Выбрать главу

– Et, s’il choisissait la vie ?

– Impossible ! c’était alors l’exécution immédiate. Dans le cas qui nous occupe, je pense que Yuan Chang n’a pas eu le choix : tout ce que l’on a dû réussir à lui faire parvenir c’est le cordon, dans une miche de pain ou Dieu sait quoi. Il n’en a pas moins obéi... comme doit le faire tout mandarin. Ce qu’il était à n’en pas douter !

– Attendez, attendez ! contesta Morosini. Vous dites qu’il a obéi. Mais à qui ? Vous parlez d’une coutume impériale, mais la Chine est en révolution depuis quelques années. C’est Sun Yat Sen le maître et je ne pense pas qu’il se soucie de ressusciter les empereurs mandchous !

– Avec la Chine, vous savez, il faut s’attendre à tout : à l’impossible, à l’inconcevable, à l’inconnaissable, au délirant mais surtout à des racines plongeant si profondément dans la nuit des temps qu’en dépit des labours et des sarclages, les plus solides demeurent toujours. Le pays vit sa révolution, oui ! Cependant le jeune empereur Pou Yi, aujourd’hui destitué, demeure toujours dans ses palais de la Cité interdite. Cela laisse supposer un certain nombre de fidèles disséminés à travers l’empire pulvérisé. Yuan Chang devait être de ceux-là. Bien qu’il habite Londres depuis des années, il n’en vient pas moins de Hong Kong où les conspirations s’épanouissent comme fleurs au soleil...

– Est-ce que son « suicide » change quelque chose pour vous, en dehors du fait que les chances de récupérer le diamant de Harrison s’amenuisent ?

Warren prit, sur sa table, une belle pipe en bruyère d’Ecosse qu’il se mit à bourrer d’un pouce rêveur avant de l’allumer et d’en tirer une longue bouffée qui parut le détendre.

– Bien entendu ! répondit-il enfin. Cela signifie que nous avons fait erreur en lui accordant trop de puissance, en imaginant qu’il œuvrait seul, en pieux collectionneur, à la recherche des trésors disparus. Force nous est à présent de constater qu’il n’était qu’une tête, celle pointée sur l’Angleterre, d’une des hydres implacables que l’on appelle triades et qui, pour atteindre leurs buts, élèvent le crime à la hauteur d’une institution. Tout leur est bon : trafic d’armes, de drogues, de femmes, d’esclaves, d’enfants même. Si vous voulez mon sentiment, je commence à regretter Yuan Chang. Avec lui, au moins, on savait à peu près où l’on en était. A présent nous allons naviguer dans le brouillard...

– Et lady Mary ? Va-t-elle, comme vous, naviguer dans le brouillard ?

– Je l’ignore. Si elle est persuadée que le diamant lui échappe, il se peut qu’elle abandonne.

– Ça m’étonnerait. Sous des dehors gracieux, elle ressemble assez à un bouledogue à qui l’on a pris son os. Elle ira jusqu’au bout de sa folie.

– De toute façon, elle demeurera sous surveillance... et tant mieux si elle me donne la joie de pouvoir un jour la jeter devant ses juges ! conclut Warren avec une intonation tellement sauvage que Morosini en eut froid dans le dos.

– Vous en faites une affaire personnelle ? s’étonna-t-il.

– Pour une fois, oui ! Elle a tué George Harrison aussi sûrement que si elle l’avait frappé elle-même. Sans sa cupidité, un homme de bien serait encore parmi nous.

La gravité du ton laissait entendre qu’en ce qui concernait Warren son jugement serait sans appel mais, après tout, Aldo n’éprouvait pas la moindre envie de plaider la cause de la nouvelle comtesse de Killrenan. D’autant moins qu’au cours d’une de ses nombreuses songeries il lui était arrivé de se demander si elle n’était pas aussi responsable de l’assassinat de sir Andrew. Pour une femme disposant de telles complicités, faire acheter à Port-Saïd un voleur doublé d’un tueur ne présentait peut-être pas d’immenses difficultés. Et il croyait se souvenir qu’elle voulait, après l’échec de sa visite au palais Morosini, se lancer dans le sillage du Robert-Bruce... Mais il garda pour lui ses réflexions. Il était temps, d’ailleurs, de se retirer. Il reprit son chapeau et ses gants laissés sur un siège.

