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– C’est bien possible. Admettez qu’il est difficile d’être insensible à tant de grâce et de jeunesse. Surtout quand on est italien et à moitié français comme moi !

– Ce sont des impressions qu’un Britannique peut ressentir aussi. Sauf peut-être lorsqu’il est trop souvent confronté aux innombrables visages du crime. Vous êtes venu me dire, je pense, qu’elle n’est pas coupable, que je risque de porter le poids d’une erreur judiciaire...

– Rien de tout cela, coupa Aldo. Je suppose qu’un homme de votre expérience ne saurait envoyer en prison une femme de son âge – elle n’a pas vingt ans ! — et de sa qualité, sur un simple caprice...

– Merci de cette bonne opinion, fit Warren avec un petit salut ironique. En ce cas, que puis-je pour vous ?

– M’accorder la faveur de lui rendre visite à la prison. Je crois la connaître assez bien et il n’est pas impossible que j’en obtienne quelques éclaircissements sur ce qui s’est passé au moment de la mort de son époux.

– Oh, nous le savons : elle a offert à sir Eric un sachet d’antimigraine dont il a versé le contenu dans son verre de whisky, il a bu et il est mort. Ajoutons qu’une violente dispute l’avait opposée à son mari un moment auparavant.. Le ménage, d’ailleurs, marchait mal depuis quelques semaines...

– Ce qui m’aurait étonné c’est qu’il marche bien, étant donné la façon dont il a débuté, mais ne pensez-vous pas qu’il est insensé d’empoisonner un homme au vu et au su de tous ? Or, lady Ferrals n’est ni stupide ni insensée. Il me semble qu’avant de l’arrêter, vous auriez pu vous assurer d’abord de ce serviteur polonais qui, si mes renseignements sont exacts, a servi le whisky soda avant de disparaître si opportunément.

– J’ai bien l’intention de mettre la main dessus, encore que nous n’ayons pas trouvé trace de strychnine dans le flacon de whisky ni dans l’eau...

– S’il est un peu habile, ce garçon a très bien pu mettre le poison dans le verre en servant. Il ne peut pas être innocent. D’ailleurs, il faudrait savoir de quels moyens il a usé sur lady Ferrals pour s’introduire dans la place. N’oubliez pas que ce Ladislas est un nihiliste !

Sous leurs sourcils épais, les yeux jaunes du ptérodactyle s’arrondirent encore :

– Ladislas ? Son nom n’est pas Stanislas Rasocki ?

– Le nom de famille je l’ignore, mais le prénom est bien Ladislas.

– Vous commencez à m’intéresser, prince ! Dites m’en un peu plus et vous aurez peut-être votre entrevue.

Morosini raconta ce qu’il savait des relations passées d’Anielka et de son ancien soupirant. Warren, qui était retourné s’asseoir à son bureau, l’écoutait en tapotant un dossier du bout de son stylo. Finalement il lâcha :

– Gela explique sans doute pourquoi elle pleurait tant et refusait de l’accuser formellement. En ce cas, elle pourrait être complice ou même instigatrice. Ce qui est encore trop. Elle a d’ailleurs été arrêtée pour avoir « empoisonné ou fait empoisonner » son mari.

– J’espère que la suite de vos investigations vous prouvera qu’elle est innocente, mais comment se fait-il qu’à l’audience préliminaire, l’avocat n’ait pas obtenu la liberté provisoire ?

– Là, j’admets qu’elle n’a pas eu de chance. Elle était défendue par un blanc-bec uniquement soucieux de sa perruque et des plis de sa robe. Il a refermé sur elle les portes de Brixton.

– Un homme comme Eric Ferrals avait sûrement à sa disposition un maître du barreau ?

– En effet, mais sir Geoffrey Harden, qui est le maître en question, chasse le tigre chez le maharajah de Patiala. On a pris un de ses stagiaires, qui me paraît avoir plus de relations que de talent. Quand vous verrez lady Ferrals, conseillez-lui donc de prendre un autre défenseur ! Avec celui-là, la corde est au bout du voyage.

– Quand je la verrai ? Gela veut-il dire que vous me permettez...

