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— Nous n’avons pas encore décidé si nous allions dîner dans ce troquet, répondit Oop. Ça va encore pour se soûler, mais…

— Alors, Monsieur, dit le serveur. Il posa la note sur la table.

Oop plongea la main dans sa poche et en retira de la monnaie. Maxwell approcha la bouteille et le seau à glace et servit à boire.

— Nous allons dîner ici, n’est-ce pas ? demanda Carol. Si Sylvester n’a pas le steak que vous lui avez promis, je me demande ce qui va se passer. Il a été tellement gentil et patient, avec toutes ces bonnes odeurs de nourriture…

— Il a déjà eu un steak, fit remarquer Maxwell. Combien peut-il en avaler ?

— Il n’y a pas de limite, dit Oop. Dans le temps, un seul de ces monstres pouvait dévorer entièrement un élan en une seule fois. Vous ai-je raconté…

— Je suis sûr que oui, coupa Fantôme.

— Mais, c’était un steak cuit, protesta Carol. Il les aime crus. En plus, il était tout petit.

— Oop, dit Maxwell, appelle le garçon. Tu le fais très bien, tu as la voix qu’il faut.

Oop leva un bras musclé et poussa un mugissement. Il attendit un instant et recommença, sans résultat.

— Il ne m’écoutera pas, grommela-t-il. Peut-être n’est-ce pas le nôtre. Je ne reconnais jamais ces singes les uns des autres. Ils sont tous pareils.

— Je n’aime pas la foule, ce soir, dit Fantôme. Il y a de la bagarre dans l’air.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Maxwell.

— Il y a tout un tas de gens des Lettres Anglaises. Cela n’est pas leur habitude. Les clients viennent surtout du Temps et des Surnaturels.

— Tu veux dire que c’est à cause de cette histoire de Shakespeare ?

— Cela se pourrait, dit Fantôme.

Maxwell tendit un verre à Carol et en poussa un autre vers Oop.

— Cela me fait de la peine que vous ne buviez pas, dit Carol à Fantôme. Est-ce que vous ne pourriez pas renifler un peu l’arôme ?

— Ne vous en faites pas, dit Oop. Il se soûle sur un rayon de lune et il danse sur les arcs-en-ciel. Il a tout une quantité d’avantages qui nous sont complètement étrangers. D’abord, il est immortel. Qu’est-ce qui pourrait provoquer la mort d’un fantôme ?

— Il y a une chose qui me tracasse, dit Carol.

— Allez-y, dit Fantôme.

— C’est vrai que vous ne savez pas de qui vous êtes le fantôme ? Ce n’est pas une blague ?

— Non, dit Fantôme. Et, je n’ai pas honte de l’avouer, c’est très gênant. J’ai complètement oublié. Je sais que je viens d’Angleterre. Mais je ne me souviens pas du nom. Je pense que la plupart des autres fantômes…

— Nous n’en avons pas d’autres, dit Maxwell. Bien sûr, on a établi des contacts avec eux, on a tenu des conversations, on les a interrogés, mais aucun autre fantôme ne s’est mêlé à notre vie quotidienne. Pourquoi l’as-tu fait toi, Fantôme ?

— Il est orfèvre dans l’âme. Il arrondit toujours les angles, dit Oop.

— C’est là que tu te trompes, dit Maxwell. Il y a bien peu de choses que nous puissions pour Fantôme.

— Vous me donnez, dit Fantôme, un sentiment de réalité.

— Quelle qu’en soit la raison, je suis heureux que vous soyez venu vivre avec nous.

— Tous les trois êtes amis depuis très très longtemps, dit Carol.

— Et cela vous surprend ? demanda Oop.

— Peut-être, dit-elle. Je ne sais pas exactement ce que je veux dire.

Un bruit de bagarre s’éleva du côté de l’entrée. Carol et Maxwell se retournèrent mais on ne pouvait voir grand-chose.

