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— Je ne vends pas à ce genre de types, déclara-t-il enfin.

— Ce genre de types ?

— Ceux qui s’en servent de cette façon.

— Comment savez-vous l’usage qu’ils en font ?

— Je le sais, point. Je ne vends pas aux pervers. Je ne vends pas aux types comme ça. D’ailleurs, je n’ai jamais rencontré ce gars-là. Je ne lui ai jamais rien vendu. Je sais à qui je vends et à qui je ne vends pas.

Brynhildur apparut dans l’embrasure et lança un regard malveillant à son compagnon. Elle avait toujours sa cuiller à la main. L’odeur nauséabonde de l’aiglefin faisandé la suivait depuis la cuisine.

— Où aurait-il pu se procurer ce truc-là ? interrogea Elinborg.

— Je l’ignore, répondit Berti.

— Qui est-ce qui vend du Rohypnol ?

— Inutile de me demander ça à moi ! Je ne sais rien. Et même si je savais quelque chose, je ne vous le dirais pas.

Un sourire discret, mais satisfait, montait aux lèvres de Berti.

— Est-ce que c’est lié à cette histoire de pervers qui a été saigné ? s’enquit Brynhildur.

Elle lança un regard acéré à Elinborg qui lui répondit d’un hochement de tête.

— Nous essayons de découvrir où il s’est procuré ce produit.

— C’est toi qui le lui as vendu ? interrogea Brynhildur, posant ses yeux sur Berti qui jetait vers elle des regards fuyants.

— Non, je ne lui ai rien vendu, répondit-il. Je viens de lui dire que je n’ai jamais vu cet homme.

— Eh bien, voilà ! conclut Brynhildur.

— Mais Berti pourrait m’indiquer une personne susceptible de lui avoir fourni cette saleté, plaida Elinborg.

Brynhildur la toisa longuement, pensive.

— Ce pervers, c’était un violeur ? s’enquit-elle.

— Certains indices le laissent croire, confirma Elinborg.

— Viens bouffer, Berti, commanda Brynhildur. Raconte-lui ce que tu sais et rapplique.

Berti se leva.

— Je ne peux quand même pas lui raconter ce que je ne sais pas, observa-t-il.

Brynhildur repartit vers ses fourneaux, mais s’arrêta à la porte. Elle fit volte-face, agita sa cuiller en direction de son homme et l’enjoignit d’un air menaçant.

— Dis-lui tout !

Berti regarda Elinborg avec un visage secoué de convulsions.

Brynhildur entra dans sa cuisine et cria d’une voix forte par-dessus son épaule.

— Ensuite, à table !

11

Elinborg fixait le réveil sur sa table de nuit. 00 h 17.

Elle se remit à compter mentalement en partant de 10 000.

9 999, 9 998, 9 997, 9 996…

Elle essayait de vider son esprit de toute pensée jusqu’à ce qu’il n’abrite plus qu’une série de nombres dénués de toute signification. C’était sa manière à elle d’atteindre la sérénité et de trouver le sommeil.

Il arrivait parfois, lorsqu’elle ne parvenait pas à s’endormir, que son esprit la ramène à une période de sa vie sur laquelle elle n’avait pas spécialement envie de s’attarder, celle qu’elle avait passée avec son premier époux. Elinborg, qui ne faisait jamais les choses à moitié ou dans la précipitation, avait contracté un premier mariage qui s’était révélé désastreux.

