— Nous n’avons jamais voulu vous ruiner, protesta Oop. Nous n’avons rien contre vous, les choses ont commencé à aller mal d’elles-mêmes et elles ne se sont pas arrêtées.
— En toute justice, je devrais poursuivre chacun d’entre vous jusqu’à son dernier centime. Je devrais demander un jugement, et je l’obtiendrais, qui vous obligerait à travailler pour le Temps jusqu’à la fin de vos jours. Mais à vous trois, vous pourriez à peine rembourser une fraction de ce que vous avez coûté ce soir au Temps. Alors, cela ne servirait à rien. Toutefois, à mon avis, la police va vouloir fourrer son nez dans votre gâchis. Je ne crois pas que l’on puisse l’éviter. Vous allez avoir à répondre à de nombreuses questions.
— Si on voulait m’écouter, dit Maxwell, je pourrais tout expliquer. C’est ce que j’essaye de faire depuis mon retour. Je veux trouver quelqu’un qui m’écoute. J’ai essayé avec toi cet après-midi…
— Alors, dit Sharp, commence à tout m’expliquer à moi. J’éprouve une curiosité toute légitime. Allons dans mon bureau de l’autre côté de la rue, nous pourrons y bavarder, à moins que cela ne vous convienne pas. Vous avez sans doute encore une chose ou deux à faire pour terminer de mettre le Temps en faillite.
— Non, dit Oop. Nous avons terminé, je vous le dis. Bien vrai !
XXIII
L’inspecteur Drayton quitta péniblement la chaise sur laquelle il était installé dans la salle d’attente de Sharp.
— Je suis heureux que vous arriviez, docteur Sharp, il s’est passé quelque chose…
L’inspecteur arrêta net son discours en croisant le regard de Maxwell.
— Ainsi, c’est vous, dit l’inspecteur, je suis heureux de vous voir. Vous m’avez fait courir.
Maxwell fit la grimace :
— Je ne suis pas certain, inspecteur, d’éprouver le même plaisir.
S’il existait quelqu’un dont il aurait bien pu se passer en ce moment, c’était justement l’inspecteur Drayton.
— Et qui êtes-vous donc ? lui demanda sèchement Sharp. Que signifie votre intrusion ?
— Je suis l’inspecteur Drayton, de la Sécurité. J’ai eu une petite entrevue avec le professeur Maxwell lors de son retour sur la Terre mais il reste encore quelques questions…
— En ce cas, l’interrompit Sharp, je vous prie d’attendre votre tour. J’ai une affaire à voir avec le docteur Maxwell et j’ai bien peur qu’elle ne l’emporte sur la vôtre.
— Vous ne comprenez pas, dit Drayton. Je ne suis pas venu ici pour arrêter votre ami. Je ne m’attendais pas à le voir arriver avec vous. J’aurais besoin de votre aide pour une autre affaire. Voyez-vous, j’avais entendu dire que le professeur Maxwell assistait à la dernière soirée de Mlle Clayton, alors j’ai été la voir et…
— Expliquez-vous, mon brave, dit Sharp. Que vient faire Nancy…
— Je ne sais pas, Harlow, dit Nancy Clayton depuis le seuil du bureau. Je n’ai jamais voulu être mêlée à quoi que ce soit. Tout ce que j’essaye de faire c’est distraire mes amis et je ne vois pas ce qu’il y a de mal.
— Je vous en prie, Nancy, dit Sharp, commencez par me dire de quoi il s’agit. Pourquoi êtes-vous ici ainsi que l’inspecteur Drayton et pourquoi…
— Il s’agit de Lambert, dit Nancy.
— Vous parlez de celui qui a fait le tableau que vous possédez ?
— J’en ai trois, dit fièrement Nancy.
— Mais, il est mort depuis plus de cinq cents ans.
— C’est aussi ce que je pensais, dit Nancy, mais il est arrivé ce soir. Il a déclaré être perdu.
Un homme pénétra dans la pièce, écartant Nancy. Il était grand et rude, avec des cheveux couleur sable et un visage marqué de rides profondes.
