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– Pardonnez-moi, Votre Grâce ! Vous êtes bien certaine qu’il s’appelait Stanislas, ce valet ?

Le face-à-main se braqua sur lui avec la rapidité d’un fusil :

– Bien sûr ! Quelle drôle de question !

– Elle peut avoir son importance. Est-ce qu’il ne s’appelait pas plutôt Ladislas ?

– Oh non ! ... Vous savez, ces noms polonais se ressemblent tous, même ceux qui sont prononçables, mais je jurerais volontiers que c’est bien Stanislas. À présent, dites-moi un peu quelle importance cela peut avoir ?

Difficile d’éluder cette question sans se montrer impoli envers la duchesse ! Aldo choisit d’y répondre sur le mode léger :

– Ce n’est pas important et le mot a dépassé ma pensée. Je me suis seulement souvenu qu’à Varsovie, lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois, la jeune comtesse Solmanska voyait assez souvent un certain Ladislas à qui elle portait beaucoup d’intérêt... mais dont je n’ai jamais pu retenir le nom de famille imprononçable, ajouta-t-il avec son plus séduisant sourire.

– Mon cher ami, fit lady Danvers en lui tapotant la main avec indulgence du bout de son lorgnon, vous avez bien tort de vous tourmenter pour un tel détail. Ces Polonais sont des gens impossibles et mon pauvre Eric aurait beaucoup mieux fait de s’en tenir à un célibat qui lui convenait en tous points. À présent vous devriez abandonner cette tasse dans laquelle vous tournez votre cuillère depuis un quart d’heure. Ce breuvage doit être imbuvable !

Il l’était. Aldo se fit resservir en s’excusant avec bonne humeur de sa distraction et l’on revint aux parures égyptiennes. Lorsque l’on se quitta, les deux amis avaient reçu de la vieille dame un passeport verbal leur donnant leurs grandes entrées dans sa demeure de Portland Place.

– Ce n’est pas à dédaigner ! commenta Adalbert après avoir raccompagné les deux dames à leur voiture. On doit rencontrer plein de gens chez elle ! Ça peut toujours être intéressant... En attendant, qu’est-ce qu’on fait ce soir ?

– Ce que tu voudras. En ce qui me concerne, j’ai surtout envie de me coucher de bonne heure. Ce voyage était éreintant !

– Et puis tu n’as pas envie de bavarder mais plutôt de réfléchir, n’est-ce pas ?

– C’est un peu ça. Ce que j’ai entendu tout à l’heure n’avait rien d’agréable.

– On croirait que tu ne connais pas les femmes ! Cela dit, est-ce que ça t’ennuierait si je t’abandonnais ?

– Pas du tout ! Je me ferai probablement monter quelque chose quand j’aurai digéré le thé. Tu veux courir les filles ? ajouta-t-il avec son sourire impertinent.

– Non. Les pubs de Fleet Street[ii]. Les indigènes qu’on y rencontre sont toujours assoiffés et l’idée m’est venue que nous manquons de relations dans la presse. J’arriverai peut-être à m’y faire un ami d’enfance qui n’aura rien à me refuser en matière d’informations. Je trouve que les journaux sont un peu trop discrets ces temps derniers. Il y a les fameuses lettres anonymes touchant la vente de la Rose d’York où il y a peut-être quelque chose à glaner.

– Si tu pouvais en apprendre un peu plus sur la mort d’Eric Ferrals, ce ne serait pas mal non plus.

– Figure-toi que j’y pensais !

  Chapitre 2 Un drôle d’oiseau

Adalbert Vidal-Pellicorne serra la ceinture de son Burberry comme s’il voulait se couper en deux, releva le col, enfonça sa tête dans ses épaules et bougonna :

– Je n’aurais jamais pensé que ça coûtait si cher de devenir l’ami d’enfance d’un journaliste même quand ce n’est pas une vedette. Nous avons fait une demi-douzaine de pubs sans compter un dîner au Grenadier où il voulut absolument m’offrir – à mes frais bien sûr ! – le dîner que le duc de Wellington commandait pour ses officiers : bœuf à l’aie, pommes de terre en robe des champs avec beurre et raifort et, pour finir, une tarte aux pommes et aux mûres arrosée de crème. Sans compter des tonnes de bière. Qu’est-ce qu’il peut descendre, l’animal !

