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Il choisit le lieu-dit Naumbeag, place jugée, d'après ses renseignements, « plaisante et fructifiante », fonda Salem, destinée à être le siège de la « Compagnie de la baie du Massachusetts » qu'il créa d'autorité.

Il y engloba, sans hésiter, les anciens planteurs et certains trouvèrent à occuper de hautes fonctions sous sa houlette. Mais les derniers arrivants étaient des calvinistes dont le parti, en Angleterre, réclamait la « purification » du service religieux, retombé dans les erreurs papistes.

Le renforcement de leur discipline religieuse devint donc un devoir de l'autorité civile, et, tout naturellement, les votes furent limités aux membres de l’Église, l'édification des lois qui régissent les fondations d'une société vertueuse ne pouvant être confiée à des irresponsables, à des ignorants ou à des serfs comme l'étaient les « engagés », endettés du prix de leur passage. Ces bourgeois qui avaient quitté une vie facile en Angleterre pour que ne soit pas altérée la pureté de leur doctrine, n'étaient disposés à tolérer aucun relâchement de mœurs.

Angélique l'écoutait, et une fois de plus, elle s'émerveillait qu'il connût tant de choses et sût discerner tant de nuances dans ces divers groupuscules qu'ils avaient abordés au cours de ce périple qu'elle ne s'imaginait pas, à l'avance, aussi enrichissant et varié. On allait chez les Anglais, avait-elle pensé, et c'est tout. Mais c'était bien autre chose.

Et elle avait découvert non seulement toute l'histoire agitée des aventuriers du Nouveau Monde, mais aussi tout un pan de l'existence de Joffrey de Peyrac qu'elle ignorait et qui lui avait fait apprécier plus encore l'homme qu'elle aimait : cet homme aux mille facettes, doué surtout de cette connaissance de l'humain qui, chez lui, s'ajoutait à tant d'autres dons et sciences, attirait à lui amis et alliés, tant il était passionnant à interroger et à écouter.

Joffrey lui proposa de demeurer à bord et d'y dormir, mais elle déclina l'offre. Il fallait que le navire fût prêt à appareiller, ce qui allait mettre l'équipage sur les dents dès l'aube et, d'autre part, elle ne voulait pas blesser, en dédaignant leur accueil, les hôtes qui leur avaient ouvert leur maison.

Le soleil se faisait moins ardent et il était environ quatre heures de l'après-midi, lorsqu'ils regagnèrent la terre ferme, escortés de l'habituel petit groupe de soldats espagnols qui constituait la garde personnelle du comte et qui intriguait et subjuguait tant les gens partout où ils passaient. Leur situation de mercenaires, au service d'un grand seigneur français, montrait, dès le premier abord, l'indépendance de celui-ci et qu'il ne devait sa fortune qu'à ses seuls talents, sans aucune inféodation à l'un des souverains de ce monde. Cela n'était pas pour déplaire aux New-Englanders, qui, à quelques colonies qu'ils appartinssent, étaient tous travaillés par le ver rongeur de la liberté face à la métropole, surtout depuis qu'avait été proclamé par le roi Charles II le nouvel acte de navigation ou Staple Act. Une iniquité ! affirmaient d'ailleurs avec autant de véhémence aussi bien le puritain du Massachusetts que le catholique du Maryland.

Ils étaient bien.

Quant à lui, elle sentait que de tout le jour il ne la quitterait pas des yeux. Si elle n'avait pas éprouvé tant de plaisir à sentir son attention sur elle, elle se serait reproché de lui avoir fait part d'inquiétudes bien vaines, tant, à présent, elle se sentait remise.

Malgré tout, elle se réjouissait qu'à la suite de sa défaillance, la décision fût prise de quitter au plus tôt les côtes de la Nouvelle-Angleterre et de cingler vers Gouldsboro sans autre escale.

Bien qu'il n'en parlât pas, elle était certaine qu'il avait lancé un véritable raid pour retrouver Shapleigh et qu'il s'était informé des compétences médicales à trouver, le cas échéant.

