placée car le Banshee était mort en se moquant de la race humaine.
Maxwell n’avait plus qu’une chance. Persuader le Temps de faire traîner la vente de l’Artifact. Il pourrait alors rencontrer Arnold, lui raconter son histoire et le persuader d’une façon ou d’une autre de la véracité de ses dires. Son histoire était encore plus incroyable maintenant.
Il rebroussa chemin et descendit le ravin. Avant d’atteindre les bois, il se retourna. L’arbre se découpait sur le ciel, massif et vigoureux, solidement enraciné dans le sol.
En passant devant la pelouse aux Fées, il vit un groupe de Trolls qui travaillaient d’un air morose. Ils ratissaient et aplanissaient le sol, ils plantaient un nouveau gazon pour remplacer celui qu’ils avaient abîmé avec la pierre. De la pierre elle-même, pas de trace.
XVIII
Maxwell avait parcouru la moitié du chemin qui le séparait du campus quand Fantôme se matérialisa et prit place à côté de lui.
— J’ai un message de la part de Oop, dit-il sans aucune autre forme de préambule. Tu ne dois pas retourner à la cabane. Il semble que les journalistes aient retrouvé ta piste, ils sont venus aux renseignements et Oop les a fait déguerpir mais ils rôdent toujours dans les parages.
— Merci de m’avoir prévenu. Quoique, à mon avis, cela n’ait plus beaucoup d’importance.
— Pourquoi ? Ça ne va pas ?
— Pas du tout. Je pense que Oop t’a raconté ?
— Oop et moi ne faisons qu’un. Bien sûr qu’il m’a raconté, d’ailleurs il pensait que tu t’en douterais. Mais tu peux être tranquille…
— Je ne te le demandais pas pour cela mais pour savoir s’il me faudrait tout raconter depuis le début. Donc tu sais que je suis allé à la réserve pour vérifier l’histoire du tableau de Lambert.
— Oui, celui de Nancy Clayton.
— J’en ai peut-être découvert davantage que je n’espérais. En tout cas, j’ai trouvé quelque chose qui n’est pas fait pour m’aider : c’est le Banshee qui a dit au Roulant le prix que demande la planète de cristal, alors que c’était à moi qu’il aurait dû le dire. Il a dit qu’il ne connaissait pas encore mon rôle dans cette affaire mais je n’y crois guère. Il était mourant quand il m’a parlé mais cela n’est pas une raison pour m’avoir dit la vérité, il a toujours été plutôt sournois.
— Le Banshee ? mourant ?
— À l’heure qu’il est, il est même mort. Je suis resté auprès de lui jusqu’à sa mort. Je ne lui ai pas fait voir la photo, je n’ai pas eu le cœur de l’ennuyer.
— Mais il t’a parlé du Roulant ?
— Simplement pour me dire qu’il avait détesté la race humaine dès le début de son évolution et qu’enfin il était quitte. Il aurait bien voulu me dire que les Lutins et tous les autres Petits Hommes nous détestaient aussi mais il n’a pas osé, il savait que je ne le croirais pas. Cependant, une phrase de M. O’Toole m’a fait réaliser qu’il existait sans doute une certaine rancœur, mais il ne s’agit pas vraiment de haine de leur part. Le Banshee m’a confirmé que l’Artifact était bien le prix demandé sur la planète de cristal ; c’est ce que je pensais depuis le début et ce que m’a dit le Roulant hier soir n’avait fait que me confirmer dans cette idée. En fait, le Roulant lui-même n’avait pas l’air d’être très sûr de la situation, sinon pourquoi m’aurait-il fait venir pour me proposer du travail ? On aurait dit qu’il voulait m’éliminer comme s’il avait peur que je puisse faire échouer son affaire.
— Il semble que ce soit sans espoir et j’en suis désolé. Peut-être que je peux t’aider ? Oop aussi et même la fille avec laquelle vous avez bu si grossièrement, celle qui a le chat.
— C’est bien mal parti mais il y a encore deux choses à faire. D’abord, aller trouver Harlow Sharp au Temps et tenter de le convaincre de laisser l’affaire en suspens puis, forcer une ou deux portes à l’Administration et coincer Arnold dans son bureau. Si j’arrive à le décider à faire la même offre que le Roulant pour l’Artifact, je suis certain qu’Harlow refusera la proposition du Roulant.
— Tu auras fourni un bel effort mais je ne suis pas très sûr du résultat. Pas en ce qui concerne Harlow Sharp qui est un de tes amis mais plutôt en ce qui concerne le Président Arnold qui, lui n’est l’ami de personne. En plus, il n’appréciera guère les portes enfoncées.
— Tu sais ce que je pense ? Que tu as raison mais on ne peut rien affirmer avant d’avoir essayé. Peut-être qu’Arnold aura une faiblesse et que pour une fois il laissera ses préjugés et sa froideur de côté.