Выбрать главу

— Pourriez-vous… ? soupira la femme bien en chair, la main tendue tandis qu’elle adressait un regard suppliant à l’entraîneur.

— Il y a toujours des gens qui arrêtent, répondit-il. Je ne saisis pas bien…

— Je me demande si vous n’auriez pas remarqué quelque chose d’inhabituel. Par exemple, une femme qui serait venue régulièrement et aurait cessé son entraînement.

— Je n’ai rien noté de tel et je remarque toujours ce genre de choses, cette salle m’appartient, voyez-vous, j’en possède des parts.

— Il est peut-être compliqué de surveiller de près qui commence et qui arrête, enfin, je suppose : vous avez tellement de monde.

— Tout à fait, notre salle est très prisée, convint l’entraîneur.

— Oui, évidemment.

— En tout cas, personne n’a arrêté de venir à cause de lui, autant que je sache.

— Ohé, vous voudriez bien…

La femme prisonnière de l’appareil semblait tout à fait désemparée.

— Parfait, conclut Elinborg. Merci beaucoup. Je pourrais peut-être vous aider à la…

La femme les regarda tour à tour.

— Non, non, cela ira, remercia l’instructeur, je vais m’en arranger.

En quittant l’établissement, Elinborg entendit la prisonnière de l’engin crier à tue-tête et traiter le colosse de tous les noms.

La police avait interrogé quelques personnes qui connaissaient vaguement Runolfur, parmi lesquelles des voisins et des collègues. Tous l’avaient décrit comme quelqu’un de bien et n’avaient eu aucun reproche à formuler à son sujet. Son décès et la manière dont il était survenu leur étaient parfaitement incompréhensibles. L’un de ses collègues savait qu’il avait un ami prénommé Edvard. Ce dernier ne travaillait pas chez eux, mais il était arrivé à Runolfur de le mentionner dans la conversation. Elinborg se souvenait avoir remarqué que ce prénom apparaissait souvent dans le relevé des appels téléphoniques de Runolfur qui leur avait été communiqué. Quand on l’avait contacté, il avait avoué connaître la victime, mais ne pas voir en quoi il pouvait être utile à la police. Elinborg l’avait convoqué au commissariat.

Edvard avait déjà entendu parler de la drogue du viol dans les médias. Il avait été encore plus incrédule d’apprendre que son ami en avait en sa possession que du destin tragique que ce dernier avait connu. Il avait affirmé qu’il devait s’agir d’un malentendu, qu’il était impossible que son ami ait eu cette substance : ce n’était pas son genre. On n’avait pas encore informé la presse que Runolfur lui-même avait ingéré du Rohypnol.

— Quel genre d’homme en aurait ? avait rétorqué Elinborg en invitant Edvard à s’asseoir dans son bureau.

— Je n’en sais rien, mais lui, ce n’était pas son genre. C’est absolument certain.

L’homme la regardait avec les yeux écarquillés en lui expliquant qu’il connaissait assez bien la victime. Ils étaient devenus amis peu de temps après son arrivée à Reykjavik, c’était là qu’ils s’étaient rencontrés. Edvard exerçait aujourd’hui le métier d’enseignant et avait connu Runolfur à l’époque où ils avaient travaillé ensemble comme maçons pendant l’été, parallèlement à leurs études. Ils allaient souvent au cinéma, avaient une passion commune pour le football anglais et comme aucun d’eux n’était fiancé, ils s’étaient rapidement liés d’amitié.

— Vous sortiez faire la fête ensemble le week-end ? demanda Elinborg.

— Cela nous arrivait, répondit l’homme.

Âgé d’une trentaine d’années, il avait un visage potelé, un léger embonpoint, portait une barbe éparse et ses cheveux blonds commençaient à se clairsemer.

— Il avait le contact facile avec les femmes ?

— Il était toujours charmant avec elles. Je comprends parfaitement ce que vous essayez de m’amener à vous dire, mais je ne l’ai jamais vu leur faire le moindre mal. Ni à elles, ni à qui que ce soit.

— Et vous ne voyez rien dans son comportement qui puisse expliquer pourquoi nous avons retrouvé du Rohypnol dans ses poches ?

