— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de pétrole ? avait interrogé Teddi.
— Konrad m’a raconté qu’il pensait que Runolfur avait fait brûler quelque chose, avait-elle expliqué. Or ce n’était pas le cas. D’ailleurs, l’odeur qu’il a sentie n’était sans doute pas celle du pétrole.
— Qu’est-ce que ça change ? avait demandé Teddi.
— Dès que nous l’avons interrogé, Konrad m’a confié qu’il avait perçu chez Runolfur une odeur de pétrole. Nous n’avons trouvé aucune trace de ce produit, du reste, la description de Konrad n’était pas des plus précises. En tout cas, pour moi, elle ne l’était pas. Je crois que l’odeur qu’il a sentie ressemblait à celle qui imprègne ta veste. Peut-être que cela a suffi. Il suffit que tu la laisses traîner sur une chaise dans le vestibule pour qu’il s’emplisse de son odeur.
— Et alors ?
— Eh bien, cela change tout, avait conclu Elinborg en attrapant son portable pour rappeler Sigurdur Oli.
— Ces aveux ne valent rien, lui avait-elle annoncé.
— Hein ?
— Konrad est persuadé qu’il fait le meilleur choix en endossant la responsabilité du crime. Je crois au contraire que ni lui ni sa fille n’ont joué le moindre rôle dans le décès de Runolfur.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? Si ce n’est pas eux, alors qui veux-tu que ce soit ?
— Il faut que je reprenne tout cela depuis le début, avait répondu Elinborg. Il faut que je voie Konrad dès demain matin. Je crois très sérieusement qu’il nous ment.
— Tu voudrais bien ne pas compliquer les choses, s’était agacé Sigurdur Oli. Je viens de t’adresser mes félicitations pour avoir bouclé cette enquête.
— Certes, mais il est encore beaucoup trop tôt, malheureusement.
Elle avait raccroché et s’était tournée vers Teddi.
— Est-ce que je pourrais t’emprunter ta veste demain ?
Tôt le lendemain matin, elle s’était installée avec Konrad dans la salle d’interrogatoire du commissariat. L’air fatigué, il lui avait confié n’avoir que peu dormi de la nuit. Les cheveux en bataille et le visage froissé, il avait à peine répondu à la salutation qu’elle lui avait adressée, mais avait, comme à chaque fois, demandé des nouvelles de Nina. Elinborg lui avait répondu qu’elle était comme à son habitude.
— Je crois que vous nous mentez, avait-elle commencé. En fait, vous nous disiez la vérité depuis le début et nous ne vous avons pas cru. Il en va de même pour votre fille. Nous ne l’avons pas crue non plus. Vous avez décidé de vous accuser de ce meurtre. Vous préférez être emprisonné un certain temps afin de l’épargner. Vous êtes un homme âgé, elle est jeune et elle a sa vie devant elle. Mais voilà, il y a deux choses qui ne collent pas et je crois que vous n’y avez pas suffisamment réfléchi. La première c’est que Nina ne souscrira sans doute jamais à votre version des faits. Elle n’acceptera pas que vous endossiez la responsabilité du crime. La seconde c’est tout simplement que vous nous mentez.
— Qu’en savez-vous ?
— Je le sais, c’est tout.
— Vous ne me croyez jamais, quoi que je puisse vous dire.
— Si, partiellement, je crois la majeure partie de ce que vous avez déclaré, jusqu’au moment où vous affirmez vous en être pris à Runolfur.
— Nina ne l’a pas fait.
— J’ignore si vous avez gardé ce détail en mémoire, mais vous m’avez affirmé avoir perçu comme une odeur de pétrole quand vous êtes arrivé chez Runolfur. Vous pensiez qu’il avait fait brûler quelque chose. Avez-vous aussi senti une odeur de brûlé ?
— Non, cela ne sentait pas le brûlé.
— Donc, il n’y avait que cette odeur de pétrole ?
— C’est exact.
— Savez-vous quelle odeur a le pétrole ?
— Pas plus que le commun des gens. Je me suis dit qu’elle devait ressembler à ça.
— Était-elle très forte ?
