Выбрать главу

Elinborg haussa les épaules. Loa lui avait tout de suite plu. Il semblait que cette femme ne connaisse ni la timidité ni les faux-semblants, tout ce qu’elle lui disait venait droit du cœur. On voyait clairement qu’elle n’avait pas eu une vie facile, mais qu’elle ne manquait ni d’énergie, ni de ressources. Son très joli sourire lui montait jusqu’aux yeux et la rendait aussi sympathique que digne d’intérêt.

— Le pauvre homme, observa Loa.

— Kiddi, c’est… ?

— Mon fils. Il me demandait cet ADSL depuis un an, il voulait l’Internet sans fil et j’ai fini par le lui offrir. D’ailleurs, je ne le regrette pas, c’est quand même mieux d’avoir une connexion directe. Kiddi m’avait certifié qu’il était capable de l’installer lui-même, mais ça avait raté, alors je les ai appelés et ils m’ont envoyé cet homme.

— Je comprends, dit Elinborg.

— Qu’ai-je à voir avec lui ? Pourquoi me posez-vous ces questions. Est-ce que j’aurais… ? s’enquit Loa.

— Nous collectons des informations auprès de tous ceux qui l’ont rencontré, même brièvement, expliqua Elinborg. Nous n’en savons que très peu sur Runolfur ou sur ce qui s’est passé au moment de son décès. Nous essayons de nous en faire une image. Il était originaire de province et n’avait pas beaucoup d’amis en ville, c’étaient principalement des collègues. Pour les autres, il n’y avait pas foule.

— Mais, je veux dire, enfin, je ne le connaissais absolument pas. Il est juste passé ici pour nous installer le Net.

— Oui, je sais bien. Quelle impression vous a-t-il laissée ?

— Très bonne, excellente. Il est arrivé après cinq heures, à mon retour du travail, tout comme vous, et il a fait son boulot, il nous a connecté au Net. Il n’a pas mis bien longtemps. Ensuite, il est reparti.

— Et il n’est venu que cette unique fois ?

— Non, en fait, il est repassé le lendemain, à moins que cela n’ait été deux jours plus tard. Il avait oublié un outil, un tournevis, je crois. À ce moment-là, il était un peu moins pressé.

— Vous avez donc eu l’occasion de discuter un peu tous les deux… ?

— Un peu. Il était très agréable. C’était un gars vraiment sympathique. Il m’a raconté qu’il pratiquait le sport en salle.

— Vous, vous faites du sport ? Vous avait-il rencontrée là-bas ?

— Non, il ne me connaissait pas du tout. Je n’ai jamais eu le courage d’aller à ces machins de gym. Et je le lui ai dit. Un jour, je me suis offert un abonnement annuel, j’étais super motivée, mais j’ai laissé tomber au bout de quelques semaines. Lui, il m’a raconté que, justement, il n’avait jamais osé abandonner.

— Avez-vous eu l’impression qu’il essayait de vous séduire ? demanda Elinborg. A-t-il dit des choses qui le laissaient à penser ?

— Non, cela n’avait rien à voir avec ça. Il était simplement très sympa.

— C’est ce que tout le monde nous dit. Qu’il était le meilleur des hommes.

Elinborg eut un petit sourire et se fit la réflexion qu’elle perdait son temps. Elle s’apprêtait à prendre poliment congé de Loa quand son interlocutrice la surprit.

— Un peu plus tard, je l’ai croisé en ville, annonça-t-elle.

— Ah bon ?

— J’étais sortie m’amuser un samedi soir et là, je suis tout à coup tombée nez à nez avec lui. Il s’est mis à discuter avec moi comme si nous étions des amis de longue date. Il avait vraiment la pêche ; il a voulu m’offrir une bière. Il était adorable.

— Et cette rencontre était le fait du hasard ?

— Le plus pur qui soit.

— Il savait que vous seriez là ?

— Non, absolument pas. C’était une simple coïncidence.

— Et que s’est-il passé ?

— Ce qui s’est passé ? Rien. Nous avons discuté et… voilà tout.

— Vous étiez seule ?

— Oui.

— Personne ne vous accompagnait ?

— Non.

— Vous lui aviez dit dans quels endroits vous sortiez quand il était repassé chez vous ? Lui aviez-vous parlé de vos bars préférés en centre-ville ?

Loa s’accorda un instant de réflexion.

