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Elinborg lança un regard à ses collègues chargés de l’interrogatoire qui lui firent signe qu’elle pouvait intervenir.

— Je crois que votre fille est prête à passer aux aveux, glissa-t-elle. Nina m’a pratiquement dit qu’elle avait tué Runolfur. Elle affirme que la seule chose qu’elle regrette, c’est de ne pas se rappeler le moment où elle lui a tranché la gorge.

— Il l’a violée, répondit Konrad. Cette sale petite ordure l’a violée.

C’était la première fois qu’Elinborg entendait Konrad se permettre un écart de langage.

— C’est pourquoi il y a d’autant plus de chances qu’elle soit brusquement sortie de son état, qu’elle lui ait fait avaler la drogue qu’il lui avait donnée, qu’elle ait pris le dessus et qu’ensuite elle l’ait égorgé. Elle est peut-être parvenue à le berner et à verser le produit à son insu dans un verre qu’elle a ensuite rincé. Un certain nombre d’indices vont dans ce sens.

— Ce genre de propos oiseux me dégoûte, observa Konrad.

— À moins que ce ne soit vous qui l’ayez fait, renvoya Elinborg.

— Qui était ce Runolfur ? interrogea Konrad. Quel genre d’homme était-il donc ?

— Je ne sais ce que je dois vous répondre. Il n’a jamais eu affaire à la police de son vivant. Vous comprenez bien à quel point vous nous compliquez la tâche. Même si votre fille affirme qu’elle a été violée, en réalité, nous n’en avons aucune certitude. Pourquoi devrions-nous la croire ? Quelle raison aurions-nous de vous croire vous ?

— Vous pouvez croire tout ce qu’elle vous dit.

— Je voudrais bien, observa Elinborg, mais il y a un certain nombre de choses qui s’y opposent.

— Elle n’a jamais menti. Que ce soit à moi, à sa mère ou à qui que ce soit. C’est terrifiant de la voir impliquée dans cette tragédie, dans ce cauchemar. C’est tout bonnement terrifiant. Je ferais n’importe quoi pour que tout cela s’arrête. N’importe quoi.

— Vous savez qu’il portait son t-shirt.

— Je ne m’en suis aperçu qu’ensuite. J’avais une veste que j’ai immédiatement mise sur les épaules de Nina, j’ai ramassé ses vêtements, j’aurais dû être plus minutieux. J’ai compris que vous étiez sur la piste dès que vous m’avez posé des questions sur San Francisco. Votre venue n’avait rien d’une visite de courtoisie chez un simple témoin.

— Vous avez alors déclaré que vous auriez souhaité que ce soit vous qui l’ayez assassiné. Nina affirme qu’elle aimerait se souvenir du moment où elle lui a tranché la gorge. Lequel de vous l’a fait ? Êtes-vous disposé à me le dire ?

— Nina vous a-t-elle avoué que c’était elle ?

— Pratiquement.

— Je n’avouerai pas, conclut Konrad. Nous sommes innocents. Vous devriez nous croire et arrêter ce cinéma.

27

Elinborg consacra ce qui restait de la journée à faire des emplettes pour la famille. Comme d’habitude, elle choisit d’excellents produits, des choses saines, qu’elle tentait péniblement d’amener ses deux fils et leur père à avaler. Elle prit un petit filet de bœuf afin de tenir sa promesse quant au steak, qui était le plat préféré de Valthor qui le consommait presque cru. Pour sa part, elle n’aimait pas spécialement la viande saignante, sauf quand c’était du renne. Elle apprécia de flâner un peu dans le magasin et s’efforça de ne pas penser à toutes ces choses qui l’avaient si lourdement affectée au cours des derniers jours. Un bocal de cœurs d’artichauts rejoignit son panier. Du café de Colombie. Du yaourt islandais.

