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— Il est tellement fiable, ce cher Theodor, affirmait-elle à l’envi.

Et c’était vrai. Elinborg avait rencontré Teddi, ce jeune homme heureux de vivre et sympathique, au bal annuel de la police. Il y était venu avec l’un de ses amis qui avait ensuite démissionné. À ce moment-là, Elinborg ne souhaitait pas une nouvelle relation. Teddi, qui avait vingt-huit ans tout comme elle, était plus entreprenant et avait mis en place toute une stratégie de séduction : il l’avait raccompagnée chez elle après le bal, l’avait rappelée deux jours plus tard, et, deux jours après, l’avait invitée au cinéma puis au restaurant. Elle lui avait parlé de son mariage raté. Il lui avait confié n’avoir jamais vécu avec personne. Elle avait découvert que sa sœur était gravement malade et qu’elle luttait depuis longtemps contre le cancer. Elle l’avait appris de ce collègue qui était l’ami de Teddi. À leur rencontre suivante, elle avait posé quelques questions prudentes sur cette sœur. Il lui avait alors dit qu’elle était mère célibataire d’un petit garçon qui lui était très attaché, qu’elle se battait depuis des années contre cette maladie et qu’il semblait que ce ne serait pas elle qui aurait le dessus. Teddi avait hésité à en parler à Elinborg car il n’était pas certain que leur relation durerait. Il était apparu que la sœur en question s’intéressait beaucoup à leur histoire et qu’elle l’avait pressé de lui présenter sa nouvelle amie. Il lui avait donc rendu visite en compagnie d’Elinborg un jour et les deux jeunes femmes avaient longuement conversé tandis que le petit garçon était parti avec son oncle pour faire une promenade en voiture et acheter une glace. La tendresse pleine de respect et la douceur dont Teddi faisait preuve à l’égard de sa sœur étaient touchantes. Elinborg découvrait chaque jour de nouvelles facettes chez cet homme.

Au bout de six mois, elle avait emménagé chez Teddi qui possédait un petit appartement de célibataire sur le boulevard Haaleiti ainsi que des parts dans un garage qu’il dirigeait avec l’un de ses amis. Un an plus tard, la sœur de Teddi décéda du cancer et ils héritèrent d’un fils adoptif. Le père du petit garçon connaissait à peine la mère, il n’avait jamais vécu avec elle et ne s’était jamais occupé de son fils. L’enfant, prénommé Birkir, avait sept ans ; sa mère avait souhaité que Teddi et Elinborg prennent soin de lui. Ils avaient acheté un appartement plus grand et adopté Birkir qui pleurait beaucoup sa mère. Elinborg s’occupait de lui comme s’il avait été son propre enfant. Elle s’était efforcée de consoler son chagrin et avait pris un congé afin de veiller à ce qu’il s’adapte correctement dans sa nouvelle école. Dès le début, les parents d’Elinborg l’avaient également accueilli comme leur petit-fils.

Elle ne s’était pas remariée. Elinborg et Teddi s’étaient passés de la bénédiction de l’Église. Valthor était venu au monde, suivi d’Aron et finalement de Theodora. Tous vouaient à Birkir une grande admiration, spécialement Valthor qui l’avait pris comme modèle dès son plus jeune âge. Il avait d’ailleurs reproché à sa mère le fait que Birkir ait quitté le foyer familial, ce qui n’avait en rien arrangé leurs relations.

Elinborg regarda à nouveau le réveil. 3 h 08.

Il lui restait tout au plus quatre heures de sommeil. Elle savait que la journée du lendemain serait grimaçante et bancale à cause de la fatigue. À côté d’elle, Teddi dormait du sommeil du juste et elle enviait la sérénité qui le caractérisait depuis toujours. Elle envisagea d’aller faire un tour dans la cuisine pour lire quelques recettes, mais n’en eut pas le courage et entreprit une fois encore de compter à rebours en partant de 10 000.