— C’était un homme tout à fait normal, répondit Edvard. C’est quelqu’un d’autre qui l’a placé là.

— Il était en couple au moment de sa mort ?

— Pas que je sache. Quelqu’un s’est manifesté ?

— Avez-vous connu certaines des femmes qu’il a fréquentées ? poursuivit Elinborg sans répondre à sa question. Une personne avec qui il aurait vécu, par exemple ?

— Je n’ai jamais connu aucune femme avec laquelle il aurait été en couple ou avec qui il aurait eu une relation stable. Il n’a jamais vécu en concubinage.

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

— J’ai eu de ses nouvelles avant le week-end. Nous avions envisagé de nous voir. Je lui ai demandé s’il avait des projets, s’il allait faire quelque chose, mais il m’a répondu qu’il allait simplement rester chez lui.

— Ensuite, vous l’avez appelé samedi.

La police avait épluché le relevé des appels de Runolfur en remontant jusqu’à quelques semaines en arrière, aussi bien sur sa ligne fixe que sur son portable. Elinborg avait reçu la liste plus tôt dans la journée. Il ne recevait que peu de coups de fil. La plupart était de nature professionnelle, mais certains numéros demandaient un examen un peu plus approfondi. Edvard était son correspondant le plus fidèle.

— Je voulais l’emmener avec moi pour regarder le foot au Sportbar. Nous allons… enfin, nous allions parfois là-bas le samedi. Il m’a répondu qu’il avait un truc à faire, sans préciser quoi.

— Et il avait l’air tout à fait normal ?

— Comme d’habitude, répondit Edvard.

— Vous alliez parfois ensemble à la salle de sport ?

— Je l’y ai accompagné quelques rares fois. Je me contentais de boire un café, je ne fais pas de sport.

— Lui est-il arrivé de vous parler de ses parents ? demanda Elinborg.

— Jamais.

— Et de sa jeunesse, du village de pêcheurs où il a grandi ?

— Non plus.

— De quoi discutiez-vous ?

— De football… enfin, ce genre de choses. De cinéma. Les trucs habituels. Rien de bien exceptionnel.

— Et les femmes ?

— Parfois.

— Connaissez-vous son opinion sur elles en général ?

— Elle n’avait rien d’original ou de bizarre. Il ne les détestait pas, c’était un type normal. S’il apercevait une jolie fille, il me le faisait remarquer. Comme le font les hommes, comme nous le faisons tous.

— Il s’intéressait au cinéma.

— Oui, aux films américains basés sur les comics.

— Ceux sur les super-héros ?

— Exactement.

— Pourquoi ?

— Il les trouvait divertissants. Moi aussi, d’ailleurs. C’était l’un de nos points communs.

— Et leurs affiches tapissent aussi les murs de votre appartement ?

— Non.

— Ne mènent-ils pas toujours une double vie ?

— Qui ça ?

— Ces super-héros.

— Je ne vois pas où vous voulez en venir.

— En général, ce sont des gens comme vous et moi qui ont la faculté de se transformer, n’est-ce pas ? Qui changent de peau dans les cabines téléphoniques, non ? Je ne suis pas très au point dans ce domaine.

— Oui, peut-être.

— Votre ami avait-il une double vie ?

— Je n’en ai aucune idée.

10

Seuls quelques restaurants étaient spécialistes de la cuisine indienne dans la région de Reykjavik. Elinborg, qui les connaissait bien, s’y était rendue, dans l’espoir de découvrir l’identité de la propriétaire du châle qu’elle avait emporté avec elle pour le montrer au personnel. L’odeur d’épices avait pratiquement disparu et personne n’avait reconnu l’étole. Elle avait sans grande difficulté pu écarter les employés de ces restaurants de la liste des suspects : ils étaient peu nombreux, faisaient pour la plupart partie des familles propriétaires des lieux et pouvaient aisément justifier de leur emploi du temps au moment où Runolfur avait été assassiné. Ces établissements accueillaient certains clients réguliers dont ils avaient communiqué l’identité à la police, et que cette dernière avait contactés, sans résultat concluant. Il en était allé de même avec la petite communauté indienne installée en Islande. La police n’avait pas tardé à l’exclure de toute implication dans le meurtre.