Un homme sauta sur une table et se mit à chanter :

Hourrah pour le vieux Bill Shakespeare, Qui ne leur a jamais rien écrit ; Il restait chez lui et en courant les filles, Il chantait des chansons grivoises…

Des sifflets et des injures s’élevèrent dans toute la salle et quelqu’un lança un objet qui rata le chanteur. Une partie de la foule reprit le refrain :

Hourrah pour le vieux Bill Shakespeare, Qui ne leur a jamais rien écrit…

Une voix de stentor gronda :

— Allez au diable avec votre vieux Bill Shakespeare !

La salle explosa. Les chaises volaient, les gens grimpaient sur les tables. Tout le monde criait, se bousculait. Les coups de poing commençaient à pleuvoir. Des objets hétéroclites traversaient la salle.

Maxwell se leva d’un bond. Il attrapa Carol et la tira pour la mettre à l’abri derrière lui. Oop enjamba la table au pas de charge, en poussant un sauvage cri de guerre. Il buta au passage sur le seau à glace qu’il envoya voler avec son contenu.

— Je vais les démolir, cria-t-il à l’intention de Maxwell. Toi, tu les empileras.

Maxwell aperçut un poing qui le visait, il l’esquiva, tout en frappant à son tour, mais, dans le vide. Au-dessus de lui, il vit l’énorme poing de Oop puis il entendit un bruit mat et un corps roula au sol.

Maxwell sentit un choc derrière l’oreille et il s’écroula. Des pieds surgirent tout autour de lui. On lui marcha sur la main. Quelqu’un d’autre lui tomba dessus. Dans le lointain, lui sembla-t-il, il entendait les beuglements d’Oop.

En se contorsionnant, il réussit à se débarrasser du corps qui l’écrasait et il se releva.

Une main l’attrapa par le bras et lui fit faire demi-tour.

— Filons, dit Oop, sinon quelqu’un va prendre un mauvais coup.

Carol était penchée sur la table, essayant de retenir Sylvester par la peau du cou. Le chat était dressé sur les pattes postérieures et il ramait dans le vide avec les antérieures. Il poussait des grognements étranglés et ses grands crocs luisants étaient bien visibles.

— Si nous ne l’emmenons pas, dit Oop, il l’aura, son steak.

Il se pencha et attrapa le chat qu’il souleva par le milieu du corps, et il le serra fort contre lui.

— Fais attention à la fille, dit Oop à Maxwell. Il y a une sortie de secours quelque part par-là. Et puis, ne laisse pas traîner cette bouteille. Nous en aurons besoin.

Maxwell s’empara de la bouteille.

Pas de Fantôme à l’horizon.

VI

— Je suis peureux, reconnut Fantôme. À la moindre violence, je n’existe plus.

— Toi ! Le seul type que personne ne puisse démolir !

Ils étaient installés autour de la table grossière que Oop avait, dans un moment de zèle domestique, fabriquée à l’aide de deux morceaux de bois.

Carol repoussa son assiette :

— Je mourais de faim, mais ça m’a bien passé.

— Vous n’êtes pas la seule, dit Oop. Regardez votre minet.

Sylvester était lové devant la cheminée, la queue bien serrée près du corps, le museau caché sous ses pattes. À chaque respiration, on voyait remuer ses moustaches.

— C’est la première fois que je vois un chat sauvage manger à sa faim, dit Oop.

Il tendit la main vers la bouteille et la secoua. Elle était vide. Il se leva, traversa la pièce et s’agenouilla pour ouvrir une petite trappe dans le plancher. Il y plongea la main et en ressortit une jarre de verre, puis une seconde. Il les posa à côté de lui. Finalement, il exhiba triomphalement une bouteille.

Il remit les jarres à leur place et referma la trappe.

Il se rassit à table, fit sauter le bouchon de la bouteille et servit ses amis :

— Il ne faut pas y ajouter de glace, elle dilue la gnôle. En plus, je n’en ai pas.

Il montra la trappe du doigt :

— J’y garde toujours une bouteille ou deux. Un jour, je me casserai peut-être une jambe et le docteur m’interdira de boire.