— Mais le chat en a déjà tué un.
— Le chat n’est pas un Humain.
— Sylvester n’a essayé que de nous défendre, protesta Carol.
— Faut-il marcher si vite ? gémit Nancy. Je ne suis pas habituée.
— Prenez mon bras, lui offrit Lambert. Le sentier est en effet un peu raide.
— Savez-vous, Pete, demanda Nancy tout excitée, que monsieur Lambert a accepté d’être mon invité pour environ un an. Il me fera quelques toiles. N’est-ce pas merveilleux pour lui ?
Le sentier grimpait à flanc de coteau depuis trois cents mètres et maintenant, il redescendait vers le ravin encombré de blocs de pierre. Dans la lumière du matin, on aurait dit de grosses bêtes tapies. Le vieux pont enjambait le ravin. En regardant sa structure médiévale, Maxwell se dit qu’il était difficile de croire que sa construction ne datait que de quelques dizaines d’années, au moment de l’installation de la réserve.
Cela ne faisait que deux jours qu’il était de retour sur la Terre. Était-ce bien vrai ? Tant de choses s’étaient produites, et tellement incroyables ! Et cela continuait ; mais de l’issue de tous ces événements pouvait dépendre l’avenir de l’humanité et de la fédération installée par l’Homme parmi les étoiles.
Il essaya de faire appel à sa haine pour les Roulants mais il n’en ressentait pas. Ils étaient trop différents des Humains pour inspirer un tel sentiment. Ils étaient plutôt des abstractions du mal que des êtres vraiment mauvais. Cette distinction évidemment, ne les rendait pas moins dangereux. C’était sûrement eux qui avaient assassiné l’autre Peter Maxwell car lorsque le cadavre avait été découvert, il flottait dans les alentours une odeur étrange et méphitique, tout comme celle dégagée par le Roulant dans le bureau de Sharp. Il avait été assassiné certainement parce que les Roulants avaient cru que c’était lui qui était allé sur la planète de cristal et qu’ils désiraient l’éliminer pour l’empêcher d’intervenir entre eux et le Temps. Mais, lors du retour du deuxième Maxwell, ils avaient reculé devant un second meurtre et c’est pourquoi M. Marmaduke avait tenté de l’acheter.
Maxwell se souvint de Churchill. Dès que tout serait terminé, quel que soit le résultat, il se promit de le retrouver et de lui faire payer ce qu’il devait.
Ils arrivèrent au pont et s’arrêtèrent dessous :
— Eh ! Les Trolls de rien du tout ! appela M. O’Toole. Nous sommes venus vous parler.
— Taisez-vous, dit Maxwell au Lutin. Ne vous en mêlez pas, vous ne savez pas les prendre.
— C’est normal. Ils sont obstinés et ignorent ce qu’est l’honneur.
— Calmez-vous. Plus un mot.
Ils attendirent tous en silence et finalement, une voix criarde s’adressa à eux, sortie de quelque part à l’autre bout du pont :
— Qui est là ? Si vous êtes là pour nous maltraiter, nous ne nous laisserons pas faire. O’Toole, le fort en gueule nous a toujours malmenés et injuriés. Maintenant, c’est terminé.
— Je m’appelle Maxwell. Je viens vous demander votre aide.
— Maxwell ? C’est bien vous, le bon ami d’O’Toole ?
— Je suis votre ami à tous. Je suis resté auprès du Banshee quand il est mort, à votre place.
— Mais vous trinquez avec O’Toole, vous discutez avec lui et vous écoutez ses mensonges.
O’Toole fit un bond en avant, fou furieux :
— Je t’enfoncerai ce que tu viens de dire dans la gorge. Attends donc un peu que je t’attrape…
Il s’arrêta net quand Sharp l’attrapa par le fond de son pantalon et qu’il le maintint suspendu, ivre de colère.
— Continuez, dit Sharp à Maxwell. Si ce petit bonhomme s’avise d’entrouvrir la bouche, je le plonge dans la première mare que je trouve.