– Je crois qu’à ce sujet je partage votre opinion et j’avoue qu’en ce moment j’aurais tendance à vous plaindre. On dirait que la haute société vous en veut personnellement : après lady Mary, la duchesse de Danvers...

– Vous avez raison, ce n’est pas un mince problème. Encore que je croie celle-ci trop sotte pour manigancer quoi que ce soit... A ce propos je compte sur vous pour garder tout cela secret.

– Vous n’en doutez pas, j’espère ?

– Non, mais je me méfie de ce journaliste de l’Evening Mail que notre ami archéologue voit assez souvent.

Aldo se mit à rire.

– Vous devriez savoir que Vidal-Pellicorne garde les yeux rivés sur la Vallée des Rois et les exploits de Mr. Carter. Grâce à Bertram Cootes, il apprend les nouvelles un peu plus vite. La duchesse ne les intéresse ni l’un ni l’autre...

– Pourvu que ça dure ! ... A bientôt peut-être... On dit qu’il suffit de parler du loup pour en voir la queue. En rentrant à Chelsea, Aldo tomba presque dans les bras de Bertram qui dévalait l’escalier à toute allure en fredonnant une vieille chanson galloise. Reconnaissant l’arrivant, il lui offrit des excuses volubiles avec un sourire rayonnant, lui saisit les deux mains qu’il serra avec une affection inattendue et se précipita au-dehors dans un envol d’imperméable usagé découvrant un complet de cheviotte avachi, en criant :

– La vie est belle ! Vous ne pouvez pas savoir ce que la vie peut être belle quelquefois !

Aldo n’essaya même pas de démêler si c’était là du Shakespeare ou du Bertram. L’ayant vu disparaître dans la brume du soir, il rejoignit Vidal-Pellicorne qu’il trouva occupé à faire une réussite. Voyant entrer son ami, Adalbert leva les yeux.

– Alors ? Le ptérodactyle ne t’a pas dévoré ?

– Il a bien essayé mais nous sommes finalement parvenus à un accord. Dis-moi, je viens de rencontrer Bertram en pleine liesse. Un vrai feu follet ! Que lui est-il arrivé ? Un héritage ?

– Disons qu’il a hérité de cinquante livres que je viens de lui donner à titre de gratification, de remerciement et d’incitation au silence. Pour quelque temps encore tout au moins...

– Cinquante livres ! Tu es généreux.

– Ça les vaut, crois-moi ! C’est grâce à lui si j’ai pu recouper une nouvelle piste de la Rose. Beaucoup plus proche de nous, cette fois, puisqu’elle s’achève dans les premières années du siècle.

– Parce qu’elle s’achève aussi, celle-là ? Le contraire m’aurait étonné. Mais dis-moi, tu n’as pas révélé à ce journaliste que la pierre volée chez Harrison était un faux ?

– Pour qui me prends-tu ? Il croit toujours à notre version officielle mais comme il n’a pas grand-chose à mettre sous sa plume ces temps dernier vu qu’on ne lui laisse toujours que les chiens écrasés, l’idée lui est venue d’écrire des papiers pour en faire peut-être un bouquin en racontant des histoires de pierres bizarres ; le tout, bien sûr, tournant autour de la disparition de la Rose. Il est donc venu me voir pour savoir ce qu’au cours de ma longue vie d’archéologue j’ai pu apprendre sur des bijoux étranges, apparus soudain dans des endroits inattendus. Son projet n’est pas bête et j’ai voulu savoir d’où il le sortait. C’est alors qu’il m’a parlé de son ami Lévi, un tailleur juif de Whitechapel chez qui il a pris ses habitudes.

Au souvenir du complet de cheviotte avachi dont le journaliste était paré tout à l’heure, Aldo ne peut s’empêcher de rire.