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— Oui.

— Je l’ignorais.

— Maintenant, vous le savez…

— Si je vous raconte ce qui n’est pas consigné sur le procès-verbal, il faut absolument que cela reste entre nous.

— Je n’en dirai rien à personne. Vous pouvez me faire confiance.

Ragnar Thor acheva de faire le plein de la voiture. Ils se tenaient tous les deux à côté de la pompe. Il était presque midi, il faisait froid.

— C’était tout bonnement un suicide, déclara-t-il.

— Un suicide ? Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

— Vous me promettez de ne le répéter à personne.

— C’est promis.

— Il m’a adressé un sourire.

— Un sourire ?

Ragnar hocha la tête.

— Il a souri au moment où nos deux véhicules se sont percutés. Je crois qu’il m’a choisi. Il a choisi le camion que je conduisais parce qu’il était très gros, très lourd et qu’il avait une remorque. Cet homme a tourné tout à coup sous mon nez. Je n’ai rien pu faire. Je n’avais aucune possibilité de réagir. Il a foncé droit sur moi et juste avant la collision, il avait un grand sourire sur le visage.

L’avion décolla de l’aéroport de Reykjavik dans l’après-midi. Seule la moitié des places étaient occupées. Il s’éleva rapidement dans les airs. À moins que l’État ne mette encore un peu plus la main à la poche, il était question d’abandonner cette ligne intérieure tant sa fréquentation avait diminué. Le vol avait été retardé à cause du brouillard qui bouchait la vue sur l’aéroport de destination et il était plus de deux heures quand on avait enfin considéré pouvoir partir sans courir de risque.

Le commandant de bord avait salué les passagers dans les haut-parleurs, il avait présenté ses excuses pour le retard, précisé le temps de vol et exposé les conditions météo de la destination. Le temps y était très couvert, il y faisait un froid piquant, moins quatre degrés. Ensuite, il avait souhaité à tout le monde un agréable voyage. Elinborg avait attaché sa ceinture en repensant au vol qu’elle avait pris quelques jours plus tôt. Il lui sembla que c’était le même pilote que l’autre fois. Ils volèrent au-dessus des nuages presque tout au long du trajet. Elinborg profitait du soleil qui brillait à sa gauche. Il ne s’était pas beaucoup montré à Reykjavik pendant ces maussades journées d’automne.

Elle avait emporté avec elle le dossier concernant le crime du 101, comme les journaux l’appelaient désormais. L’appellation meurtre de Thingholt était passée de mode. L’affaire était présentée par la presse comme l’histoire d’un yuppie qui avait été tué dans le centre-ville, lequel portait le code postal 101. Les journalistes n’avaient décidément pas tardé à apposer sur le meurtre l’étiquette du quartier central. Elinborg relisait les aveux de Konrad. Il continuait à s’y tenir et affirmait ne rien vouloir modifier. Elle savait que la garde à vue produisait sur les intéressés des effets aussi étranges qu’imprévisibles.

— Je veux voir ma fille, avait-il déclaré quelque part. Je refuse de répondre à d’autres questions si on ne me permet pas de la rencontrer.

— C’est exclu, avait répondu le policier.

Elinborg supposait qu’il s’agissait de Finnur, l’homme qui leur avait indiqué le lien possible entre Edvard et Lilja.

— Comment va-t-elle ?

— Nous pensons qu’elle ne va pas tarder à s’effondrer. Ce n’est qu’une question de temps.

Elinborg grimaça en lisant ces mots. Konrad passait son temps à demander des nouvelles de sa fille et elle trouvait que son collègue recourait là de façon inutile à une stratégie psychologique des plus puériles.

— Elle va bien ?

— Oui, pour le moment.

— Comment ça, pour le moment ?

— Je n’en sais rien. Évidemment, ce n’est pas très drôle de mariner en garde à vue.

Un peu plus loin dans le document, Konrad semblait abandonner la lutte. Les questions s’étaient orientées sur son arrivée à la maison de Runolfur. On lui avait inlassablement demandé la même chose et il s’était subitement armé de courage. Elinborg l’imaginait dans la salle d’interrogatoire. Sans doute s’était-il redressé sur sa chaise en poussant un profond soupir.