Dès son retour à la maison, elle alla s’allonger dans un bain chaud où elle se détendit tellement qu’elle s’endormit. Elle n’avait pas mesuré combien la pression qu’elle subissait depuis quelques jours l’avait épuisée. Quand elle se réveilla, elle entendit du mouvement dans la cuisine, c’était le signe que l’un des enfants était rentré. Elle essayait de ne pas penser à son travail, ce qui n’allait pas sans peine. Edvard ne lui laissait aucun répit. Sa petite maison miteuse dans le quartier ouest, son tacot garé à côté et qui menaçait ruine, les branches toutes tordues de cet arbre qui s’étendaient par-dessus le toit, comme des serres inquiétantes. Plus elle réfléchissait à Lilja, plus cette maison lui semblait misérable, de même qu’Edvard, l’enseignant qui l’occupait, avec son dos légèrement voûté, ses cheveux en bataille, sa barbe clairsemée et son air mal à l’aise, gêné. Elle n’arrivait certes pas à imaginer qu’il puisse faire du mal à une mouche, mais cela ne signifiait rien en soi. L’apparence d’Edvard ne lui apprenait rien à part ce qui était manifeste : cet homme était un crasseux.

Elle avait envie de retourner à Akranes pour y interroger d’autres personnes qui avaient connu Edvard et Lilja. Peut-être ses anciens collègues détenaient-ils des informations qui leur semblaient dénuées d’importance, mais qui auraient pu lui être utiles. Elle souhaitait une nouvelle entrevue avec la mère de Lilja qui avait trouvé refuge dans la foi. Probablement devrait-elle également s’entretenir avec son père qui luttait contre la douleur en s’enfermant dans un silence glacé. Il serait difficile de parler à ces gens sans rien avoir de tangible entre les mains et Elinborg ignorait jusqu’où elle pouvait aller. Elle ne voulait surtout pas réveiller en eux le moindre espoir. Les chimères n’avaient jamais aidé personne.

Elle souhaitait également en apprendre plus sur le compte de Runolfur. Konrad lui avait demandé qui était cet homme, ce que la police savait de lui et les informations dont ils disposaient étaient en réalité bien maigres. Peut-être devait-elle reprendre l’avion pour se rendre là-bas dans la campagne et retourner dans ce village de pêcheurs afin d’y interroger à nouveau les gens du cru.

Elle enfila de confortables vêtements d’intérieur et se dirigea vers la cuisine. Theodora était rentrée de l’école, accompagnée par deux camarades qu’elle avait emmenées dans sa chambre. Valthor était également à la maison. Elle décida de le laisser tranquille, préférant éviter les frictions pour le reste de la journée.

Avant de s’occuper du bœuf, elle sortit deux filets d’agneau qu’elle s’était achetés pour les essais culinaires auxquels elle se livrait pendant son temps libre. Elle alla dans le jardin à l’arrière de la maison et alluma le gril afin qu’il soit bien chaud au moment où elle en aurait besoin. Elle sortit son plat à tandoori où elle prépara une marinade à base d’herbes islandaises. Elle débita l’agneau en morceaux assez gros qu’elle plongea dans le liquide pour les laisser reposer une bonne demi-heure. Le gril était brûlant au moment où elle posa son plat avec quelques pommes de terre destinées à accompagner le steak de bœuf. Elle appela Teddi. Il lui répondit qu’il était en route.

Un grand calme envahissait Elinborg à chaque fois qu’elle s’accordait un peu de temps pour la cuisine. Elle s’autorisait à changer d’attitude, à s’abstraire de l’agitation du quotidien, de son travail et à se reposer sur sa famille. Elle se vidait l’esprit de tout ce qui ne concernait pas les divers ingrédients et la manière dont elle pourrait se servir de son intelligence et de son imagination fertile afin de créer une entité parfaite à partir d’éléments chaotiques. La cuisine lui permettait de satisfaire ses besoins créatifs, qui consistaient à transformer une matière brute pour lui donner une autre nature, un autre goût, une autre odeur. Elle considérait les trois stades de la cuisine comme une sorte de recette pour la vie : la préparation, la réalisation et le repas autour de la table.