– Le soleil te baigne et t'illumine. Il t'annonce succès et éclat, l'épanouissement en tout domaine : chance et profit. Il t'a toujours accompagnée. Il a su prendre l'aspect d'un homme.
Ce furent ensuite l'amoureux et l'empereur qui confirmaient que l'amour la comblait et la protégeait.
L'amour te protège, par des hommes très puissants... Au moins deux et il y a multiplication, beaucoup d'hommes. Signe que l'amour t'a toujours protégée et même sauvée...
Puis la lune et la roue.
– La mère : renouvellement dans l'entourage. Un nouvel enfant. Mais cela, nous le savons ! Par contre les frères et les sœurs peuvent reparaître...
Angélique eut un regard surpris pour sa pythonisse en bonnet blanc. Ruth Summers ne pouvait savoir qu'ils avaient vu Molines à New York et que celui-ci avait retrouvé les traces de Josselin de Sancé, son frère aîné. Un vieux Wallon de Staten Island l'avait accueilli à son arrivée en Amérique. Cela ne datait pas d'hier, mais Molines suivrait la piste...
Le septième arcane du milieu fut retourné : le jugement : Cette carte, ici, lui apportait l'imprévu.
Ruth ne pouvait dire si cela se situerait dans la vie conjugale ou dans les relations avec autrui.
– L'imprévu, fit-elle en rassemblant d'un geste autour de l'arcane toutes les autres cartes, c'est le sel de ta vie.
Le second septennaire, disposé à son tour en étoile, commença par la conjonction du pape et du pendu.
La voyante devint grave et songeuse.
– Voici un homme de bien, fit-elle avec une douceur presque tendre, un homme chargé de transmettre une vérité ésotérique, un religieux, puisque le pendu est à l'opposé un sage, un très grand sage.
Elle découvrit ensuite, toujours en contrepoint, la mort et l'ermite et parut bouleversée. Elle hésitait à parler et semblait vouloir refuser le verdict. Elle émit enfin avec tristesse :
– Un grave conflit a pris l'âme de cet homme brillant.
Puis elle retourna le diable et la mort et trembla.
– La magie, la magie de Satan s'est emparée de lui !
Précipitamment, comme pour chercher un recours suprême à la catastrophe qu'elle entrevoyait, elle retourna la dernière carte, au centre.
– La papesse ! s'écria-t-elle.
Et elle demeura le doigt posé sur l'image fatale, une femme assise, coiffée de la tiare pontificale.
– C'est une femme qui a provoqué la dégradation et la destruction de l'homme de bien, dit-elle encore.
Et, levant les yeux sur Angélique, elle énonça d'une voix monocorde :
– Tous deux, ils sont possédés et veulent ta perte.
Dans le silence qui suivit, Angélique essayait de ne pas laisser percevoir son émotion.
La papesse ? L'homme brillant ?
Il ne pouvait s'agir que d'Ambroisine la démone et de son complice et maître à la fois, le jésuite Sébastien d'Orgeval, celui dont, au colloque, on avait évité de prononcer le nom.
La naïve quakeresse magicienne aurait sans doute défailli d'horreur si elle avait pu voir les personnages que ses paroles faisaient émerger des limbes d'un passé qui n'était pas si lointain, car, pour elle, née d'une secte issue de la Réforme, un prêtre catholique, un jésuite, resterait toujours l'incarnation du mal.
Mais la femme mauvaise, la papesse, Angélique aurait voulu lui signaler qu'elle était morte et enterrée.
Et lui, l'homme brillant, était aujourd'hui sans pouvoir, car il avait disparu du côté des Iroquois.
Elle entendit Nômie murmurer :
– Lui aussi est dans la tombe...
– Ne parle pas quand je dispose le double sceau de David, intima Ruth.
