Le juge demanda à l'avocat général de conclure et d'annoncer ses requêtes.
– Pour les conjurés du lycée, je réclame une peine de prison de six mois ferme, sous le chef d'accusation de destruction de matériels éducatifs et troubles sur la voie publique. Pour les conjurés de la pyramide je réclame, sous le chef de complicité de meurtres, une peine de six ans ferme. Pour Princesse 103e et ses complices, sous le chef d'insurrection et d'assassinat de policiers, je réclame… la peine de mort.
Le public manifesta. Le juge tapa avec son maillet, presque sans y penser.
– Je me permets de rappeler à mon collègue de l'accusation que la peine de mort est abolie depuis longtemps dans notre pays, énonça-t-il doctement.
– Pour les hommes, monsieur le président, pour les hommes. J'ai bien cherché. Rien dans notre code pénal n'interdit la peine de mort pour les animaux. On pique les chiens qui mordent les enfants. On abat les renards qui transmettent la rage. D'ailleurs, qui d'entre nous peut se vanter de n'avoir jamais assassiné de fourmis?
Même ceux qui ne l'approuvaient pas étaient obligés d'admettre que l'accusateur public avait raison. Qui n'avait pas tué de fourmis, ne serait-ce que par mégarde?
– En décrétant la peine de mort pour Princesse 103e et les siennes, nous ne ferons qu'accomplir un acte de civisme et de légitime défense, reprit l'avocat général. Les documents saisis dans la pyramide l'attestent: elles avaient lancé une grande croisade contre nous. Que la nature sache que les espèces qui veulent nuire à l'homme finissent par le payer de leur vie.
Prince 24e dresse les antennes. Princesse 103e le sent, lé voit, mais son propre plaisir est si long et si grand qu'elle ne parvient pas à se préoccuper de son partenaire.
Si lui est submergé d'une vague rouge qui vire au noir, elle est envahie d'une vague rouge qui vire à l'orange puis ne cesse de s'éclaircir jusqu'à prendre une teinte plus jaune et plus chaude. À présent, elle n'est plus princesse, elle est reine.
Prince 24e va de plus en plus mal.
La pression grimpe toujours. Son cœur s'est arrêté.
La pression monte, monte. Il se désemboîte d'un coup, tente un battement d'ailes pour ralentir sa chute et…
Le président donna la parole à la défense.
Julie fit appel aux ressources de tous ses neurones.
– Ce qui se passe ici n'est pas qu'un procès. C'est bien plus que cela. C'est une occasion unique qui nous est présentée de comprendre un système de pensée non humain. Si nous ne parvenons pas à pactiser avec les fourmis, ces infraterrestres, comment pourrions-nous un jour espérer communiquer avec des extraterrestres?
Dans l'air, une petite détonation sèche. La pression était trop forte, le plaisir trop intense, à peine tous ses gamètes projetés dans la femelle, le prince explose de jouissance. Les morceaux de chitine partent dans toutes les directions et retombent comme les morceaux d'un avion qui a éclaté en vol. Il n'y a pas un insecte en bas qui évite un lambeau du corps du valeureux sexué.
Julie avait l'impression qu'à force d'avoir lu l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, c'était Edmond Wells qui, à présent, parlait parfois par sa voix:
– Les fourmis peuvent s'avérer un tremplin pour notre évolution. Plutôt que de chercher à les détruire, tentons de les utiliser. Nous sommes complémentaires. Nous contrôlons le monde à hauteur d'un mètre, elles à hauteur d'un centimètre. Arthur a démontré qu'avec leurs mandibules, elles fabriquent dans l'infiniment petit des objets que même le plus habile des horlogers ne saurait reproduire. Pourquoi nous priver de si précieux alliés?
Reine 103e virevolte encore un peu puis atterrit en catastrophe dans le récepteur phéromonal.
«Critch.» Un petit bruit résonna dans les haut-parleurs de la machine «Pierre de Rosette», mais dans le prétoire où les conversations battaient leur plein, nul n'y prêta attention.
Julie poursuivait:
– Il est hors de question de nous condamner parce que nous avons voulu améliorer le statut de notre espèce. Il est hors de question de tuer des fourmis.
En tombant, la reine perd ses ailes. La mort du prince et la perte des ailes sont le prix de la royauté myrmécéenne.
– C'est bien au contraire en nous acquittant et en libérant ces insectes innocents que vous montrerez que le chemin que nous avons commencé à explorer mérite toute l'attention possible. Les fourmis qu'on le veuille ou non sont…
Sa bouche resta ouverte. La phrase resta en suspens.
235. ENCYCLOPÉDIE
POUVOIR DES CHIFFRES: 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Rien que par leurs formes, les chiffres nous racontent l'évolution de la vie. Tout ce qui est courbe indique l'amour. Tout ce qui est trait indique l'attachement. Tout ce qui est croisement indique les épreuves. Examinons-les.
0: c'est le vide. L'œuf originel fermé.
1: c'est le stade minéral. Ce n'est qu'un trait. C'est l'immobilité. C'est le début. Être, simplement être, ici et maintenant, sans penser. C'est le premier niveau de conscience. Quelque chose est là, qui ne pense pas.
2: c'est le stade végétal. La partie inférieure est composée d'un trait, le végétal est donc attaché à la terre. Le végétal ne peut bouger son pied, il est esclave du sol, mais il est doté d'une courbe en son haut. Le végétal aime le ciel et la lumière, et c'est pour eux que la fleur se fait belle dans sa partie supérieure.
3: c'est le stade animal. Il n'y a plus de trait. L'animal s'est détaché de la terre. Il peut se mouvoir. Il y a deux boucles, il aime en haut et en bas. L'animal réagit en esclave de ses sentiments. Il aime, il n'aime pas. L'égoïsme est sa principale qualité. L'animal est prédateur et proie. Il a peur en permanence. S'il ne réagit pas en fonction de ses intérêts directs, il meurt.
4: C'est le stade humain. C'est le niveau au-dessus du minéral, du végétal et de l'animal. Il est à la croisée des chemins. C'est le premier chiffre à croisement. Si le 4 réussit son.changement, il bascule dans le monde supérieur. Il sort de son stade d'esclave des sentiments, par le libre arbitre. Soit il réalise son destin, soit il ne le réalise pas. Mais la notion de liberté de choix autorise aussi à ne pas réaliser sa mission de conquête de la liberté et de la domination de ses sentiments. 4 autorise à rester librement animal ou à passer à l'étape suivante. C'est l'enjeu actuel de l'humanité.
5: C'est le stade spirituel. C'est le contraire du 2. Le 5 a le trait en haut, il est lié au ciel. Il a une courbe en bas: il aime la terre et ses habitants. Ayant réussi à se libérer du sol, il n'est cependant pas parvenu à se libérer du ciel. Il a passé l'épreuve de la croix du 4 mais il plane.
6: C'est une courbe continue sans angle, sans trait. C'est l'amour total. Il est presque spirale, il s'apprête à aller vers l'infini. Il s'est libéré du ciel et de la terre, de tout blocage supérieur ou inférieur. Il est pur canal vibratoire. Il lui reste cependant une chose à accomplir: passer au monde créateur. 6 est également la forme du fœtus en gestation.
7: C'est le chiffre du passage. C'est un 4 inversé. Là encore, nous nous trouvons à un croisement. Un cycle est terminé, celui du monde matériel; il faut donc passer au cycle suivant.
8: C'est l'infini. Si on le dessine, on ne s'arrête jamais.
9: C'est le fœtus en gestation. 9 est l'inverse du 6. Le fœtus s'apprête à retourner au réel. Il va donner naissance au…