9 999, 9 998, 9 997, 9 996…

La salle de sport Firma était semblable à celle qu’elle avait visitée précédemment, bien que beaucoup plus importante et mieux située. Elle tombait de sommeil quand elle y arriva le lendemain, c’était le samedi, une semaine tout juste après le meurtre de Runolfur. Les lieux étaient bondés : les gens peinaient et suaient tout ce qu’ils savaient. Certains étaient accompagnés de leurs enfants. Firma proposait en effet un service de garderie où il y avait foule. Elinborg fut un peu consternée en passant devant cet endroit qui n’était guère plus qu’un parking où les gamins étaient entreposés, les yeux écarquillés devant un écran plat où passaient en boucle des programmes pour enfants. Il lui arrivait parfois de s’interroger sur les relations que les parents entretenaient avec leur progéniture. Les petits passaient toute la semaine à l’école maternelle des premières heures du jour jusqu’à la fin de l’après-midi, moment auquel les parents les confiaient peut-être à cette garderie pendant qu’ils se démenaient sur les tapis de course. Ces gamins se couchaient évidemment vers neuf heures du soir en semaine. Sur l’ensemble de la journée, ils avaient alors passé avec leurs parents en tout et pour tout deux heures, lesquelles avaient été principalement consacrées au repas et au coucher. Elinborg secoua la tête. À l’époque où ses enfants étaient en bas âge, elle et Teddi avaient réduit leur temps de travail afin de mieux les éduquer. Ils n’avaient pas considéré qu’il se soit agi là d’un sacrifice, mais d’une heureuse nécessité.

On orienta Elinborg vers le directeur, occupé à recevoir deux grands écrans plats qui seraient installés dans la salle principale. Il y avait un problème avec la commande car il refusait l’un des deux écrans et ne mâchait pas ses mots au téléphone. Quand il eut raccroché, il lança à Elinborg un regard bovin et lui demanda quel était le problème.

— Le problème ? Il n’y a aucun problème, répondit-elle.

— Ah bon ? fit le directeur. Dans ce cas, que voulez-vous ?

— Je voulais vous poser quelques questions au sujet d’un homme qui fréquentait ce lieu et qui a cessé d’y venir il y a environ deux ans. Je suis officier de police. Vous avez sans doute entendu parler de lui aux informations.

— Non.

— Il habitait dans le quartier de Thingholt.

— Le gars qui a été tué ? demanda le directeur.

Elinborg hocha la tête.

— Vous souvenez-vous de lui ?

— Très bien, oui. Nous n’étions pas aussi à la mode à l’époque et on connaissait pratiquement chacun des clients. Aujourd’hui, c’est de la folie furieuse. Alors, cet homme ? Il a un rapport avec nous ?

Une adolescente apparut à la porte du bureau.

— Il y a l’un des petits qui a tout vomi à la garderie, annonça-t-elle.

— Et ?

— Nous ne trouvons pas ses parents.

Le directeur lança un regard embarrassé à Elinborg.

— Vois ça avec Silla, conseilla-t-il à la jeune fille. Elle va s’en occuper.

— Oui, mais, enfin, je ne la trouve pas.

— Eh bien, trouve-la ! Tu vois bien que je suis en rendez-vous, ma petite.

— Ce gamin est malade comme un chien, s’agaça la jeune fille. Je commence à en avoir jusque-là de tout ça, marmonna-t-elle avant de disparaître.

— Vous me parliez de Runolfur, n’est-ce pas ? demanda le directeur de la salle de sport, vêtu d’un survêtement bleu marqué au logo d’un fabricant aussi à la mode qu’hors de prix.

— Le connaissiez-vous ?

— Uniquement comme client. Il venait ici régulièrement, en fait, depuis que nous avons ouvert, il y a quatre ans. C’était l’un de nos premiers membres, voilà pourquoi il est sans doute plus facile de se souvenir de lui que de bien d’autres. Puis un jour, il n’est plus venu. C’était un type bien, il se maintenait en forme.

— Savez-vous pourquoi il a cessé de venir ici ?

— Aucune idée. Je ne l’ai plus croisé, c’est tout. Ensuite, j’ai vu ça au journal télévisé. J’ai eu peine à le croire. Pourquoi venez-vous nous poser des questions sur lui ? Lui aurions-nous fait quelque chose ?

— Non, pas à ma connaissance. C’est juste la routine de l’enquête : nous savons qu’il fréquentait cette salle de sport, voilà tout.