Sylvester se glissa près de Sharp. Il avança le cou pour renifler délicatement O’Toole. Celui-ci fit des moulinets désespérés :
— Emmenez-le ! cria-t-il.
— Il vous prend pour une souris, dit Oop, il se demande si vous en valez la peine.
Sharp envoya un coup de pied dans les côtes de Sylvester qui s’enfuit en grognant.
— Harlow Sharp, dit Carol en s’avançant, ne refaites jamais une chose pareille. Si jamais…
— Taisez-vous, cria Maxwell exaspéré. La ferme ! Tous ! Pendant que le dragon est en train de se battre pour vivre, vous ne trouvez rien de mieux à faire que de vous chamailler !
Tous se turent.
Maxwell attendit un instant, puis s’adressa aux Trolls :
— Je ne sais pas ce qui s’est passé avant. Je ne connais pas vos problèmes mais nous avons besoin de vous. Je vous promets de bonnes garanties mais je vous promets aussi, si vous n’êtes pas raisonnable, une bonne décharge d’explosifs sous le pont.
Une voix faible et criarde s’éleva depuis le pont :
— Tout ce que nous avons jamais demandé est qu’O’Toole le fort en gueule nous donne un tonneau de douce bière d’Octobre.
Maxwell se retourna :
— Est-ce vrai ?
Sharp reposa O’Toole pour le laisser répondre.
— C’est contre toutes les traditions, s’écria ce dernier. Voilà ce que c’est. Nous avons toujours été les seuls à brasser la bière joyeuse et nous la buvons seuls. Nous ne pouvons en produire davantage que ce que nous pouvons boire. Et si nous en donnons aux Trolls, les Fées en voudront et…
— Vous savez très bien, dit Oop, que les Fées ne boivent que du lait, tout comme les Farfadets.
— Nous serions tous assoiffés par votre faute, cela représente beaucoup de travail de brasser la quantité dont nous avons besoin.
— On peut sûrement vous aider, suggéra Sharp.
M. O’Toole trépigna de colère :
— Et les insectes ? Je suis sûr que vous les retireriez de la bière, avec votre hygiène ! Pour faire de la bonne bière d’Octobre, il faut y faire tomber des insectes et d’autres choses très malpropres qui donnent toute la saveur.
— Nous y mettrons des insectes, dit Oop. Nous vous en attraperons un seau entier, s’il le faut.
O’Toole virait au violet :
— Vous n’y comprenez rien. Il faut que les insectes y tombent d’eux-mêmes. La sélection est toute naturelle. Je…
Ses mots se transformèrent en un cri étranglé.
Carol appela durement :
— Sylvester, lâche-le, ça suffit !
O’Toole dépassait de la gueule de Sylvester qui le tenait par la tête, de sorte qu’il ne pouvait toucher le sol.
Oop se tordait de rire, allongé sur le sol qu’il frappait à coups de poing.
— Il prend O’Toole pour une souris. Regardez le petit minet qui a attrapé une souris.
Sylvester prenait tout cela très gentiment, il ne blessait que la dignité de O’Toole. Il le tenait délicatement.
Sharp se prépara à donner un coup de pied au chat.
— Non, hurla Carol, ne le touchez pas !
— Ça va, Harlow, dit Maxwell, laisse-le. Il a bien mérité une récompense pour ce qu’il a fait dans ton bureau.
— Nous leur ferons leur tonneau de bière, hurla frénétiquement O’Toole. Nous leur en ferons même deux.
— Trois ! cria la petite voix du pont.
— D’accord.
— Vous ne vous défilerez pas ? demanda Maxwell.
— Les Lutins n’ont qu’une parole.
— Bon, ça va, maintenant tu peux donner ton coup de pied.
Sharp prit son élan, Sylvester lâcha O’Toole et recula.
Les Trolls jaillirent du pont et s’égaillèrent sur la colline en poussant des cris de joie.
Les Humains commencèrent l’escalade de la pente, derrière les Trolls.
Devant Maxwell, Carol trébucha et tomba. Il s’arrêta pour l’aider à se relever. Elle se dégagea et se tourna vers lui, furieuse :