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Une lumière, douce comme du miel dans une veilleuse de verrerie teintée, éclairait l'alcôve.

Des notes de musique... C'était la pluie au-dehors, s'égouttant en bulles sonores.

Elle tourna la tête, par un infini effort, pour perdre de vue les oiseaux dont elle commençait à voir s'agiter les ailes soyeuses pour un envol, et vit les anges, cette fois seuls, assis à son chevet, qui la veillaient. Elle ne s'étonna pas. Après l'enfer, le paradis. Mais le paradis n'est pas le ciel, raisonna son esprit embrumé qui n'avait jamais aimé rester inactif et reprenait ses droits.

Le paradis est toujours terrestre. Comme l'enfer d'ailleurs. Le paradis, c'est le bonheur sur Terre par le secret transmis du bonheur infini. En regardant ces deux créatures si belles à son chevet, appuyées l'une à l'autre et mêlant leurs chevelures blondes dans un mouvement d'abandon qui rapprochait leurs têtes lassées, elle sut qu'un message lui était délivré, une infime parcelle de ce qu'elle avait cru entrevoir lorsqu'elle montait vers la lumière infinie.

À cet instant, les messagers du ciel se regardaient l'un l'autre. La clarté irradiant de leurs yeux clairs se mêlait dans une intense expression de reconnaissance éblouie et, à leurs fins profils ciselés par l'or de la lampe, et si proches, elle sut que leurs lèvres, ignorantes de la malédiction des corps, souvent se joignaient.

La lettre A sur leur sein, la lettre écarlate, rayonnait, prenait des proportions immenses et un mot s'inscrivait en rouge phosphorescent : AMOUR.

« C'est donc cela, se dit-elle, ce commandement nouveau. Je n'avais pas compris : l'amour. »

Une vérité éblouissante, jusqu'alors falsifiée, tronquée, méconnue, s'imposait, s'inscrivait en lettres de feu :

Au delà des corps

Mais, par les corps

Le sourire de Dieu.

– Elle est éveillée !

– Elle a repris conscience.

Les anges chuchotaient, toujours en anglais.

– Ma sœur bien-aimée, nous reconnais-tu ?

Elle était étonnée par ce tutoiement dont on lui avait dit, qu'en anglais, on ne l'adressait qu'à Dieu.

Ils se penchaient au-dessus d'elle et ses doigts touchaient la soie de leur longue chevelure.

Ils existaient donc. Ainsi, par eux, elle était désormais dépositaire d'un grand secret.

Ils échangèrent un regard de joie triomphante.

– Elle renaît !

– Il faut appeler l'Homme Noir.

L'Homme Noir, encore ! Allait-on retomber dans les folies ténébreuses ? Angélique en avait assez de délirer et de passer d'une transe à l'autre.

Elle se déroba, se confia au sommeil comme au sein maternel.

Cette fois, elle savait qu'il s'agissait d'un bon sommeil, un vrai sommeil humain, profond et réparateur.

*****

Un bruit de charroi lui cassait la tête. Il faudrait faire cesser le passage de ces chevaux qui, dehors, tramaient de lourds tombereaux. Elle dormait trop, trop bien, trop longtemps.

– Il faut la réveiller.

– Mon amour, il faut vous réveiller...

– Réveille-toi, petite ! Le désert est loin. Nous sommes à Salem.

Des voix l'adjuraient et la dérangeaient et lui répétaient :

 Salem, Salem, Salem. Nous sommes à Salem, en Nouvelle-Angleterre. Réveillez-vous ! »

Elle ne voulait pas les contrarier, les décevoir. Elle ouvrit les yeux et elle tressaillit car son regard, une fois habitué à la lueur blessante d'un soleil éclatant, tomba tout d'abord sur un négrillon en turban agitant un éventail puis sur la face barbue et blonde d'un géant : Colin Paturel, le roi des esclaves de Miquenez, au royaume de Marocco.

Colin ! Colin Paturel !

Elle le fixait avec tant de crainte d'être à nouveau la proie d'hallucinations, que Joffrey de Peyrac dit doucement :

– Ma mie, ne vous souvenez-vous pas que Colin nous a rejoints en Amérique et qu'il est aujourd'hui gouverneur de Gouldsboro ?

Il se tenait de l'autre côté du lit et de reconnaître son cher visage la rassura définitivement. Machinalement, elle leva les mains pour arranger son jabot de dentelles noué à la diable.

Il sourit.

Maintenant, elle voulait bien se retrouver à Salem. Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté. Ils remplissaient la chambre. Dans la lumière crue du soleil – il faisait très beau ce jour-là – elle distinguait en sus du négrillon deux chapeaux pointus puritains, un Indien à longues tresses, une ravissante petite Indienne, un soldat français en redingote bleue, Adhémar, puis de nombreuses femmes, en cottes bleues, noires, brunes, cols et coiffes blancs. Parmi elles, il y avait trois ou quatre jouvencelles, assises près de la fenêtre devant des flots d'étoffes, qui cousaient, cousaient, comme si leur participation au bal du prince charmant dépendait de leur diligence.

– Et... Honorine ? Honorine !

– Je suis là, cria une petite voix pointue.

Et la tête d'Honorine surgit au pied du lit, tel un diablotin, les cheveux ébouriffés, émergeant de la courtepointe sous laquelle elle était demeurée cachée des heures.

– Et...

Une réminiscence angoissée faisait palpiter son cœur surmené... deux roses dans un nid.

– Les... Les petits enfants ?

– Ils vont bien.

Des préoccupations de mère se mirent à trotter dans sa tête vide. Les nourrir ? Son lait ? La fièvre avait dû le tarir ou le rendre néfaste pour eux.

Devinant son tourment, tous les assistants se précipitaient pour lui expliquer, la rassurer, puis se taisaient d'un même coup, ne voulant pas l'étourdir par le chœur de leurs voix conjuguées.

Enfin, par bribes, chacun ajoutant son mot, on la mit au courant avec précaution. Oui, son lait s'était tari et il fallait s'en féliciter car, si la fièvre d'un engorgement s'ajoutait à celle qui la consumait... Oh ! Bonne Sainte Vierge !

Non, les enfants n'en pâtiraient pas. On leur avait trouvé de bonnes nourrices. L'une était la femme d'Adhémar, la solide Yolande, qui était survenue à point avec son poupard de six mois. L'autre, la bru de Shapleigh.

La bru de Shapleigh ?

On lui expliquait tout peu à peu. Il ne fallait pas qu'elle se fatigue, seulement reprendre des forces. La trame des événements se remettait en place. Elle aurait voulu savoir comment Shapleigh... Et pourquoi le négrillon ?

Mais elle était encore trop fatiguée.

– Je voudrais voir le soleil, dit-elle.

Deux bras forts, celui de Joffrey d'un côté, celui de Colin, de l'autre, l'aidèrent à se redresser sur ses oreillers et la soutinrent. On s'écarta afin qu'elle pût voir la lumière qui entrait à flots par la fenêtre grande ouverte. Et ce miroitement d'esquilles d'or au loin, c'était la mer.

Elle gardait le souvenir d'une tentation sublime qui l'avait entraînée, aspirée vers la route d'une lumière sans fin. Le souvenir, la sensation s'estompaient... Cela laissait au fond de l'âme comme une poussière de nostalgie.

En retour, pour sa vie sauvegardée parmi les êtres qu'elle chérissait et qui se pressaient autour d'elle, l'entourant de leur chaude affection, de leur amour, de leur tendresse, de leur joie de la retrouver vivante et de la voir sourire, elle connut qu'elle était la plus heureuse femme du monde.