— On dirait que vous parlez de moi. Verriez-vous un inconvénient à ce que je m’explique directement ?
Il parlait avec un drôle d’accent et il les regardait tranquillement, avec une expression de grande bonté dans les yeux. Il était impossible de lui trouver quoi que ce soit d’antipathique.
— Vous êtes Albert Lambert ? demanda Maxwell.
— Oui, et j’espère que je ne vous dérange pas mais j’ai un problème.
— Et vous pensez être le seul ? demanda Sharp.
— Je ne sais pas. Je pense que beaucoup de gens en ont. Quand on a un problème, la question est de savoir où aller pour y trouver une solution.
— Monsieur, dit Sharp, je suis exactement dans la même situation et tout comme vous, je cherche la réponse.
— Mais ne voyez-vous pas, dit Maxwell, que Lambert a été bien inspiré ? Il est venu directement là où on peut résoudre son problème.
— À votre place, jeune homme, dit Drayton, je ne serais pas si catégorique. L’antre jour, vous vous êtes montré très rusé, mais cette fois-ci, je ne vous laisserai pas vous défiler. J’ai un tas de questions…
— Inspecteur, je vous prie de rester en dehors de tout cela, dit Sharp.
— Les choses sont assez compliquées sans que vous vous en mêliez. L’Artifact a disparu, le musée est entièrement dévasté et Shakespeare s’est volatilisé.
— Mais tout ce que je veux, dit Lambert calmement, est retourner chez moi, en 2023.
— Attendez une minute, ordonna Sharp. De quoi parlez-vous ?
— Harlow, je t’ai tout expliqué cet après-midi. Je t’ai posé des questions à propos de Simonson. Tu te le rappelles sûrement ?
— Simonson, oui maintenant je me le rappelle. Sharp regarda Lambert. Vous êtes celui qui a peint l’Artifact.
— L’Artifact ?
— Une grosse pierre noire en haut d’une colline.
— Non, je ne l’ai pas peint mais je pense le faire. En fait, il semble que je l’ai déjà peint car Mlle Clayton me l’a montré et il s’agit incontestablement d’une de mes œuvres. Et d’ailleurs, je ne trouve pas cela trop mal.
— Alors, vous avez réellement vu l’Artifact ? Vous êtes allé à l’époque jurassique ?
— Jurassique ?
— Deux cents millions d’années en arrière.
Lambert parut surpris :
— Ainsi, c’était il y a si longtemps ? Je savais qu’il s’agissait d’une époque très lointaine, j’ai vu des dinosaures.
— Mais vous deviez être au courant puisque vous voyagiez dans le temps.
— L’ennui, c’est que mon unité de temps s’est déréglée. Je ne peux pas choisir mon époque.
Sharp se prit la tête entre les mains :
— Voyons. Ne nous précipitons pas, regardons une chose à la fois.
— Je vous ai expliqué, dit Lambert, que je ne demandais qu’une chose, c’est rentrer chez moi, dans mon époque.
— Où est votre engin ? demanda Sharp. Nous pourrions y jeter un coup d’œil.
— Il n’est nulle part. Je le promène partout, il est dans ma tête.
— Dans votre tête ? Une unité de temps dans la tête, mais c’est impossible !
Maxwell sourit à Sharp :
— Cet après-midi, vous m’avez dit que Simonson avait très peu parlé de sa machine à voyager dans le temps. Il semble…
— C’est vrai, je vous ai dit cela mais qui aurait pu penser à un système installé dans le cerveau même du sujet ? Cela implique un principe que nous ignorons totalement.
Il se tourna vers Lambert :
— Avez-vous la moindre idée du fonctionnement du mécanisme ?
— Pas du tout. Tout ce que je sais, c’est qu’à partir du moment où on me l’a installé dans le crâne, j’ai acquis la faculté de voyager dans le temps. Je peux vous assurer que cela n’a pas été une petite opération. Il me suffit de penser à l’époque où je veux aller, en m’appuyant sur quelques coordonnées assez simples, et j’y suis. Mais quelque chose s’est détraqué. Je vais et je viens dans le temps, sans pouvoir jamais me trouver à l’époque que je désire.