Mais Angélique ne faisait pas très grande confiance aux médecins d'où qu'ils fussent, à part les chirurgiens des navires, parfois habiles, mais malpropres. Le peuple rude de la Nouvelle-Angleterre devait se colleter avec la maladie comme avec le diable. Seul à seul.

Dès les premiers pas, ils croisèrent, par l'effet du hasard ou d'une intention calculée, le très respectable John Knox Matther qui les aborda en donnant à son austère visage une expression aussi amène que possible. Ils l'avaient aperçu, siégeant au conseil du matin, venu tout exprès de Boston pour y assister. Angélique le connaissait bien pour l'avoir reçu deux ans plus tôt à Gouldsboro, lors d'un mémorable banquet qui s'était tenu sur la plage, et où l'on avait vu trinquer, rassemblés à la même longue table sur tréteaux parée d'une nappe blanche, dans la même euphorie bien française due aux vins capiteux de cette nation, des coriaces délégués du Massachusetts et de modestes religieux franciscains en bure grise, des huguenots français et des curés bretons, des pirates des Caraïbes, de frivoles et anglicans officiers de la marine royale britannique, ainsi que des gentilshommes et des colons d'Acadie, des Écossais et même des Indiens...

Le même souvenir assez joyeux devait se tenir en veilleuse derrière la façade impassible du visage du révérend Matther, car il répondit au sourire de reconnaissance d'Angélique par une mimique qui aurait presque pu passer pour un clignement d'œil, et qui prouvait qu'il n'avait rien oublié de ces moments exceptionnels. Mais, se trouvant aujourd'hui sur son territoire professoral et pastoral, il ne pouvait se permettre d'évoquer de tels débordements qui n'étaient acceptables que parce qu'ils s'étaient produits sous l'égide française dans un endroit neutre qui échappait à tout contrôle, et pour ainsi dire, hors du temps, comme en rêve.

Il présenta son petit-fils qui l'accompagnait, un garçon de quinze ans, rigide et froid, mais dont les yeux brillaient d'un feu mystique, comme il se doit pour l'héritier d'une famille dont les chefs avaient toujours siégé au conseil des anciens de leur communauté, et dont le grand-père avait voulu choisir comme patronyme celui du réformateur écossais John Knox, ami de Calvin, qui avait donné sa forme au presbytérianisme, frère du puritanisme et du congrégationalisme.

À voir cet adolescent, on ne pouvait douter qu'il parlât et lût déjà avec aisance le grec, le latin et un peu d'hébreu, comme il se devait pour tout élève de l'université de Cambridge (Massachusetts) qu'on commençait d'appeler familièrement Harvard, du nom du mécène qui avait consacré une partie de sa fortune à l'édification, trente ans plus tôt, d'un temple de l'esprit en ce pays désolé, battu par les vents de l'océan et cerné d'affreux marécages, de forêts impénétrables et d'Indiens hostiles, mais où déjà les maisons de bois aux toits pointus commençaient de pousser comme des champignons.

John Knox Matther rappela que, présent ce matin au conseil, il avait apprécié la présence de M. de Peyrac.

– Seul un Français peut gouverner d'autres Français, dit-on. Nous sommes dépassés par la sournoiserie des complots que la Nouvelle-France trame contre nous.

Il demanda à son petit-fils de lui passer un sac dans lequel se trouvaient de nombreuses liasses de papiers dont certains étaient en rouleaux, scellés d'un cachet de cire.

– Je ne peux en parler qu'à vous, fit-il, après avoir regardé autour de lui et extrait du sac la page d'un rapport qu'il tenait comme si elle était susceptible de lui éclater à la figure, telle une charge de poudre mal allumée. Vous avez parlé le premier de jésuites et je n'ai point voulu insister sur le propos, afin de ne pas ajouter à l'affolement des esprits, mais j'ai là un dossier secret qui corrobore votre soupçon. J'en ai réuni les éléments depuis plusieurs années. L'ecclésiastique auquel nous pensons, father...