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— Mais tu sais bien que je ne peux ni boire, ni manger, ni fumer, protesta Fantôme. Il y a beaucoup de choses qu’un fantôme ne peut faire, mais j’aimerais bien que tu cesses de le faire remarquer à chaque personne que nous rencontrons.

Oop s’adressa à Carol :

— Vous semblez surprise qu’un homme de Néanderthal manie l’anglais avec une telle facilité.

— Je ne suis pas surprise, je suis stupéfaite.

Maxwell lui expliqua :

— Depuis douze ans, Oop a été gorgé d’instruction plus que n’importe qui. Il a démarré au niveau du jardin d’enfants et maintenant, il prépare un doctorat. Et il a l’intention de pousser plus avant. Il est, je dois le reconnaître, un de nos étudiants les plus acharnés.

Oop fit de grands gestes pour appeler le garçon.

— Par ici cria-t-il. Il y a des amateurs. Pour l’instant, ils sont tous en train de mourir lentement de soif.

— Ce que j’ai toujours admiré en lui, dit Fantôme, c’est son côté timide et effacé.

— Je continue mes études, dit Oop, pas seulement parce que je suis avide de savoir, mais surtout pour le plaisir que j’éprouve à voir les visages éberlués de tous ces professeurs guindés et de leurs disciples puants.

Il se tourna vers Maxwell :

— Tous les professeurs ne sont pas guindés.

— Merci, dit Maxwell.

— Il y en a qui pensent que l’Homo sapiens neanderthalis ne peut être autre chose qu’une brute stupide. Après tout, il a disparu, il n’a pu survivre, ce qui prouve bien qu’il avait atteint un certain niveau. Je crois que je vais devoir sacrifier ma vie pour prouver que…

Le serveur arriva à côté de Oop.

— C’est encore vous, dit-il. J’aurais dû reconnaître vos cris. Vous n’avez aucune éducation.

Ignorant l’insulte, Oop lui déclara :

— Nous avons parmi nous un homme qui revient d’entre les morts. Je pense qu’une bonne camaraderie serait la bienvenue pour célébrer cette résurrection.

— Si vous voulez boire quelque chose, je prends la commande.

— Pourquoi, demanda Oop, n’apporteriez-vous pas simplement une bonne bouteille de gnôle, un seau à glace, et quatre – non, trois – verres ? Vous savez que Fantôme ne boit jamais.

— Je sais, dit le garçon.

— À moins, dit Oop, que Mademoiselle Hampton ne préfère une boisson fantaisie.

— Pourquoi voulez-vous que je mette la pagaille ? Que prenez-vous donc ?

— Du bourbon, répondit Oop. Pete et moi avons un vilain penchant pour l’alcool.

— Eh bien alors, va pour le bourbon.

— J’espère que quand je vous apporterai la bouteille, vous aurez de quoi me payer. Je me rappelle quand.

Oop ne le laissa pas continuer :

— Ce bon Pete m’avancera la différence.

— Pete ? Le garçon regarda Maxwell. Mais, Professeur, on m’avait raconté…

— C’est ce que j’ai essayé de vous dire, dit Oop. Nous fêtons son retour d’entre les morts.

— Mais, je ne comprends pas.

— Vous n’avez pas à comprendre. Contentez-vous de vous dépêcher de nous apporter la gnôle.

Le garçon s’éloigna rapidement.

— Et maintenant, dit Fantôme à Maxwell, explique-nous. Apparemment tu n’es pas un fantôme ou alors on a fait des progrès depuis l’époque où celui que je représente a abandonné sa dépouille mortelle.

— Je crois, leur dit Maxwell, que je suis un dédoublement de personnalité. L’un des deux a eu un accident. Il est mort.

— Mais, dit Carol, c’est impossible. On peut parler de dédoublement de personnalité au sens psychique, mais pas au sens physique.

— Rien n’est impossible, dit Fantôme.

Oop gratta vigoureusement, avec ses gros doigts, sa poitrine velue.