Au cours de ses années d’études en géologie, elle avait rencontré un garçon originaire des fjords de l’Ouest qui suivait la même filière qu’elle et s’appelait Bergsteinn. Son prénom donnait lieu parmi ses camarades à d’innocentes plaisanteries de potaches qu’il n’appréciait guère[3]. Pas très doué pour l’autodérision, c’était un jeune homme plutôt discret, mais sympathique. Lors du voyage annuel organisé par la faculté de géologie, Elinborg s’était rapprochée de lui et ils avaient commencé à se fréquenter. Ils avaient loué un appartement et vécu sur leurs prêts étudiants dont les conditions étaient, à l’époque, plutôt avantageuses. Ils étaient allés voir le juge municipal au bout de deux ans pour convoler en justes noces. Ensuite, ils avaient organisé une grande et belle fête pour les amis et la famille. Ce jour-là, Elinborg s’était dit que désormais, ils vivraient heureux pour toujours. Elle s’était lourdement trompée.

Quand le couple s’était mis à battre de l’aile, elle avait déjà abandonné la géologie et commencé à travailler dans la police. Bergsteinn avait poursuivi sa spécialisation et s’était mis à fréquenter des colloques ici et là, d’abord en tant qu’employé, puis comme directeur des Forages nationaux. Elinborg sentait depuis un certain temps que les choses se gâtaient : les longues absences de son mari en étaient le signe, de même que son manque d’intérêt pour tout ce qui la concernait et la manière dont il envisageait l’avenir ou ses opinions quant à la paternité, lesquelles avaient changé de façon brutale. Extrêmement embarrassé, il avait fini par reconnaître un beau jour qu’il avait rencontré une femme lors d’un colloque en Norvège ; une Islandaise, spécialisée dans le domaine de la géothermie. Depuis lors, ils se voyaient régulièrement, cela durait depuis environ six mois et c’était avec elle qu’il envisageait son avenir. Elinborg avait trouvé presque comique de le voir souligner particulièrement que la femme en question était spécialiste en géothermie. Peut-être cela avait-il été une réaction nerveuse à l’annonce de cette nouvelle inattendue. Ensuite, une violente colère s’était emparée d’elle. Elle n’avait eu aucune envie d’écouter ses justifications et autres excuses – et encore moins de se le disputer avec une autre femme. Elle lui avait simplement dit de déguerpir.

Elle ignorait ce qui l’avait détourné d’elle et l’avait conduit à aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte, mais pensait que c’était son problème à lui et que cela n’avait rien à voir avec elle. Elle n’avait pas eu envie d’entendre ses considérations quant à leur couple, maintenant qu’ils en étaient arrivés à ce point. Pour sa part, elle avait fait preuve d’honnêteté et de respect, elle l’avait aimé d’un amour qu’elle croyait réciproque. Sa plus grande douleur avait été de savoir que ce n’était pas le cas, la blessure la plus amère avait été de se sentir rejetée, sans qu’elle l’avoue toutefois à quiconque. Elinborg considérait qu’il portait l’entière responsabilité de ce qui était arrivé à leur couple et c’était son problème à lui s’il voulait divorcer. Elle n’allait pas le ménager. Le divorce s’était déroulé sans grandes difficultés. Bergsteinn avait détruit leur mariage, il reprenait son baluchon. C’était aussi simple que ça.

Sa mère lui avait avoué devant un morceau de foie insipide nappé de sauce brune aux oignons que cet homme ne lui avait jamais vraiment plu, qu’elle le trouvait aussi crétin que girouette.

— Enfin quand même, avait observé Elinborg tandis qu’elle chipotait sur le foie.

— Allons, ce type a toujours été un âne bâté, avait rétorqué sa mère.

Elle savait parfaitement que celle-ci tenait ces propos afin de la réconforter, car connaissant bien sa fille elle sentait la blessure plus profonde qu’Elinborg ne voulait bien l’avouer. Elle était plus déprimée, plus solitaire que jamais et préférait aborder aussi peu que possible le sujet de Bergsteinn et de ce divorce. Elle avait choisi de prendre la chose comme une fatalité même si, intérieurement, elle bouillonnait de colère, d’impuissance et de regrets qu’elle s’efforçait d’étouffer.

Sa mère avait nettement plus apprécié Teddi et ne se lassait pas de dire à quel point Elinborg avait trouvé là un homme digne de confiance.