Pourtant Angélique avait cru ressentir la pensée de Nômie, suivant la sienne et ses perplexités. Elle sut aussi qu'elle ne lui donnait pas, par ces mots prononcés, de réponse, mais seulement une indication : « Lui aussi est dans la tombe. »
Le troisième septennaire, la troisième étoile, concluait sur l'ensemble des données déjà révélées. Cela pouvait parfois résumer la « tonalité » de toute une vie, au moins un aspect très vaste et, sur plusieurs années dans l'avenir, une vision de ce qui s'accomplirait. Et ce troisième jeu s'annonçait des plus captivants, lui dirent-elles, par les significations impressionnantes des sept arcanes qui restaient à découvrir : Le libre arbitre, Le chariot, La justice, La force, La tempérance, Les étoiles, Le monde.
Dans quel ordre surgiraient-ils ?
De quelle sorte seraient leurs alliances complémentaires ?
L'un de ces arcanes symboliques pouvait se trouver absent, ayant été retiré par le sort, au début du jeu. Il serait alors remplacé par le fou, le libertin, que le « mat » mord au talon, le plus énigmatique de tous les signes dont la présence transformait le sens de toutes les combinaisons.
Or, la première carte que la main de Ruth retourna fut le chariot, et à son opposé l'étrange fou, vêtu de bleu ciel, la taille ceinte d'un lien d'or, le talon nu mordu par les dents d'un mâtin noir. Nômie eut un petit cri étouffé.
– Que signifie ? demanda Angélique, le cœur battant.
– La fuite ! La déroute : au moins, un voyage non voulu qu'il vous faut accomplir, poussée par la morsure du mâtin qui peut signifier aussi bien la pression d'un ennemi irréconciliable, que la volonté de Dieu de vous diriger de force dans votre voie.
– ... Et là où je ne veux pas aller, peut-être ! s'écria Angélique. Arrêtez, Ruth, fit-elle, catégorique, je ne veux plus rien entendre. Ni de ce chariot ni de ce voyage, de fuite ou de déroute. Je veux vivre, je veux être heureuse.
– Mais je crois que l'ensemble est plus qu'encourageant. C'est très bon, affirma Ruth, qui avait retourné promptement le reste de la sentence.
– Non ! Je ne veux rien savoir. Je veux rêver, je veux rêver que je n'ai plus d'ennemis. Il sera toujours temps pour moi, quand l'épreuve arrivera, de faire face.
– Tu es un Sagittaire, admit-elle, comme si cela expliquait la rébellion de son Héroïne.
Celle-ci refusait l'image trop nette d'un avenir dont elle ne se souciait pas vraiment, et qu'elle préférait découvrir au hasard des jours. Car Sagittaire, c'est-à-dire profondément ancrée dans le présent, et aussi, par ce signe qui dresse vers le ciel une flèche impatiente, vivement imaginative, la projection d'un futur qu'elle ne pouvait aborder en pleine conscience la démoralisait.
Aujourd'hui, elle en était à rêver de connaître enfin des jours stables et riches de bonheur quotidien entre les murs de Wapassou. Assez de fuites et de déroutes... Ruth la vit perturbée et posa avec bonté sa main sur son poignet.
– Ne te tourmente pas, ma sœur. Ce troisième septennaire nous donne seulement le sens de ton destin, et je n'y vois aucune infortune calamiteuse. Au contraire, tu restes, et tu resteras victorieuse, je peux te l'affirmer.
Elle ne niait pas l'influence démoniaque très forte, mais en ce jour où les cartes étaient tirées pour la première fois, cette influence se trouvait maîtrisée. Et, quoi qu'il arrive, la victoire lui demeurait, superbe, sereine et décisive.
– Peut-être. Mais je ne veux plus entendre parler de ce chariot.
Un léger ronflement ponctuant leur discussion leur rappela la présence de Mrs Cranmer.
– Réveille-la, Nômie.
– Non. Tandis qu'elle dort, la maison est en paix.
Elles contemplèrent leur hôtesse qui continuait de dormir comme un bébé, avec de temps à autre de discrets ronflements trahissant la profondeur de son sommeil.