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Il faisait froid. Un vent piquant s’était mis à souffler du nord, qui s’infiltrait à travers les vêtements et forcissait constamment. Elles avançaient contre la bise. Elinborg frissonna et resserra son manteau au plus près de son corps. Elles longèrent la mer, dépassèrent le groupe de maisons qui formaient le cœur du village en surplomb du port puis continuèrent vers le nord. Elinborg se demandait combien de temps cette promenade allait durer et à quel endroit son guide comptait l’emmener. Elles s’étaient à nouveau éloignées de la côte. Elinborg avançait d’un pas ferme le long de la route qui sortait du village et passa devant un grand bâtiment qu’elle supposait être la salle des fêtes, laquelle était éclairée par une ampoule au-dessus de la porte. Elle entendait le profond murmure de la rivière qui coulait dans l’obscurité et perdait régulièrement de vue celle qu’elle suivait. La lune éclairait le ciel nocturne. Elle s’était mise à trembler de froid ; la bise avait encore forci pour se transformer en ce qui ressemblait de plus en plus à une tempête qui venait vous hurler aux oreilles.

Tout à coup, elle aperçut un faisceau lumineux sur la route. Elle s’approcha. La jeune fille se tenait immobile sur l’accotement, une lampe de poche à la main.

— Avez-vous vraiment besoin de faire tout ce cinéma ? interrogea Elinborg une fois qu’elle l’eut rejointe. Ne pourriez-vous pas simplement me dire ce que vous souhaitez me confier ? Il fait nuit et vous allez me faire mourir de froid.

Sans même la regarder, la jeune fille reprit sa marche rapide pour descendre la route en direction de la mer. La policière la suivit. Elles parvinrent à un mur en pierre qui arrivait à la taille d’Elinborg et qu’elles longèrent jusqu’à atteindre une grille que la jeune fille ouvrit. La barrière grinça.

— Où sommes-nous ? s’enquit Elinborg. Où m’emmenez-vous ?

Elle ne tarda pas à obtenir la réponse. Elles s’engagèrent sur une étroite allée et dépassèrent un grand arbre. Elinborg distinguait dans le faisceau de la lampe un escalier de pierre qui montait vers un bâtiment dont elle ignorait la nature. Le jeune fille tourna à droite et gravit une petite pente. L’espace d’un instant, Elinborg aperçut une croix blanche dans le faisceau de la lampe. Puis, elle distingua une pierre taillée, enfoncée dans la terre, et qui portait une inscription.

— Nous sommes dans un cimetière ? murmura-t-elle.

Au lieu de lui répondre, la jeune femme continua d’avancer jusqu’à se poster auprès d’une croix blanche toute simple. Au centre, on voyait une plaque d’acier portant une inscription en lettres fines. Des fleurs fraîches reposaient sur la tombe.

— Qui est-ce ? interrogea Elinborg en essayant de déchiffrer l’inscription dans le vacillement de la lampe.

— C’était son anniversaire l’autre jour, murmura la jeune femme.

Elinborg fixait la tombe. La lumière de la lampe s’éteignit, elle entendit des pas s’éloigner et comprit qu’elle était seule dans le cimetière.

30

Elle dormit tard d’un sommeil aussi bref qu’agité et se leva tôt le lendemain matin. Le vent s’était calmé au cours de la nuit, elle était retournée au village sous quelques flocons de neige après son expédition nocturne. Elle ignorait si elle reverrait cette jeune fille et ne savait pas non plus pourquoi elle l’avait conduite jusqu’à cette tombe. Elle était parvenue à déchiffrer le nom gravé sur la croix, c’était celui d’une femme. Ensuite, elle avait longuement réfléchi à celle qui reposait sous la terre, à ce bouquet de fleurs que quelqu’un avait récemment déposé et à l’histoire enterrée sous la croix, cette histoire qu’elle ne connaissait pas.

