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– Si vous me donnez tous deux votre parole de ne jamais révéler à quiconque ce que j’ai envie de vous montrer, je crois que vous ne le regretterez pas !

– Tout n’est pas ici ? fit Aldo.

– Non. Il y a encore autre chose.

– En ce cas, vous avez ma parole !

– La mienne aussi, dit Adalbert.

– Alors, venez !

Il les entraîna vers le fond de la salle, occupé en partie et en son milieu par une vitrine dans laquelle trônait un ensemble d’armes de bronze à lames de jade. Il tendit le bras pour appuyer sur quelque chose près de la vitrine et le mur s’ouvrit, tourna sur d’invisibles gonds, entraînant avec lui le meuble qui lui était attaché.

– Permettez un instant, je vais donner de la lumière ! dit sir Desmond en tirant son briquet.

Cette fois, en effet, il ne s’agissait plus d’électricité. Adalbert et Aldo échangèrent un coup d’œil tandis que leur hôte disparaissait dans l’espace obscur. Peu à peu, les ténèbres firent place à la chaude lumière des bougies et la voix de lord Desmond se fit entendre.

– Vous pouvez entrer, dit-elle.

Ce que les deux hommes découvrirent les cloua de stupeur. Sur le seuil d’une petite pièce tendue de velours brun qui ressemblait un peu à une chapelle, deux candélabres brûlaient devant un portrait que Morosini reconnut au premier coup d’œil : c’était celui du duc de Saint Albans, ce fils bâtard du roi Charles II et de Nell Gwyn. Un portrait plus petit que celui contemplé chez la duchesse de Danvers mais combien plus intéressant : niché dans les dentelles de sa cravate brillait un gros diamant poli à l’éclat laiteux...

Au-dessous du portrait, il y avait une sorte d’autel surmonté d’un petit tabernacle dont le lord était en train d’ouvrir la porte dorée et sculptée. Et un miracle se produisit : sur un support de velours brillait la pierre reproduite sur le tableau.

– Voilà ! soupira Desmond en se laissant tomber dans un grand fauteuil de chêne placé là en vue de longues contemplations solitaires. Vous pouvez le constater à présent : ceux qui prétendaient que le diamant de Harrison était un faux avaient raison.

– La Rose d’York ! souffla Morosini envahi par une marée de soupçons. Ainsi c’est vous qui la possédiez ?

– C’est moi, affirma le lord jouissant de son triomphe avec arrogance. Et c’est moi aussi l’auteur des lettres anonymes aux journaux. Je ne pouvais supporter l’idée qu’un autre ait osé se parer des plumes du paon et afficher un faux grossier.

– Un faux grossier ? grogna Adalbert. Plus d’un expert s’y est trompé... à moins que le faux ne soit celui-ci ?

– Vous voulez rire ? J’en connais l’histoire... ou presque toute l’histoire. Je me suis acharné à la relever lorsqu’il y a une quinzaine d’années, j’ai trouvé ce portrait chez un brocanteur d’Edimbourg.

– Je croyais que vous n’étiez pas de la même famille ? dit Aldo en désignant le personnage à la flamboyante chevelure du portrait.

– Non, en effet, mais parfois je me prends à rêver sur cette similitude de noms et lorsque je viens ici méditer, je m’amuse à croire que je descends moi aussi d’amours royales, que le sang des Stuarts coule dans mes veines... et je suis heureux ! C’est une sensation... divine ! D’autant que personne ne connaît ce réduit et ce qu’il cache !

– Même votre femme ?

– Surtout pas ma femme ! Vous savez sa passion pour les joyaux anciens, célèbres de préférence. Moi je ne me suis attaché qu’à celui-ci. Vous admettrez qu’il en vaut la peine !

Sans répondre, Morosini se pencha, prit délicatement le diamant entre deux doigts et le mira à la flamme d’une bougie. Dans sa poitrine, son cœur battait à un rythme plus rapide. N’ayant jamais vu le diamant du Téméraire, même en reproduction, il éprouvait une violente excitation bien cachée sous son apparence nonchalante. Ainsi, il la touchait enfin, cette pierre maléfique dont la blancheur couvrait hypocritement des flots de sang !

– Qu’espériez-vous en écrivant ces lettres ? Que l’on renoncerait à vendre le diamant ?

