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Et que l’homme de Stratford-sur-Avon fasse une apparition en chair et en os, devait leur retourner le couteau dans la plaie.

Dans le lointain, à l’ouest du campus, Maxwell pouvait distinguer la section administrative qui se détachait bien, masse sombre sur la colline, contre les dernières lueurs rougeâtres du soleil couchant.

La chaussée roulante passa devant le Collège du Temps et son musée. L’horloge finit d’égrener les heures. Les dernières notes moururent dans le lointain.

Six heures… Dans quelques minutes, il descendrait de la chaussée et irait aux « Winston Arms » qui étaient depuis quatre ans – ou plutôt cinq – son domicile. Il glissa la main dans la poche droite de son veston et, du bout des doigts, il suivit le contour des clés rangées dans la petite poche intérieure.

Pour la première fois depuis qu’il avait quitté la gare du Wisconsin, l’histoire des deux Peter Maxwell lui revint à l’esprit. Peut-être était-ce vrai, mais il y avait peu de chances. C’était bien le genre de tours que la Sécurité savait inventer pour désarçonner quelqu’un. Mais, si cela n’était pas vrai, pourquoi aucun rapport n’était-il parvenu du Coonskin, signalant son absence ? Mais il tenait aussi ce renseignement de Drayton. La même chose était déjà arrivée deux fois auparavant. Si la véracité des dires de Drayton pouvait être mise en cause pour une histoire, elle l’était aussi pour l’autre. Si la planète de cristal avait déjà fait deux kidnappings, on ne lui en avait en tout cas rien dit pendant qu’il y était. Mais cela non plus n’était pas une preuve. Les habitants de la planète de cristal ne lui avaient probablement dit que ce qu’ils voulaient bien qu’il sache.

Ce qui le tracassait le plus, ça n’était pas tant ce qu’avait pu lui dire Drayton que les paroles de M. O’Toole.

— Nous avons envoyé des guirlandes de houx et de gui en signe de profond chagrin.

Si les choses s’étaient passées différemment, il aurait pu en parler à son ami le lutin, mais, malheureusement, il n’avait pu lui parler de rien du tout.

Tout cela, se dit-il, pouvait attendre.

Dans un moment, il serait chez lui et de là, en téléphonant à n’importe qui, il connaîtrait la vérité. Qui appeler ? Harlow Sharp au Temps ? Dallas Gregg, son directeur ? Ou bien peut-être Xigmu Maon Tyre, le vieil Éridnéen couvert de fourrure blanche et dont les yeux violets avaient toujours une expression de méditation. Il avait passé une grande partie de sa vie dans le petit casier de son bureau à analyser la structure des mythes. Il ferait peut-être mieux de téléphoner à Allen Preston, son ami l’avoué, car si jamais ce que lui avait dit Drayton était vrai, il lui faudrait affronter d’ennuyeuses questions administratives. Avec impatience, il se reprit intérieurement. Il commençait à y croire. S’il continuait ainsi, il en serait bientôt persuadé.

La résidence « Winston Arms » était juste au bout de la rue. Il se leva, prit son sac et passa sur la chaussée extérieure, la plus lente. Il attendit un peu et descendit en face de chez lui. Il ne vit personne pendant qu’il gravissait les marches menant à la grande entrée de l’immeuble. Il fouilla dans sa poche et il en sortit son trousseau de clés. Il y trouva celle qui ouvrait la porte d’entrée. Il monta dans un des ascenseurs et appuya sur le bouton du 7e étage.

La clé tourna doucement dans la serrure de son appartement et la porte s’ouvrit. Il s’avança dans la pièce sombre. Derrière lui, la porte se referma avec un déclic et il tendit la main vers l’interrupteur mural.

Il arrêta son geste. Il y avait quelque chose d’anormal. Une impression. À moins que ce ne soit une odeur. Oui, c’était bien cela, une odeur. Un parfum étranger, léger et délicat.

Il claqua le mur du plat de la main et la lumière s’alluma.