Elle resta tranquillement dans sa chambre toute la matinée, passa quelques coups de fil à Reykjavik et organisa sa journée. Il était largement plus de midi quand elle se dirigea vers le restaurant. Il y avait encore un peu de monde, même si le coup de feu était passé. Lauga s’était adjoint une aide à la cuisine. Elinborg commanda des œufs au bacon en guise de déjeuner, accompagnés de café. Elle avait l’impression que les gens l’épiaient comme un intrus, mais elle ne s’en souciait pas. Elle n’était pas pressée ; elle termina son déjeuner en toute tranquillité et s’offrit une seconde tasse de café tout en observant la clientèle.

Lauga vint débarrasser son assiette et essuyer sa table.

— Quand pensez-vous repartir en ville ? lui demanda-t-elle.

— Cela dépend, répondit Elinborg. Ce village a quelques petites choses à offrir même s’il ne s’y passe jamais rien.

— En effet, confirma Lauga. J’ai cru comprendre que vous aviez passé la nuit dehors.

— Vous m’en direz tant.

— Simples commérages, observa Lauga. Et ce n’est pas ce qui manque. Il faut se garder de croire tout ce qu’on vous raconte dans ce genre de village. J’espère que vous n’allez pas vous mettre à collecter tous les ragots qui traînent.

— Ils ne m’intéressent pas du tout, répondit Elinborg. On a annoncé de la neige pour aujourd’hui ? interrogea-t-elle en jetant un œil par la fenêtre.

Le ciel bas et lourd ne lui disait rien qui vaille.

— Ce sont les prévisions météo. Il y a un avis de tempête pour ce soir et cette nuit.

Elinborg se leva de table. Il ne restait plus qu’elle dans le restaurant.

— Il est inutile de remuer le passé, observa Lauga. Ce qui est fait est fait et c’est terminé.

— En parlant du passé, vous avez dû connaître une jeune fille qui vivait ici, une certaine Adalheidur. Elle est décédée il y a deux ans.

Lauga hésita.

— Je la connaissais de vue, en effet, admit-elle finalement.

— De quoi est-elle morte ?

— De quoi ? répéta Lauga. Je n’ai aucune envie d’aborder le sujet.

— Et pourquoi donc ?

— Parce que cela ne m’intéresse pas.

— Pourriez-vous me donner le nom de certains de ses amis, de membres de sa famille, de personnes que je pourrais interroger ?

— Je ne peux rien pour vous dans ce domaine. Mon rôle se limite à diriger ce restaurant et je ne suis pas là pour raconter des histoires aux inconnus.

— Merci bien, conclut Elinborg tout en s’avançant vers la porte.

Lauga restait plantée au centre de la pièce et la regardait comme si elle avait encore quelque chose à lui dire.

— Je crois que vous nous rendriez à tous un immense service en repartant à Reykjavik et en ne remettant jamais les pieds ici, observa Lauga.

— À qui dites-vous que je rendrais service ?

— À nous tous, souligna Lauga. Vous ne trouverez rien ici.

— Qui vivra verra, renvoya Elinborg. Merci beaucoup pour ce repas, vous êtes une excellente cuisinière.

Elle avait l’intention de retourner au cimetière, mais décida de s’accorder une halte en chemin. Elle monta vers la maison où vivait la mère de Runolfur et appuya sur la sonnette. Elle entendit le son atténué retentir à l’intérieur et la porte s’ouvrit. Kristjana se souvint immédiatement d’elle et l’invita à entrer.

— Que revenez-vous faire ici ? interrogea-t-elle en s’installant dans le fauteuil qu’elle avait occupé lors de sa première visite. Pourquoi revenez-vous traîner au village ?

— Je m’efforce de trouver des réponses.

— Je doute que vous trouviez quoi que ce soit ici, observa Kristjana. Ce village est un trou, un trou mortel et je l’aurais quitté depuis belle lurette si j’en avais eu le courage.

— N’y fait-il pas bon vivre ?

— Bon vivre ? rétorqua Kristjana, une serviette en papier à la main. Elle s’essuya la bouche avant de lisser et d’étirer le papier. N’allez pas écouter les tissus de mensonges que racontent les gens.