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Enfin, les impatients furent autorisés à se rasseoir et à s'intéresser à leurs assiettes.

– Vous allez me prendre pour un candide mais je pensais vraiment que c'était possible! poursuivit le Danois.

– Quoi donc?

– L'ambassade des fourmis auprès des hommes.

Exaspéré, Dupeyron le fixa dans les yeux. Il fit un signe de la main comme pour figurer un grand écran de cinéma.

– Je vois très bien la scène. J'accueille Reine 103e, habillée en souveraine avec sa petite robe lamée et son diadème. Je lui remets la médaille du mérite agricole de Fontainebleau.

– Pourquoi pas? Ces fourmis pourraient être pour vous une véritable aubaine. Si vous vous en faites des alliées, elles travailleront à des tarifs incomparables. Vous les traiterez comme les habitants d'un sous-tiers-monde. Vous leur consentirez quelques colifichets et vous les pil lerez de tout ce qu'elles ont de bon et d'utilisable. N'est-ce pas ce qu'on a fait avec les Amérindiens?

– Vous êtes cynique, dit le préfet.

– Peut-on rêver d'une main-d'œuvre moins chère, plus nombreuse et aux gestes plus précis?

– C'est vrai, elles pourraient labourer les champs en masse. Elles pourraient trouver des sources d'eau souterraines.

– Elles pourraient être utilisées dans l'industrie pour les travaux dangereux ou délicats.

– Elles pourraient s'avérer d'excellentes auxiliaires militaires, que ce soit pour l'espionnage ou le sabotage, renchérit le préfet Dupeyron.

– On pourrait même envoyer des fourmis dans l'espace. Plutôt que de risquer des vies humaines, autant expédier à moindre coût des fourmis.

– Probablement. Mais… il reste un problème.

– Lequel?

– Communiquer avec elles. La machine «Pierre de Rosette» ne marche pas. Elle n'a jamais marché. Je vous l'ai dit, c'était une machine truquée. Il y avait un comparse à l'extérieur qui parlait dans un micro et se faisait passer pour un insecte.

L'ambassadeur danois semblait très déçu.

– Vous avez raison, finalement de tout cela il ne reste qu'une légende. Une légende moderne des forêts.

Ils trinquèrent et parlèrent de choses plus sérieuses.

241. ENCYCLOPEDIE

UN SIGNE: Hier il s'est passé quelque chose d'étrange, je me promenais, lorsque soudain, chez un bouquiniste mon regard fut attiré par un livre, Les Thanatonautes.

Je l'ai lu. L'auteur y affirme que la dernière frontière inconnue de l'homme est sa propre fin. Il a imaginé des pionniers qui partiraient explorer le paradis tout comme Christophe Colomb s'en est allé à la découverte de l'Amérique.

Les paysages et l'environnement sont inspirés des paradis décrits par les livres des morts tibétains et égyptiens. L'idée est étrange. J'ai interrogé le bouquiniste qui m'a dit qu'à l'époque, ce livre n'avait guère eu de retentissement. Normal. La mort et le paradis sont dans notre pays des sujets tabous. Mais, plus je regardais ce livre, Les Thanatonautes, plus je ressentais une sensation de malaise. Ce n'était pas le sujet qui me troublait, mais autre chose. J'ai eu, comme un éclair, cette idée affreuse: «Et si moi, Edmond Wells, je n'existais pas?» Je n'ai peut-être jamais existé. Je ne suis peut-être que le personnage fictif d'une cathédrale de papier. Tout comme les héros des Thanatonautes.

Eh bien, je vais traverser ce mur de papier pour directement m'adresser à mon lecteur. «Bonjour à toi qui as la chance d'être réel, c'est rare, profîtes-en!»

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

242. UN NOUVEAU CHEMIN

Dans l'ordinateur ronronnant, Infra-World, le monde virtuel jadis créé par Franchie, persiste à vivre en vase clos; plus personne ne s'intéresse à lui.

