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237. ENCYCLOPÉDIE

CHANTAGE: Tout ayant été exploité, il n'existe qu'un seul moyen pour créer de nouvelles richesses dans un pays déjà riche: le chantage. Cela va du commerçant qui ment en affirmant: «C'est le dernier article qui me reste et si vous ne le prenez pas tout de suite, j'ai un autre client qui est intéressé», jusqu'au plus niveau, le gouvernement qui décrète: «Sans le pétrole qui pollue, nous n'aurions pas les moyens de chauffer toute la population du pays cet hiver.» C'est alors la peur de manquer ou la peur de rater une affaire qui va générer des dépenses artificielles.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

238. SUR LE POINT D'IMPLOSER

Il plut toute la journée du samedi; le soir, le ciel se remplit d'étoiles et les spécialistes de la météorologie nationale annoncèrent qu'il ferait beau le dimanche et que le vent soufflerait fortement sur la forêt de Fontainebleau.

Si Maximilien n'avait pas particulièrement la foi, en la circonstance il considéra que Dieu était avec lui. Il se vautra dans son fauteuil, face à son ordinateur, heureux et conscient de l'importance de sa mission sur terre. Puis il s'endormit.

Les portes étaient verrouillées, les volets barrés. Dans la nuit, un visiteur parvint à s'introduire subrepticement dans le bureau du commissaire. Le visiteur chercha l'ordinateur. L'appareil était en position de veille, prêt à déclencher les bombes au cas où l'impression du code ne l'en empêcherait pas. Le visiteur s'avança pour le neutraliser; dans sa hâte, il renversa un objet. Maximilien ne dormait que d'un œil, le bruit, pourtant réduit, suffît à le réveiller tout à fait. D'ailleurs, il s'attendait à une attaque de dernière minute. Il braqua son revolver sur le visiteur et appuya sur la détente. Toute la pièce vibra quand le coup partit.

Le visiteur esquiva vivement la balle. Maximilien en tira une deuxième qu'il esquiva de même.

Énervé, le commissaire rechargea son arme et visa à nouveau. Le visiteur décida qu'il valait mieux se cacher quelque part. D'un bond, il gagna le salon et se dissimula derrière les rideaux. Le policier tira mais le visiteur baissa la tête et les balles passèrent au-dessus de son front.

Maximilien alluma les lumières. Le visiteur comprit qu'il lui fallait changer de cachette au plus vite. Il se glissa derrière un fauteuil au haut dossier sur lequel ricochèrent plusieurs balles.

Où s'abriter?

Le cendrier. Il courut se blottir dans l'interstice entre un vieux mégot de cigare froid et le bord. Le policier eut beau soulever coussins, tentures et tapis, cette fois, il ne le trouva pas.

Reine 103e en profita pour reprendre haleine et retrouver son calme. Elle procéda à un rapide lavage de ses antennes. Une reine est généralement trop précieuse pour risquer ainsi sa vie. Elle n'est tenue que de demeurer à pondre dans sa loge nuptiale. Cependant, 103e avait compris qu'elle était seule au monde à être suffisamment «doigte» et suffisamment fourmi pour réussir cette mission d'une importance capitale. Comme l'enjeu était la destruction de la forêt et donc des fourmilières, elle avait consenti à risquer le tout pour le tout.

Maximilien pointait toujours son revolver, tirant parfois dans un coussin. Pour une cible si petite, il fallait cependant une arme différente.

Maximilien alla chercher une bombe aérosol dans le placard de la cuisine et vaporisa un nuage d'insecticide dans son salon. L'air s'emplit de relents mortels. Heureusement, les minuscules poches pulmonaires de la fourmi disposaient d'une grande autonomie. L'insecticide se diluant dans l'important volume d'air de la pièce, respirer restait supportable. Elle pouvait, certes, demeurer là une dizaine de minutes mais il n'y avait pas de temps à perdre.

Reine 103e détala.