– Oui. Vous pourrez aller demain à la prison. Voilà un laissez-passer, ajouta Warren en tendant un papier où il venait d’écrire quelques mots. Mais j’espère que si vous apprenez un fait important ou même mineur vous me ferez la grâce de venir m’en informer.

– Je vous le promets. Tout ce que je désire, c’est la tirer de là parce que je suis certain de son innocence... A ce propos d’ailleurs, puis-je vous demander un conseil ?

– Allez-y !

– En l’absence de sir Geoffrey Harden, à qui confieriez-vous la défense d’un être... cher ?

Pour la première fois, Morosini entendit rire le ptérodactyle. Un rire franc et sonore qui le rendait presque sympathique.

– Je ne suis pas certain, dit-il, d’être bien dans mon rôle en fournissant un adversaire coriace à l’avocat de la Couronne mais je crois que je m’adresserais à sir Desmond Saint Albans. Il est rusé comme un renard ; c’est une vraie teigne mais il connaît les lois et la jurisprudence sur le bout du doigt et ses diatribes au couteau font souvent plus d’effet sur un jury que les plus belles envolées lyriques. Si quelqu’un est capable de terroriser des jurés c’est bien lui. J’ajoute qu’il est très cher, sans doute parce qu’il est très riche, mais je suppose que la veuve de sir Eric a les moyens de le payer. C’est en déclarant dans sa péroraison que sa cliente était disposée à verser n’importe quelle caution, même très importante, que le blanc-bec a réussi l’exploit de l’envoyer à Brixton. Le juge a été persuadé qu’elle filerait par le premier bateau.

– Je connais un peu sir Desmond, soupira Morosini à qui le nom avait causé un petit choc désagréable. J’ai assisté ces jours derniers à l’enterrement de son oncle, le comte de Killrenan dont il hérite le titre.

– ... et la fortune, ce qui doit le combler de joie. Gomme tous les collectionneurs, il a de gros besoins... Mais à propos de collections, je vous ai déjà vu, vous. N’étiez-vous pas, tout à l’heure, devant le magasin de ce pauvre Harrison ?

Cet homme, décidément, possédait de bons yeux mais, au fond, pensa Aldo, il ne risquait rien à lui répondre même s’il y avait, dans sa voix, une ombre de soupçon. La déformation professionnelle, sans doute ?

– Je ne pensais pas avoir été remarqué, fit-il avec un sourire. En effet, je me rendais chez Mr. Harrison avec l’un de mes amis, un archéologue français qui s’intéresse presque autant que moi aux vieilles pierres. Et il se trouve qu’en la matière je suis expert. Aussi souhaitions-nous examiner le fameux diamant avant qu’il ne gagne la salle des ventes. Malheureusement, quand nous sommes arrivés, le crime avait eu lieu et nous n’avons rien trouvé de mieux à faire que nous mêler aux badauds pour essayer d’en savoir un peu plus. Et je ne vous cache pas que je brûle de vous poser, à mon tour, une ou deux questions.

– Vous aviez l’intention d’assister à la vente ?

– Bien entendu... et peut-être d’enchérir.

– Peste ! ricana Warren. Vous êtes donc bien riche ?

– Disons que je le suis raisonnablement. En revanche, j’ai quelques clients fortunés qui seraient disposés à payer très cher une pièce de cette importance.

– Puisque vous êtes de la partie, vous n’ignorez cependant pas que certains prétendent qu’il s’agit d’un faux. L’avalanche de lettres reçues par les journaux...

– C’est la raison pour laquelle je désirais l’examiner moi-même, fit Morosini. Pure curiosité d’ailleurs ! Mon opinion était déjà faite, bien assise sur la réputation de Mr. Harrison : un joaillier de sa valeur ne saurait être trompé par un faux grossier, ajouta-t-il vertueusement.

Il éprouvait un plaisir pervers à chanter, en face d’un haut fonctionnaire de police, l’authenticité d’une pierre dont il savait parfaitement qu’elle était fausse. De son côté le superintendant parut découvrir les charmes d’un grand cartonnier vert foncé qu’il caressa en lui offrant un tendre sourire.