Dans ce monde qui n'existe presque pas, un peu partout, religieux et scientifiques se lancent à l'assaut d'une dimension supérieure qu'ils ont enfin admise. Un auteur de roman de science-fiction en a, le premier, émis l'hypothèse, laquelle a été confirmée grâce à des rusées et des télescopes. Ce qu'ils appellent «au-delà» est, ils en sont dorénavant convaincus, un monde d'une autre dimension. Là-bas vivent des gens comme eux mais qui perçoivent différemment le temps et l'espace.

Les gens d'Infra-World ont déduit que ceux de la dimension supérieure se servent d'un ordinateur contenant un programme qui décrit leur monde dans les moindres détails et qu'en le décrivant, ils le font exister. Les Infra-worldiens ont compris qu'ils n'ont de réalité que dans un monde illusoire, créé par des gens d'une autre dimension, détenteurs d'une technologie capables de les inventer. Tous leurs médias en ont informé la population.

Les Infra-worldiens ont aussi compris qu'ils n'existent pas matériellement. Ils ne sont que des suites de 0 et de 1 sur un support magnétique, une suite de Yin et de Yang sur une longue chaîne d'information, un ADN électronique qui décrit et programme leur univers. Ils ont d'abord été bouleversés d'être si peu «existants» et puis, ils s'y sont habitués.

Ce qu'ils désirent désormais, c'est comprendre pourquoi ils existent. Tous savent avoir autrefois détecté leur dieu, un dieu femelle nommé «Franchie». Tous savent qu'ils l'ont tué ou, du moins, gravement blessé. Mais cela ne leur suffit pas. Ils veulent comprendre le monde du dessus.

243. ENCHAINEMENT

Elle courait droit devant elle. Elle dévala la pente. Elle slaloma entre les peupliers qui s'élançaient, flèches pourpres, autour d'elle.

Applaudissements d'ailes. Des papillons déployaient leurs voilures chamarrées et brassaient l'air en se poursuivant.

Un an s'était écoulé; Julie, gardienne de l'Encyclopédie, avait remis le livre dans la valise cubique et la rapportait à l'endroit exact où elle l'avait découvert. Qu'un autre puisse à son tour dans l'avenir se servir du Savoir Relatif et Absolu.

Maintenant, elle et ses amis n'avaient plus besoin de détenir l'ouvrage. Tous les huit, ils en portaient le contenu en eux. Ils l'avaient même prolongé. Lorsqu'un maître a accompli son œuvre, il doit se retirer, fïït-il un simple livre.

Avant de refermer la mallette, Julie relut la fin du troisième volume, la toute dernière page. La main nerveuse d'Edmond Wells avait tremblé en inscrivant ces ultimes phrases.

C'est fini. Et pourtant, ce n'est que le début. C'est à vous maintenant de faire la révolution. Ou l'évolution. C'est à vous de vous forger une ambition pour votre société et votre civilisation. C'est à vous d'inventer, de bâtir, de créer afin que la société ne reste pas figée et qu'elle n'aille plus jamais en arrière. Complétez l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu. Inventez de nouvelles entreprises, de nouvelles manières de vivre, de nouvelles méthodes d'éducation pour que vos enfants puissent faire encore mieux que vous. Élargissez le décor de vos rêves. Tentez de fonder des sociétés utopiques. Créez des œuvres de plus en plus audacieuses. Additionnez vos talents car 1 + 1 = 3. Partez à la conquête de nouvelles dimensions de réflexion. Sans orgueil, sans violence, sans effets spectaculaires. Simplement, agissez.

Nous ne sommes que des hommes préhistoriques. La grande aventure est devant nous, non derrière.

Utilisez l'énorme banque de données que représente la nature qui vous environne. C'est un cadeau. Chaque forme de vie porte en elle une leçon. Communiquez avec tout ce qui est vie. Mêlez les connaissances.

L'avenir n'appartient ni aux puissants ni aux étince-lants.

L'avenir est forcément aux inventeurs. Inventez.