— Je suppose que cela ne me servira à rien de m’entêter ainsi. Je ne sais pas comment j’ai pu m’imaginer que j’allais m’en tirer comme ça. J’aurais dû me livrer juste après l’avoir agressé. Cela aurait épargné d’inutiles souffrances à ma fille. C’était une erreur monumentale de ma part, mais je continue d’affirmer que j’étais en état de légitime défense.

— Êtes-vous en train de… ?

— Oui, c’est moi qui l’ai tué. Laissez Nina tranquille. C’est moi. Je regrette de l’avoir entraînée dans cette partie de cache-cache. C’était ma faute. Tout est ma faute. J’ai été pris d’une colère noire quand j’ai découvert ma fille dans cet état et que j’ai compris ce qui s’était produit en entrant dans cet appartement. Elle m’avait expliqué où elle était, où habitait cet homme. Elle m’a passé ce coup de fil terrifiant. Je me suis précipité là-bas. Elle avait réussi à m’ouvrir la porte. Je suis entré, j’ai tout de suite vu ce couteau sur la table. J’ai cru qu’il s’en était servi pour la menacer. Je ne savais pas ce qui se passait. Nina était assise sur le sol et il y avait cet homme à demi nu qui la surplombait. Je ne l’avais jamais vu. Il me tournait le dos. J’ai cru qu’il allait faire du mal à ma fille, j’ai attrapé le couteau et je l’ai égorgé. Il n’a même pas aperçu mon visage. Ensuite, j’ai ramassé les vêtements que j’ai vus par terre, je l’ai emmenée hors de cette maison, nous sommes passés par le jardin, nous avons rejoint la rue en contrebas puis notre voiture. Je me suis arrêté en route pour balancer le couteau à la mer. Je ne me souviens pas exactement à quel endroit. Voilà, c’est comme ça que cela s’est passé, voilà la vérité.

Dans la matinée, la police avait interrogé l’épouse de Konrad, qui était complice, à en croire ce qu’il racontait. Elle confirma qu’il était revenu à la voiture accompagné de leur fille, mais ne se souvenait pas qu’il se soit arrêté pour se débarrasser de l’arme du crime. Tous les trois étaient complètement bouleversés et elle n’était pas certaine de se rappeler la manière dont les événements s’étaient enchaînés, ni même tout ce qui s’était passé. Pour l’instant, on ne jugeait pas nécessaire de demander à ce qu’elle soit placée en garde à vue.

Elinborg sursauta violemment quand, traversant un trou d’air, l’avion plongea et vibra de tous les côtés. Elle se cramponna au fauteuil et les documents tombèrent par terre. Les secousses durèrent quelques minutes, l’appareil cessa bientôt de trembler. Le pilote intervint dans les haut-parleurs pour informer des turbulences et demander aux passagers de garder leurs ceintures attachées. Elle ramassa ses feuilles pour les remettre dans l’ordre. Elle n’aimait pas beaucoup les déplacements dans ces coucous à hélices.

Elle se replongea dans l’interrogatoire. On questionnait Konrad sur tel et tel point de détail et il y répondait avec précision. Il n’apportait toutefois aucune réponse à la question qui agitait l’esprit d’Elinborg et qui concernait le Rohypnol ingéré par Runolfur. Il ne l’avait aucunement forcé à avaler ce produit et Nina ne se souvenait pour ainsi dire de rien.

Elinborg sentait que l’avion descendait. Une fine couche de neige recouvrait toujours la terre et faisait ressortir les couleurs d’automne dont s’était parée la végétation. Elle savait que deux policiers l’attendaient à l’aéroport et qu’ils la conduiraient à destination, comme la première fois. Elle repensa à la scène qui avait eu lieu dans sa cuisine la veille au soir. Elle revit l’expression de Teddi alors qu’elle se creusait la tête sur les propos de Konrad et sur cette odeur d’huile de vidange qu’elle avait sentie sur la veste que son compagnon avait oubliée dans le vestibule.