– S’il est intéressant je peux t’offrir une participation aux frais, ironisa Morosini. Ce serait justice.

– Oh, il est passionnant, à condition d’aimer Shakespeare. Il t’en sert une citation toutes les trente secondes mais on s’y fait. C’est un garçon aussi curieux que soiffard.

Les deux hommes descendaient Piccadilly en direction d’Old Bond Street où se trouvait le magasin du joaillier George Harrison. Il ne restait plus, en effet, que deux ou trois heures pour se faire présenter le diamant qui faisait couler tant d’encre : au début de l’après-midi un camion blindé gardé par une escouade de policiers devait le transférer chez Sotheby’s dans New Bond Street, c’est-à-dire quelques centaines de mètres plus loin, où il resterait jusqu’à la vente. L’événement était pour le surlendemain.

Le temps n’était guère propice à la promenade, cependant les rues connaissaient une grande animation : l’habituel crachin londonien était bien incapable de faire reculer des gens habitués depuis des siècles. Ils s’étaient munis de parapluies et les dômes de soie noire ondulaient à perte de vue comme un troupeau de moutons karakuls. Dédaignant cet accessoire qu’ils jugeaient encombrant, Aldo et son ami s’en tenaient à l’imperméable surmonté d’une casquette de bon faiseur.

– Et qu’est-ce qu’il sait, ton nouvel ami d’enfance ? demanda le premier. Au fait, comment s’appelle-t-il ?

– Bertram Cootes : il est reporter à l’Evening Mail. Évidemment il serait plutôt cantonné dans les chiens écrasés et c’est justice parce qu’il ressemble assez à un épagneul mais, fidèle à son modèle, il a de longues oreilles qui traînent partout. À dire vrai, ça a été un coup de chance de tomber sur lui.

– C’est arrivé comment ?

– Le hasard. Je buvais un verre dans un troquet de Fleet Street quand j’ai assisté à une petite explication entre le patron et Bertram. Il s’agissait, bien sûr, d’une ardoise un peu longuette et comme mon bonhomme était déjà éméché, l’explication s’emmêlait. C’est alors qu’est arrivé un troisième larron, un certain Peter dont j’ai compris assez vite qu’il travaillait lui aussi à l’Evening Mail mais dans les gros titres. Bertram, ayant encore soif, lui a demandé de lui avancer quelques pounds. L’autre a refusé sur un ton méprisant en traitant Bertram de pas grand-chose, alors celui-ci lui a dit qu’il avait tort de ne pas l’aider parce que, dans l’affaire Ferrals, il ne tarderait peut-être pas à lui damer le pion. Le Peter n’a fait que rigoler. Il a bu un coup, et dès qu’il est parti, je suis entré en scène. Je me suis présenté comme un confrère français attiré à Londres par la vente de Sotheby’s et j’ai fait comme si on s’était déjà rencontrés à Westminster, il y a quelques mois, à l’occasion du mariage de la princesse Mary avec le vicomte Lascelles. Tu penses bien que mon Bertram n’a jamais couvert, même de loin, un événement de cette importance mais il a été flatté. Là-dessus, j’ai effacé son ardoise et j’ai proposé d’aller dîner. D’où l’incursion chez Wellington... Et la suite que tu connais.

– Je ne connais rien du tout ! Ce journaliste sait-il vraiment quelque chose sur la mort de Ferrals ?

– C’est certain, mais ça n’a pas été facile de le lui faire lâcher. Même saoul comme toute la Pologne, Bertram Cootes s’est cramponné à son petit secret comme un chien à son os. Pour en venir à bout, je lui ai promis de lui refiler ce que je pourrais apprendre sur le diamant qui, bien sûr, ne le laisse pas indifférent. D’autant que les lettres anonymes continuent à pleuvoir sur son journal comme sur les autres. Seulement, cette fois, elles sont assorties de menaces : si le joyau n’est pas retiré de la vente, le sang coulera...