— Nous n’avions que très brièvement abordé ce sujet. Il ne m’est jamais venu à l’esprit qu’il puisse y avoir un lien. Attendez un peu, vous croyez qu’il y en a un ?

— Je ne sais pas, répondit Elinborg.

— Il… Il m’a parlé de la vie nocturne en précisant qu’il habitait en plein cœur de Reykjavik et m’a demandé comment ça se passait à Kopavogur. Si je descendais en ville ou si je m’amusais ici, à Kopavogur. C’était à son deuxième passage. Enfin, je crois que c’est à peu près ça.

— Et vous avez mentionné des endroits précis ?

Loa réfléchit à nouveau l’espace d’un instant.

— Il y en a un où je vais toujours.

— Lequel ?

— Thorvaldsen.

— C’est là que vous êtes tombée sur lui ?

— Oui.

— Par hasard ?

— Maintenant que vous le dites, cela semble un peu bizarre.

— Qu’est-ce qui est bizarre ?

— J’ai eu l’impression que, d’une certaine manière, il m’attendait. Je suis incapable de dire pourquoi au juste, mais il y avait quelque chose chez lui qui sonnait faux. Il avait l’air tellement content de me voir, tellement étonné de me croiser là et tout ça. Je trouvais que cela sonnait plus ou moins faux. Ah, quel heureux hasard, enfin, vous voyez. Il… je ne sais pas. En tout cas, il ne s’est rien passé. Brusquement, j’ai eu l’impression qu’il ne s’intéressait plus du tout à moi et il m’a dit au revoir.

— Il vous a offert un verre ?

— Oui.

— Et vous l’avez accepté ?

— Non. Enfin, si, mais je ne voulais pas d’alcool.

— D’accord. Et que… ?

Elinborg ne voulait pas se montrer trop pressante, mais cela lui était difficile.

— Je ne bois plus, précisa Loa. Je n’ai pas le droit. Pas même une goutte.

— Je comprends.

— Mon mari m’a quittée, voyez-vous, et c’était le bordel, j’ai bien cru qu’ils allaient m’enlever Kiddi. J’ai réussi à arrêter. Je vais aux réunions et tout ça. Cela m’a sauvé la vie.

— Donc, Runolfur s’est subitement désintéressé de vous, reprit Elinborg.

— En effet.

— Parce que vous ne vouliez pas boire d’alcool ?

Loa la dévisagea.

— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

— Il vous a offert un verre, mais vous avez refusé parce que vous ne buvez pas et tout à coup, vous ne l’intéressiez plus.

— J’ai pris du ginger-ale. C’est lui qui me l’a offert.

— Cela n’a rien à voir, observa Elinborg.

— Rien à voir avec quoi ?

— Avec l’alcool. Lui aviez-vous confié que vous ne buviez pas quand il était revenu ici ?

— Non, cela ne le regardait pas. Où voulez-vous en venir exactement ?

Elinborg demeura silencieuse.

— Vous laisseriez entendre que je ne rencontrerai jamais personne parce que je ne bois plus ?

Elinborg sourit devant cette association d’idées.

— Il est possible que Runolfur ait été quelque peu particulier dans ce domaine, reprit-elle. Je ne peux vraiment pas être plus précise.

— Plus précise ?

— Vous n’avez pas suivi les informations ?

— Si, plus ou moins.

— On y a dit que certaines drogues ont été découvertes au domicile de Runolfur. Des drogues dont se servent certains violeurs.

Les yeux de Loa étaient rivés sur elle.

— Et qu’il utilisait ? demanda-t-elle.

— Probablement.

— Ils la versent dans l’alcool, n’est-ce pas ?

— Oui, l’alcool décuple les effets. Ainsi, elle agit également sur la mémoire, les gens perdent parfois jusqu’à tout souvenir des événements.

Loa commença à relier ces éléments que constituaient ce technicien passé chez elle et qu’elle avait ensuite rencontré par hasard dans un bar du centre-ville, les informations où il était question d’une drogue que certains violeurs mélangeaient aux verres des femmes, la dépendance contre laquelle elle luttait depuis des années, les boissons sans alcool qu’elle prenait à chaque fois qu’elle sortait, la manière subite dont l’intérêt de Runolfur s’était tari et la mort violente qu’il avait connue. Tout à coup, elle eut l’impression de se retrouver dans un univers étrange, glacé et terrifiant.