La pièce était différente. Les meubles n’étaient pas les mêmes. Et ces tableaux sur les murs ! Jamais il n’avait rien possédé de semblable.

Derrière lui, la clé tourna de nouveau dans la serrure et il se retourna.

La porte s’ouvrit toute grande et un tigre pénétra, de sa démarche altière.

À la vue de Maxwell, le gros chat se tapit et gronda, sortant des griffes longues de vingt centimètres.

Précautionneusement, Maxwell recula. Le chat se rapprocha d’une trentaine de centimètres, continuant à grogner. Maxwell fit encore un pas en arrière. Soudain, il sentit un choc contre sa cheville. Il tenta de se dégager mais il ne le put et il se rendit compte qu’il était en train de tomber. Pourtant, il avait vu le pouf, il aurait dû s’en souvenir. Il avait buté dessus et s’étalait sur le dos. Il s’efforça de demeurer souple pour ne pas heurter le sol trop fort. Il n’arriva pas jusque-là, il sentit sous son dos quelque chose de doux et moelleux. Il comprit qu’il avait atterri sur le canapé qui se trouvait derrière le pouf.

Le chat effectua un bond gracieux, les oreilles basses, la gueule entrouverte, ses grandes pattes tendues en avant comme deux béliers. Maxwell leva vite les bras pour se protéger mais ils furent repoussés comme un rien. Les pattes le clouèrent sur le canapé. La grosse tête du chat se trouva juste devant son visage, ses grands crocs luisants sortis. Lentement, le chat baissa la tête et une grande langue rose et râpeuse lui parcourut le visage.

Le chat se mit à ronronner.

— Sylvester ! appela une voix dans l’embrasure. Sylvester, ça suffit !

Le chat lécha encore une fois le visage de Maxwell, de sa langue humide et rêche, puis il s’accroupit et le considéra avec un intérêt amical et enthousiaste, les oreilles pointées vers l’avant, un demi-sourire posé sur sa gueule.

Maxwell se souleva et se retrouva à moitié assis, le bas du dos calé par les coussins du canapé, les épaules contre le dossier.

— Mais qui êtes-vous donc ? demanda la fille qui se tenait sur le seuil.

— Eh bien…

— Vous n’êtes pas bien, dit-elle.

Sylvester ronronna.

— Je suis désolé, Mademoiselle, mais j’habite ici, ou tout au moins, j’y habitais. C’est bien l’appartement soixante et onze n’est-ce pas ?

— Oui. Cela fait tout juste une semaine que je l’ai loué.

Maxwell secoua la tête :

— J’aurais dû m’en douter. Les meubles n’étaient pas les miens.

— J’ai demandé au propriétaire de me débarrasser de tous ces vieux machins, dit-elle. C’était vraiment atroce.

— Attendez que je devine, dit Maxwell. Un vieux siège vert, pas confortable pour un sou.

— Et un coffret rempli de liqueur de noix, ajouta la fille, et un horrible paysage, et…

— Ça suffit comme ça, dit-il, ce sont mes meubles que vous avez jetés.

— Je ne comprends pas. Le propriétaire m’a dit que le locataire précédent était mort ? Un accident, je crois.

Maxwell se leva lentement. Le gros chat l’imita, se rapprocha de lui et se frotta contre ses jambes.

— Arrête ! Sylvester, lança la fille.

Sylvester continuait à se frotter.

— Il ne faut pas faire attention, dit-elle. Ce n’est qu’un gros bébé.

— Un bio-méca ?

Elle acquiesça :

— Il n’y a pas plus mignon. Il m’accompagne partout. Il est rarement embêtant. Je ne sais pas ce qui lui a pris. On dirait qu’il vous aime bien.

Pendant qu’elle parlait, elle regardait le chat, mais maintenant, elle observait Maxwell :

— Vous ne vous sentez pas bien ? demanda-t-elle.

Maxwell secoua la tête.

— Vous avez l’air tout drôle, insista-t-elle.

— Je crois que je suis un peu secoué. Ce que je vous ai dit est la vérité. J’habitais ici, jusqu’à il y a quelques semaines. Il y a eu une confusion…