— Vous n’avez pas besoin de prendre cet air horrifié, dit-il à Carol. Cela me démange et, comme je suis une créature primitive, je me gratte. Et puis, je ne suis pas nu, je porte un short.

— Il est domestiqué, dit Maxwell, mais à peine.

— Pour en revenir à ce dédoublement de personnalité, dit Carol, pouvez-vous nous raconter exactement ce qui s’est passé ?

— Je suis parti pour une des planètes du système Coonskin, commença Maxwell. J’étais déjà bien avancé quand ma fréquence d’identification s’est en quelque sorte dédoublée et je suis arrivé en deux endroits.

— Vous voulez dire qu’il y avait deux Peter Maxwell ? demanda la fille.

— Oui, c’est bien cela.

— À ta place, dit Oop, je les attaquerais. Ces types des Transports gagnent très bien leur vie, tu pourrais leur soutirer de l’argent. Fantôme et moi pourrions témoigner, nous étions à ton enterrement.

En fait, ajouta-t-il, nous pourrions les attaquer aussi pour cruauté mentale. Notre meilleur ami était devant nous dans son cercueil et nous, nous étions accablés par la douleur.

— C’est vrai, dit Fantôme. Nous étions vraiment accablés de douleur.

— Je n’en doute pas, dit Maxwell.

— Je trouve, dit Carol, que vous prenez tout cela bien à la légère.

— Que voulez-vous que nous fassions ? demanda Oop. Que nous chantions des Alléluias ? Que nous roulions des yeux écarquillés ? Nous avions perdu notre copain. Eh bien ! nous l’avons retrouvé.

— Mais, protesta Carol, un Peter Maxwell est mort.

— D’accord, dit Oop, mais en ce qui nous concerne, il n’y en a jamais eu qu’un. Et c’est peut-être mieux ainsi. Imaginez les situations désagréables que cela pourrait entraîner.

Carol se tourna vers Maxwell :

— Et vous, qu’en pensez-vous ?

Il secoua la tête :

— D’ici un jour ou deux, j’y songerai sérieusement. Pour l’instant, j’abandonne. À vrai dire, quand j’y pense, cela me donne le frisson. Mais ce soir, j’ai une belle fille, deux vieux amis, un gros chat, une bouteille à descendre et, bientôt, un bon dîner.

Il lui sourit et elle haussa les épaules.

— Je crois, dit-elle, que je n’ai jamais vu une bande de fous pareils. D’ailleurs, je crois que j’aime bien cela.

— Moi aussi, dit Oop. On a beau dire, on a tout de même fait des progrès, en comparaison de mon époque. Le jour où une équipe du Temps m’a transplanté ici a été le plus beau jour de ma vie. Juste au moment où mes chers amis de ma tribu allaient me prendre pour plat de résistance. Je ne les critique pas. Voyez-vous, l’hiver avait été long, la neige épaisse et le gibier rare. Et puis, il y avait quelques membres de la tribu qui estimaient avoir un ou deux comptes à régler avec moi. Ils avaient peut-être raison. Ils allaient me taper sur la tête quand je suis tombé dans le cirage, si je peux m’exprimer ainsi.

— Des cannibales ! s’exclama Carol horrifiée.

— En ces temps si rudes, dit Oop, c’était plutôt normal. Bien sûr, vous ne pouvez pas comprendre. Vous n’avez jamais eu faim, je parie.

Il s’interrompit et regarda autour de lui :

— Ce qu’il y a de plus beau, dans cette civilisation, c’est l’abondance de nourriture. Autrefois, il y avait des hauts et des bas. On descendait un mastodonte, on en mangeait jusqu’à en vomir, et puis…

— Je ne crois pas, dit Fantôme sentencieusement, que ce soit le sujet de conversation rêvé pour un dîner.

Oop jeta un coup d’œil à Carol :

— Vous devez m’accorder, insista-t-il, que quand je dis vomir, c’est bien vomir que je veux dire, et pas régurgiter.

Le serveur apporta la bouteille d’alcool. Il la posa sur la table avec le seau à glace.

— Voulez-vous passer votre commande tout de suite ? demanda-t-il.