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Drayton lui avait demandé s’il y avait un lien entre la planète de cristal et les Roulants. Toujours les Roulants, c’était une obsession. Et peut-être avait-on raison. Mais on savait bien peu de choses d’eux. Ils avaient donné naissance, loin dans l’espace, à un autre grand groupe culturel qui se développait dans toute la galaxie. Le contact avec la culture humaine sans cesse croissante se faisait, non sans heurts, le long d’une frontière lointaine.

Il se rappelait la seule et unique fois où il avait vu un Roulant. C’était un étudiant du Collège d’Anatomie Comparée de Rio de Janeiro, il était venu au Collège du Temps pour un séminaire de deux semaines. Sa visite avait fait beaucoup de bruit sur le campus du Wisconsin mais les occasions d’apercevoir la créature extraordinaire avaient été rares car elle était restée dans les limites du séminaire. Un jour où il traversait le mail pour aller déjeuner avec Harlow Sharp, il l’avait aperçue qui roulait le long d’un couloir. Il avait été secoué.

C’était surtout les roues. Aucune autre créature dans la galaxie n’était affublée de roues. Du milieu de son corps replet et rondouillard jaillissaient deux moyeux terminés par des roues sur lesquelles il se balançait. Les roues étaient recouvertes de poils et leur rebord était en corne. La partie inférieure du corps pendait comme une poche.

Mais le pire de tout, il ne le découvrit que lorsque le Roulant s’approcha. Cette poche était transparente et remplie d’objets grouillants qui ressemblaient à des vers. C’était en fait, et Maxwell le savait, des insectes. Les Roulants, étaient un tas d’insectes articulés. Et ils formaient un groupe culturel, une population entière !

Il n’était pas difficile de comprendre toutes les histoires de terreur qui provenaient de la lointaine frontière. Et si elles étaient vraies, l’homme avait alors rencontré cet ennemi qu’on avait toujours pensé trouver un jour dans l’espace.

Maxwell pensa que de toutes les créatures bizarres ou effrayantes qui peuplaient la galaxie, aucune ne pouvait égaler en horreur un tas d’insectes monté sur roues. Il y avait de quoi avoir le souffle coupé.

Aujourd’hui, c’est par milliers que les créatures extra-terrestres venaient dans les universités et les collèges de la Terre, en tant qu’auditeurs ou en tant que professeurs. Ainsi s’était formée la grande Université Galactique. Et peut-être qu’un jour, si on trouvait un point d’entente, les Roulants eux aussi fréquenteraient les collèges terrestres. Mais on n’avait pas encore découvert ce point d’entente…

Pourquoi donc, se demandait Maxwell, alors que l’homme et les créatures avec lesquelles il avait établi des contacts dans la galaxie avaient appris à cohabiter, pourquoi donc la seule évocation des Roulants donnait-elle la chair de poule ?

Rien que dans cette salle d’attente, on voyait un échantillonnage de ces créatures extra-terrestres : il y avait des Sautillants, des Rampants, des Grimpants, des Gigotants et des Tonneaux, venus de différentes étoiles et planètes. La Terre était le lieu de brassage de toute la galaxie, où tous les êtres se rencontraient pour échanger et partager pensées et cultures.

— Le numéro 56-92, appela le haut-parleur, départ dans cinq minutes, porte 37. Le passager 56-92, embarquement immédiat porte 37.

Quelle pouvait être la destination de ce passager ? Les jungles de Migraine II, les villes farouches et glaciales de Misère IV, les planètes désertes des Soleils Meurtriers ? ou n’importe laquelle des autres planètes innombrables ? Toutes ces planètes étaient maintenant très proches, reliées par le système d’émission mais elles représentaient des années d’effort et de recherche à travers l’espace sombre et éternel. Encore maintenant, l’univers de l’homme s’accroissait lentement et avec difficulté.

La salle d’attente était bourdonnante, on entendait les appels des voyageurs en retard, les conversations tenues en cent langues diverses, les bruits de pas.

Il prit son bagage et se dirigea vers l’entrée.

À peine avait-il fait trois pas qu’il dut céder le passage à un camion qui portait un réservoir empli d’un liquide brunâtre. Il entrevit dans le liquide opaque une ombre tapie et furieuse. Peut-être une créature d’une des planètes liquides. C’était sûrement un professeur en visite au Collège de Philosophie ou à l’Institut Scientifique.

Une fois le camion passé, il continua son chemin et sortit sur la magnifique esplanade dallée qui surplombait les chaussées roulantes. Il remarqua avec plaisir qu’il n’y avait pas de file d’attente, comme c’était si souvent le cas.

Il respira une grande bouffée d’air. De l’air pur, de l’air d’automne, vif et mordant, ce qui était bien agréable après avoir respiré pendant plusieurs semaines l’air mort et putride de la planète de cristal.

Il se dirigea vers l’escalier et, ce faisant, il aperçut l’annonce sur le passage menant aux chaussées. Elle était grande et rédigée en vieil anglais :

WILLIAM SHAKESPEARE, BSQ.

de Stratford-sur-Avon, Angleterre

« Comment je ne suis pas l’auteur de mes œuvres »

Sous le patronage du Collège du Temps

Le 22 oct, à 20 h.

Auditorium du Musée du Temps Billets dans toutes les agences.

Une voix appela :

— Maxwell !

Un homme courait vers lui.

Maxwell posa son bagage, esquissa un signe de reconnaissance puis, réalisant qu’il ne le connaissait pas, laissa retomber sa main.

L’homme ralentit :

— Vous êtes bien le Professeur Maxwell, n’est-ce pas ? demanda-t-il en arrivant à sa hauteur. Je suis sûr de ne pas m’être trompé.

Maxwell acquiesça, légèrement gêné.

— Monty Churchill, se présenta l’inconnu, en tendant la main. Nous nous sommes rencontrés il y a environ un an à l’une des soirées de Nancy Clayton.

— Comment allez-vous ? demanda Maxwell sur un ton plutôt froid. Maintenant, il le reconnaissait. Tout au moins son nom. Un homme de loi, à ce qu’il lui semblait, mais il n’en était pas certain. Il travaillait comme public-relation, si ses souvenirs étaient bons. Un combinard. Il faisait partie de cette race d’hommes qui travaillent pour quiconque peut les payer.

— Très bien, répondit joyeusement Churchill. Je rentre à la minute de voyage, un petit voyage. Mais, c’est bien bon de rentrer. Rien n’est meilleur que d’être chez soi. C’est pour cela que je vous ai interpellé. Vous êtes le premier visage connu que j’aie vu depuis plusieurs semaines.

— Cela me fait très plaisir, dit Maxwell.

— Vous retournez au campus ?

— Oui, j’allais à la chaussée roulante.

— Ça n’est pas la peine, dit Churchill, j’ai mon avion. Il est au parking juste derrière. Il y a de la place pour deux. Vous serez rentré beaucoup plus vite.

Maxwell hésita. Churchill ne lui était pas sympathique, mais d’un autre côté, il avait raison. Il serait plus tôt au campus. Et il avait hâte d’y être pour vérifier certaines choses.

— C’est très aimable à vous, dit-il. Si vous êtes sûr d’avoir de la place…

III

Le moteur toussa puis s’arrêta. Les réacteurs ronflèrent encore une seconde et se turent. L’air vibra contre la carlingue.

Maxwell jeta un rapide coup d’œil à son voisin. Churchill était assis, raide, comme frappé de frayeur ou peut-être simplement étonné, car même Maxwell se rendait compte qu’un tel incident était absolument impensable. Un avion comme celui-ci ne pouvait tomber en panne.