— Non, pas réellement. Je la décrirais plutôt comme légère.
Elinborg avait sorti un sac en plastique pour en tirer la veste que Teddi avait oubliée la veille dans le vestibule. Elle la posa sur la table de la salle d’interrogatoire.
— Je n’ai jamais vu ce vêtement, avait immédiatement déclaré Konrad, comme s’il voulait se prémunir contre une nouvelle série d’ennuis.
— Je le sais, avait répondu Elinborg. Je voudrais que vous me disiez si vous sentez l’odeur qui s’en dégage, sans vous en approcher et sans la renifler. La sentez-vous ?
— Non.
Elinborg avait pris la veste, l’avait secouée puis repliée avant de la replonger dans le sac en plastique. Elle s’était levée pour aller la déposer dans le couloir. Ensuite, elle était revenue s’asseoir face à Konrad.
— Je reconnais que la méthode n’est pas très scientifique, mais sentez-vous quelque chose maintenant ?
— Oui, je perçois bien une odeur, avait confirmé Konrad.
— Est-ce la même que celle qui se trouvait chez Runolfur ?
Konrad inspira profondément, deux fois de suite.
— Oui, c’est exactement la même que celle que j’ai perçue en entrant chez cet homme, avait-il répondu. Peut-être un peu moins présente, quand même.
— Vous êtes certain ?
— Oui, c’est bien cette odeur-là. À qui appartient cette veste ?
— À mon compagnon, avait répondu Elinborg. Il est mécanicien. Elle reste accrochée à longueur de journée dans son bureau et elle est tout imprégnée d’huiles de vidange et de cambouis. On retrouve la même dans tous les garages du pays. Elle est extrêmement tenace et s’accroche dans les vêtements.
— Une odeur d’huile de vidange ?
— En effet.
— Et alors ?
— Eh bien, je ne sais pas, je ne suis absolument pas certaine, mais je crois que vous feriez mieux d’attendre d’avoir de mes nouvelles avant de vous livrer à de nouveaux aveux, avait-elle conclu.
Le pilote ne soigna pas franchement son atterrissage. Elinborg fut arrachée à ses pensées au moment où l’avion se posa brutalement sur la piste.
29
On lui redonna la même chambre à la pension du village et elle s’installa tranquillement. Rien ne pressait, la nuit tombait. Sur la route depuis l’aéroport, elle avait été en contact téléphonique avec Sigurdur Oli à Reykjavik ainsi qu’avec d’autres collègues qui travaillaient sur l’enquête afin de tenter de trouver des informations complémentaires sur la famille de Runolfur, sa mère, ce père qui avait marché vers la mort le sourire aux lèvres, les amis que Runolfur avait eus au village et leurs familles. Les informations dont ils disposaient étaient minces, mais elle en obtiendrait d’autres au cours des prochains jours si son intuition était bonne.
La femme qui dirigeait la pension l’avait immédiatement reconnue et s’était beaucoup étonnée de la revoir aussi vite. Elle n’avait pas pris la peine de dissimuler sa curiosité.
— Y a-t-il une raison spéciale qui vous amène à nouveau chez nous ? lui avait-elle demandé en l’accompagnant à sa chambre pour lui ouvrir la porte. Je suppose qu’il ne s’agit pas d’un simple voyage d’agrément, n’est-ce pas ?
— Je crois me rappeler que quelqu’un m’a dit qu’ici, il ne se passait jamais rien, répondit Elinborg.
— Oui, c’est vrai, il ne se passe presque rien, convint la femme.
— Dans ce cas, ma présence ne devrait pas vous inquiéter, observa Elinborg.
Elle se rendit à l’unique restaurant du village pour y dîner. Elle opta pour le plat de poisson qu’elle avait commandé lors de sa première visite. Cette fois-ci, elle était seule. La femme qui s’appelait Lauga et s’occupait de tout nota sa commande sans un mot puis disparut à la cuisine. Soit elle ne se rappelait pas d’elle, soit elle n’avait pas envie d’engager une conversation de convenance. Elle s’était montrée plus loquace la première fois. Elle revint bientôt avec l’assiette qu’elle posa sur la table.