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Nanti d’une tasse et un peu désœuvré – Adalbert adorait le bridge — Morosini entreprit le tour du salon, plutôt écrasé par les dorures victoriennes mais où les murs montraient quelques belles toiles, paysages ou portraits. L’un de ceux-ci attira particulièrement son attention par sa facture et le type du personnage qu’il représentait. Un homme de haut rang et même de sang royal si l’on s’en tenait à l’apparat du tableau. Le modèle possédait le type Bourbon et ressemblait assez au roi Charles III, mais la masse de cheveux roux et frisés encadrant le visage et une certaine vulgarité dans le sourire et l’expression en étaient d’autant plus déroutantes. Aldo se pencha pour tenter de déchiffrer la signature de l’artiste lorsque, derrière lui, quelqu’un le renseigna :

– Kellner pinxit ! ... C’était comme vous le savez peut-être le peintre favori du roi George Ier. Un Allemand comme lui, bien entendu2. Une figure pittoresque à tous les sens du terme, n’est-ce pas ? Il est vrai que ses origines ne l’étaient pas moins...

– Par sa mère, Henriette de France, il était le petit-fils d’Henri IV.

– Le jeu des successions a placé George de Hanovre sur le trône anglais.

Armé lui aussi d’une tasse de café, un homme en qui Morosini reconnut le nouveau lord Killrenan se tenait auprès de lui, un sourire en coin animant son visage lourd et peu expressif.

– La rencontre est inattendue, lord Desmond. Comment se fait-il que je ne vous aie pas remarqué au dîner ?

– Simplement parce que je n’y étais pas. J’aurais dû mais j’ai été retenu à Old Bailey par une affaire importante. Ce portrait vous intéresse ?

– Il faut bien s’intéresser à quelque chose dans un salon. J’avoue qu’il m’intrigue un peu. Mais vous parliez d’origines... pittoresques ?

– Pour le moins. Sa mère a été marchande d’oranges puis comédienne avant de devenir la favorite de notre roi Charles, deuxième du nom. Il est le fils de la fameuse Nell Gwyn, mais son père l’a fait duc de Saint Albans.

Morosini releva un sourcil ironique :

– Comme vous ? Serait-ce l’un de vos ancêtres ?

– À Dieu ne plaise ! Même pour un titre ducal je n’aimerais pas compter la trop fameuse Nellie au nombre de mes aïeules. Je descends d’un autre Saint Albans qui fut médecin d’un roi de France au XIIe siècle avant de s’installer en Angleterre. Si nous nous asseyions ? Ce serait plus commode pour parler. Et puis ce café est froid...

Tandis qu’ils allaient se choisir deux fauteuils, Aldo jeta un dernier regard au bâtard royal. Les paroles de Simon Aronov quand, dans la voiture, ils parlaient de la Rose d’York lui revenaient en mémoire. « Un bruit de cour prétend que Buckingham la perdit en jouant aux cartes contre l’actrice Nell Gwyn, alors favorite du roi Charles et enceinte d’un fils... » Ce personnage à la mine un peu canaille dont le Boiteux n’avait pas mentionné le nom avait sans doute possédé le diamant. Tout à coup, Morosini pensa que les recherches d’Adalbert à Somerset House pouvaient n’être pas dépourvues d’enseignements...

En attendant, il pouvait être utile de cuisiner un peu le Saint Albans qu’il avait sous la main, descendant ou pas du fils de Charles II

– Puis-je vous demander des nouvelles de lady Mary puisqu’elle ne vous accompagne pas ? Elle n’est pas souffrante, au moins ?

– Non, mais elle n’aime pas beaucoup ce genre de réunion et encore moins lady Danvers avec qui j’entretiens, moi, des relations quasi familiales. C’est la première fois que je m’en félicite, d’ailleurs : je crains qu’elle ne vous porte pas dans son cœur. Une histoire de bracelet que vous auriez refusé de lui vendre...

– Croyez que j’en suis navré, mais je n’avais pas le choix : les ordres du vendeur étaient formels : en aucun cas à un Anglais ni à une Anglaise.

– Je n’ai jamais compris pourquoi. Morosini se mit à rire :

– Il n’entre pas dans mes attributions de percer les secrets de mes clients. Tout autant qu’un médecin... ou un avocat, je suis lié par le secret professionnel.

– Je l’admets volontiers mais, en vérité, Mary n’a pas de chance : elle commençait à oublier Mumtaz Mahal pour accrocher ses espoirs à la Rose d’York et voilà celle-ci qui disparaît ! Mais vous venez de faire allusion à ma profession et il semblerait que je doive vous remercier : lady Ferrals m’a laissé entendre que vous lui aviez recommandé de me confier sa défense. J’ignorais que l’on connût mon nom à Venise !

– Et vous aviez raison : je n’ai fait que lui transmettre le conseil d’un ami dont je tairai l’identité mais qui apprécie votre grand talent et qui, n’ayant pas l’honneur de la connaître, m’a chargé de lui conseiller un changement de défenseur. Un point c’est tout ! Et vous ne me devez en conséquence aucun remerciement.

Les coudes appuyés aux bras de son fauteuil, Saint Albans joignit ses mains par le bout des doigts et y appuya sa bouche dans une attitude méditative.

– Peut-être pas, en effet ! C’est une cause flatteuse, intéressante aussi mais qui risque de ne rien ajouter à ma réputation. Cette jeune femme est déroutante et je vous avoue que dans l’état actuel de nos conversations, je n’ai pas encore arrêté ma politique d’attaque du tribunal. À la voir, on jurerait qu’elle est innocente, mais à l’entendre il est difficile de se faire une opinion.

– Avez-vous déjà interrogé Wanda, sa femme de chambre ?

– Non. Je compte le faire demain.

– Vous aurez encore plus de mal après, mais selon moi je crois qu’il faut faire confiance à Ani... à lady Ferrals et tout tenter pour retrouver le Polonais en fuite.

– Aucun doute là-dessus ! Mais, dites-moi, prince, vous la connaissez bien, vous ?

– Qui peut se vanter de bien connaître une femme ? Nos relations remontent à quelques semaines avant son mariage.

– Un mariage où l’amour n’avait pas grand-chose à voir. Je ne vous cache pas que c’est l’un des éléments qui vont me gêner devant le tribunal si je ne parviens pas à la faire changer d’attitude : elle ne dissimule pas assez le dégoût que lui inspirait son mari. L’avocat de la Couronne aura beau jeu de glisser à la haine renforcée par des relations adultères avec ce Polonais fantôme...

– Son père vient d’arriver à Londres. L’avez-vous vu ?

– Pas encore. Nous avons rendez-vous demain.

– Vous devriez en tirer quelque réconfort, fit Aldo avec un sourire ironique. C’est un homme qui sait ce qu’il veut et qui a toujours imposé sa volonté à sa fille.

– Vraiment ?

– Vraiment ! Quelques secondes d’entretien avec lui vous suffiront à jauger le personnage...

Un gentleman aux cheveux et à la moustache poivre et sel dont Morosini avait oublié le nom, mais qui était un cousin de la duchesse, s’approcha d’eux pour prier sir Desmond de bien vouloir rejoindre les bridgeurs. Outre qu’un joueur de sa force ne pouvait qu’être souhaité, on avait besoin d’un quatrième. L’avocat se leva en s’excusant :

– J’aurais aimé parler plus longtemps avec vous, prince, mais j’espère que l’occasion nous en sera donnée sinon je saurai la créer : il faut que nous nous revoyions !