– Bien sûr et j’avoue n’avoir pas compris Harrison. C’était un grand joaillier, un expert même. Comment avait-il pu se laisser abuser de la sorte ?

– Mon ami vient de vous le dire : d’autres s’y sont trompés. Lorsque ce malheureux Harrison a été tué, nous nous dirigions tous deux vers son magasin – que je connais depuis longtemps ! – pour le prier de nous montrer la Rose. J’aurais sans doute rendu le même verdict que les autres. Mais, dites-moi : il restait peu de temps avant la mise aux enchères. La vente allait avoir lieu. Qu’auriez-vous fait en ce cas ? Comptiez-vous produire ce diamant en public ou bien...

– ... ou bien ai-je trouvé plus commode de mettre fin à cette comédie en faisant voler la pierre et... assassiner Harrison par la même occasion ?

– Non. J’avoue que tout à l’heure, j’ai eu un doute mais à présent je suis certain...

– Et qu’est-ce qui vous donne cette certitude ?

– Le fait que lady Mary ignore que la Rose vous appartient...

– J’avoue ne pas comprendre ?

– C’est sans importance pour le moment. Mais vous ne m’avez pas répondu : que comptiez-vous faire si la vente avait eu lieu ?

– Rien ! J’aurais été dans la salle, bien sûr, pour voir si d’autres avaient émis des doutes car je n’ai pas écrit toutes les lettres, mais je crois que j’aurais fini par me taire... Moi, un avocat, j’aurais opté pour le silence afin de conserver intact le plaisir que je goûte ici lorsque je viens m’asseoir à cette place et que je prends la Rose entre mes mains comme vous en ce moment.

– Vous venez de nous dire que vous avez pu en retracer l’histoire à peu près complète, coupa Vidal-Pellicorne. C’est une recherche à laquelle nous nous sommes livrés aussi, le prince Morosini et moi... par simple curiosité bien sûr. Sauriez-vous nous dire si le prince Régent l’avait donnée à sa maîtresse, Mrs. Fitzherbert, ainsi qu’on nous l’a assuré ?

– C’est exact. Ce qui l’est moins, c’est le terme que vous venez d’employer : Marie Fitzherbert était bel et bien l’épouse morganatique du prince qui, de ce fait, s’est retrouvé bigame quand il a épousé cette pauvre Caroline de Brunswick. Incontestablement, il l’a beaucoup aimée et la Rose lui a été donnée, entre autres présents, au temps de leurs amours. Le fait qu’il ne la lui ait jamais reprise, même lorsqu’il s’est séparé d’elle, plaide en faveur de la constance de ses sentiments.

– En bon Anglais, vous faites la part belle à votre souverain. C’est Marie Fitzherbert qui est partie, en 1811, après avoir essuyé un camouflet. Elle a même quitté l’Angleterre sans esprit de retour. Je penserais plutôt que « Georgie » n’a pas osé lui courir après pour récupérer le diamant.

– À moins qu’il l’ait tout simplement oublié une fois en possession des autres et fabuleux joyaux de la Couronne. Voilà donc Mrs. Fitzherbert en route pour le continent. Elle emmène avec elle une petite fille à qui elle s’est attachée : Minney Seymour. C’est celle-ci qui, mariée, a rapporté la pierre dans ce pays et l’a conservée presque jusqu’à sa mort. Elle lui fut volée, en effet, lors du cambriolage de sa demeure de Brook Street. Il y a un trou dans l’histoire à ce moment-là mais j’ai su, par la suite, qu’en 1888, un rabbin du quartier de Whitechapel la possédait. Dieu sait pourquoi, elle lui était apparue comme un objet sacré et il l’avait rebaptisée « la pierre juive ». Il l’a gardée assez longtemps et c’est seulement il y a dix ans que j’ai eu vent de sa présence chez lui...

– Par qui ? demanda Aldo.

– Un homme en qui j’avais toute confiance, qui était déjà au service de mon père et qui, passionné d’antiquités, possédait un flair de chien de chasse pour déterrer des objets introuvables. Je lui dois plusieurs objets de ma collection. C’est lui qui est venu me parler un jour de la pierre juive. La description correspondait si bien à ce que nous cherchions que je lui ai ouvert un large crédit pour l’acheter. Et c’est ce qu’il a fait...