Maximilien pensa que si le seul adversaire que les autorités et le préfet avaient trouvé à lui opposer était une fourmi, c'était qu'ils n'avaient plus aucune idée. Il en était là, satisfait de ses réflexions, quand la lumière s'éteignit. Comment était-ce possible? Une minuscule fourmi n'était quand même pas capable d'appuyer sur l'interrupteur.

Il comprit alors que la myrmécéenne s'était introduite dans le central domotique. Cela signifiait-il qu'elle était apte à déchiffrer un circuit imprimé et à reconnaître quel fil électrique couper?

«Ne jamais sous-estimer l'adversaire.» C'était le premier enseignement qu'il inculquait à ses élèves de l'école de police. Et lui-même venait de commettre cette erreur uniquement parce que l'adversaire était mille fois plus petit que lui.

Il se munit d'une lampe de poche halogène qu'il conservait dans un tiroir de la commode. Il éclaira le dernier lieu où il avait cru voir son visiteur. Il se dirigea ensuite vers le boîtier du compteur et constata qu'un fil électrique avait bel et bien été tranché à la mandibule.

Il se dit qu'il n'y avait qu'une seule fourmi capable de faire ça: 103e, leur reine dégénérée.

Dans l'obscurité, avec son sens olfactif surdéveloppé et sa vision infrarouge détectrice de chaleur, la fourmi disposait désormais d'un léger avantage. Seulement, c'était jour de pleine lune et Maximilien n'eut qu'à ouvrir les volets désormais inutiles pour inonder la pièce d'une lumière bleu-violet.

Il fallait se dépêcher. La fourmi retourna vers le bureau et l'ordinateur. Francine lui avait appris comment s'y glisser par la grille d'aération située à l'arrière. Elle suivit ses instructions à la lettre. 103e était maintenant dans la place. Il ne lui restait plus qu'à désactiver les connexions qu'on lui avait indiquées. Elle marcha sur les plaques électroniques. Ici, le disque dur. Là, la carte mère. Elle enjamba les condensateurs, les transistors, les résistances, les potentiomètres et les radiateurs. Tout vibrait autour d'elle.

Reine 103e sentait qu'elle se mouvait dans une structure hostile. Mac Yavel était au courant de sa présence. Il ne possédait pas d'yeux internes mais percevait d'infimes courts-circuits chaque fois que la fourmi posait ses pattes sur une connexion en cuivre.

Si Mac Yavel avait eu des mains, il l'aurait déjà massacrée.

S'il avait eu un estomac, il l'aurait déjà digérée.

S'il avait eu des dents, il l'aurait déjà mâchée.

Mais l'ordinateur n'était qu'une machine inerte, constituée de composants d'origine minérale. Reine 103e était en lui et se remémorait le plan du circuit imprimé que lui avait indiqué Francine quand, soudain, avec sa vision infrarouge, elle discerna à travers la grille d'aération l'œil immense de son ennemi humain.

Maximilien reconnut la marque jaune sur son front et lui envoya un nuage d'insecticide. Les ouvertures respiratoires de la fourmi étaient encore béantes et elle toussotait quand un second nuage vint transformer complètement l'intérieur de l'ordinateur en un port anglais dans la brume. De l'air acide lui rongeait l'intérieur. C'était insupportable.

De l'air, vite.

Elle sortit par la trappe du lecteur de disquettes et fut accueillie par de nouveaux coups de feu. Elle zigzagua entre les balles qui étaient pour elle comme autant de fusées. La lampe de poche ne la quittait pas et elle galopait dans un rond de lumière.

Afin d'échapper au projecteur, elle galopa sous la porte du bureau pour regagner le salon et s'enfoncer sous le pli d'un tapis. Le tapis fut soulevé. Elle se blottit sous un fauteuil. Le fauteuil fut renversé.

La fourmi courut entre des chaussures, affolée. Il y avait de plus en plus de Doigts à sa recherche. Au moins une dizaine. Elle se réfugia dans la jungle de nylon d'un rebord de moquette épaisse.

Et maintenant?

Elle agita les antennes et repéra un courant d'air charbonneux. Elle quitta à toute vitesse la moquette et fonça vers le tunnel vertical, en face d'elle. Excellent abri. Oui, mais le projecteur avait suivi sa progression.