Maxwell le coupa :
— Je ne suis pas venu pour…
— Et puis, continua Sharp, tout à coup s’est présentée l’occasion de vendre l’Artifact, pour une somme supérieure à ce que nous pouvons espérer tirer de cette Université en plus de cent ans. Tu dois comprendre ce que cela signifie pour nous. Enfin nous allons pouvoir réaliser nos projets. Bien entendu, je connais les Roulants. Quand Churchill est venu faire le joli cœur, je savais qu’il travaillait pour le compte de quelqu’un et je n’étais pas d’accord. J’ai voulu savoir à qui j’avais à faire. Quand il me l’a dit, j’ai hésité, mais je me suis repris car je savais que c’était le seul système pour obtenir une somme convenable. J’aurais traité avec le diable pour avoir cet argent.
— Harlow, tout ce que je veux te demander est de reculer l’échéance de cette affaire, pour me laisser un peu de temps.
— Du temps ? Pour quoi faire ?
— J’ai besoin de l’Artifact !
— Pourquoi ?
— Il doit me servir de monnaie d’échange avec une planète remplie de science. Des connaissances amassées non pas par un univers mais deux. Cela représente peut-être cinquante billions d’années de savoir.
Sharp se pencha en avant puis se renfonça dans son fauteuil :
— Tu dis la vérité ? Tu ne te moques pas de moi ? J’ai entendu de drôles d’histoires, on m’a parlé de deux Pete Maxwell dont l’un aurait été tué. On m’a dit que tu avais roulé les journalistes, peut-être aussi les flics, que tu avais eu une prise de bec avec l’Administration.
— Harlow, je pourrais tout te raconter mais cela ne servirait à rien, tu ne me croirais pas. Mais je te dis la vérité, je peux acheter une planète.
— Toi ? Pour toi ?
— Non, pas pour moi, pour l’Université. C’est pourquoi il me faut du temps pour pouvoir rencontrer Arnold.
— Et lui passer l’affaire ? Pete, tu n’as aucune chance. Tu t’es disputé avec Longfellow et c’est lui qui décide. Même si ton offre était valable…
— Elle l’est, je te le garantis ! J’ai parlé avec les habitants de la planète en question. J’ai vu quelques-uns de leurs documents.
Sharp hocha la tête :
— Il y a longtemps que nous sommes amis, je ferais n’importe quoi pour toi mais là, je ne peux pas marcher. En plus, je crains qu’il ne soit trop tard.
— Trop tard ?
— La somme m’a été versée cet après-midi. Le Roulant prend possession de l’Artifact demain matin. Il le voulait immédiatement mais il y avait un ou deux détails à régler pour le transport.
Maxwell était abasourdi.
— Eh bien, voilà, dit Sharp. Je ne peux pas y changer grand-chose.
Maxwell commença à se lever. Il se rassit :
— Harlow, si jamais je pouvais voir Arnold ce soir, si j’arrivais à le décider à payer le même prix.
— Ne sois pas bête. Il s’évanouirait rien qu’en entendant le prix.
— C’est si cher que cela ?
— Oui.
Maxwell se leva lentement.
— Je dois te dire qu’en tout cas tu as fait peur au Roulant. Churchill était ici ce matin, nerveux comme une puce, l’écume aux lèvres. Il voulait conclure tout de suite. J’aurais aimé que tu sois venu plus tôt, nous aurions trouvé une solution.
Maxwell était sur le point de s’en aller, il revint vers le bureau de Sharp :
— J’ai encore quelque chose à te dire. C’est à propos de voyages dans le temps. Nancy a un tableau de Lambert.
— J’en ai entendu parler.
— Dans le fond, il y a une colline surmontée d’une pierre. C’est l’Artifact, j’en mettrais ma main au feu. Oop dit que les créatures représentées sur le tableau sont les mêmes que celles qui vivaient à l’époque de Néanderthal. Et vous, vous avez trouvé l’Artifact au sommet d’une colline jurassique. Comment Lambert pouvait-il savoir que l’Artifact était sur une colline ? On ne l’a découvert que plusieurs siècles après sa mort. À mon avis, Lambert a vu l’Artifact et les créatures qu’il a peintes, il a dû voyager dans le temps jusqu’à l’ère mésozoïque. Il existe un rapport sur un certain Simonson, n’est-ce pas ?
— Je vois où tu veux en venir. Simonson a fait quelques recherches sur le temps au XXIe siècle. Il a déclaré avoir connu certains succès mais il a avoué avoir eu des problèmes de contrôle. On raconte qu’il aurait perdu un ou deux hommes. Il les aurait envoyés dans le temps, sans pouvoir les en ramener. Mais on s’est toujours demandé s’il avait vraiment connu des succès. Ses notes sont peu révélatrices et il n’a jamais rien publié. Il travaillait dans le secret parce qu’il pensait que les voyages dans le temps pouvaient devenir une mine d’or. Il pensait aux expéditions scientifiques, aux chasseurs qui voudraient trouver du gros gibier et à tout un tas de trucs de ce genre. Une de ses idées était de remonter le temps en Afrique du Sud pour rafler tous les diamants du Kimberley. C’est pourquoi il tenait à garder le secret. Personne n’a jamais trop su ce qu’il a vraiment fait ou non.
— Mais cela n’est pas impossible. Simonson et Lambert étaient contemporains et il y a une coupure très nette dans le style de Lambert, comme s’il s’était passé quelque chose. Peut-être s’agit-il d’un voyage dans le temps.
— Bien sûr, c’est possible mais je ne m’avancerais pas.
XX
Quand Maxwell sortit du Temps, les étoiles commençaient à briller dans le ciel. Le vent s’était rafraîchi. Les ombres des grands ormes cachaient la lumière des fenêtres de l’autre côté du mail.
Maxwell frissonna et releva le col de sa veste. Il descendit rapidement les escaliers et se mit à marcher sur le trottoir qui bordait le mail. Il y avait peu de monde dehors.
Il se rendit compte qu’il avait faim. Il n’avait rien mangé depuis le matin et il trouva comique de songer à sa faim alors que son dernier espoir venait de s’envoler. Il n’avait plus de toit où dormir car, s’il voulait éviter les journalistes, il ne pouvait retourner chez Oop. Mais maintenant, il n’avait plus de raison de se cacher des journalistes, il n’avait rien à perdre ni à gagner en racontant son histoire. Il frissonna en imaginant leurs visages incrédules, leurs questions, leur style pompeux, la façon dont ils tourneraient en dérision son aventure.
Il s’immobilisa un instant, ne sachant quelle direction choisir. Il essaya vainement de penser à un café, un restaurant où il ne risquerait pas de rencontrer quelqu’un de la Faculté. Ce soir, il appréhendait d’avoir à répondre à leurs questions.
Il entendit un léger bruissement à son côté et se retourna vivement. Il se trouva face à face avec Fantôme.
— Ah, c’est toi ?
— Je t’attendais. Tu es resté longtemps là-dedans.
— J’ai dû attendre, puis nous avons discuté.
— Alors ?
— Rien. L’Artifact est vendu et payé. J’ai bien peur que tout ne soit terminé. Je pourrais essayer d’aller voir Arnold ce soir, mais cela ne servirait à rien. C’est trop tard.
— Oop nous garde une table, tu dois avoir faim.
— Je meurs de faim.
— Alors, suis-moi. Je te montre le chemin.
Ils quittèrent le mail et errèrent pendant un temps qui sembla particulièrement long à Maxwell au travers de petites ruelles.
— C’est un endroit où personne ne nous verra, dit Fantôme. La nourriture est correcte et le whisky bon marché. Oop l’a bien précisé.