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Libérés de son joug théocratique, les « étrangers » qu'ils étaient et qui l'avaient offusquée, ne se souvenaient plus que de son charme, composé de nombreuses petites voluptés, que ses habitants auraient été indignés de voir dénoncées sous ce titre.

Mais n'était-ce pas une volupté que de pouvoir, au soir, l'ancre jetée, les voiles amenées, gagner la plage d'une île pour un pique-nique qui réunissait tous les passagers pour une de ces parties de clambake si familières à tous les caboteurs de l'endroit ?

Dans un vieux baril enterré dans un trou de sable, on jetait des pierres brûlantes vite recouvertes d'algues humides qui servaient de lit aux clams et aux huîtres, puis alternaient de nouveau couches d'algues et couches de coquillages, de homards, d'épis de maïs et de pommes de terre. On assujettissait par-dessus une vieille toile à voile sur laquelle était amassé encore du sable pour laisser le tout cuire à l'étouffée pendant deux heures.

Après avoir établi trois points de cuisson, les groupes qui s'étaient formés selon la provenance des navires commençaient à se mêler. Dès le premier pique-nique, Séverine alla chercher les protestants français et ces adeptes de Jean Valdo, qu'on appelait les vaudois, qui étaient passagers du Cœur de Marie. Elle revint accompagnée de Nathanaël de Rambourg et de ses amis. En attendant le repas, chacun se visitait et ceux qui jouaient d'un instrument de musique furent vite sollicités.

Après le festin, arrosé de beurre fondu et qui se mangeait avec les doigts, il y avait des chansons et des danses.

Personne n'avait envie de retourner à bord et l'on rêvait de dormir sur la plage, sous la voûte du ciel qu'une lune qu'on ne voyait nulle part emplissait d'une clarté verte et limpide.

Angélique raconta à Ruth et Nômie comment, dans une de ces îles, une femme quakeresse était venue lui prêter son manteau.

C'était l'année où les Indiens abénakis avaient ravagé la côte, et les îles où ils faisaient pique-nique étaient alors pleines de réfugiés...

Le calme était revenu. Les villages incendiés avaient été rebâtis. Lorsqu'on regardait vers la côte, la nuit, on la découvrait peuplée par le poudroiement des lumières rousses qui tremblaient derrière les fenêtres tendues de parchemin huilé ou de peaux de daims affamés. Le nombre des ports et des criques se révélait aux feux de charbon de bois, allumés dans les braseros de fer, à l'extrémité des promontoires, ou signalant des îlots dangereux.

Élie Kempton, le colporteur du Connecticut, faisait aussi partie du voyage.

Tout d'abord Salem n'était pas une ville où il pouvait se faire apprécier et son ours encore moins. Mr Willoagby lui avait attiré des ennuis depuis que des anciens, de ces vieillards toujours verts mais qui n'ont de mémoire que pour ce qui peut mettre leur prochain dans l'embarras, s'étaient souvenus que Willoagby était le nom d'un très digne et révéré pasteur des premiers temps de la colonie et s'étaient offusqués qu'on en eût affublé un animal, fût-il le plus intelligent des ours.

Ensuite, Kempton avait de nombreuses commandes de chaussures sur mesure à livrer dans le Nord. Et non seulement à Gouldsboro et dans les différents établissements d'Acadie, mais aussi dans la capitale même de la Nouvelle-France, à Québec, en Canada, où toutes ces dames l'attendaient. Ne pouvant comme anglais et hérétique s'y rendre sans être sous la protection du comte de Peyrac, comme la première fois, il lui faudrait trouver des personnes sûres pour acheminer ses œuvres à destination, soit par la forêt, soit par le fleuve Saint-Laurent.

Qu'il était pénible à un actif colporteur de se heurter à ces barrières, dressées par la bêtise humaine entre les peuples, alors qu'il existe une si parfaite unité de réactions quand il s'agit du plaisir d'acquérir. Qui pourrait, entre deux femmes heureuses d'essayer une élégante chaussure au bout et au talon renforcés pour plus de résistance d'une petite plaque de cuivre, distinguer la Française papiste de l'Anglaise calviniste, tant leurs sourires se ressemblent ?

Dans l'idée peut-être d'entraîner les Français présents à rêver d'un possible accord entre nations ennemies et d'y encourager leur gouverneur et aussi par fierté d'un commerce qui, dans les colonies anglaises, avait pris en quelques décennies des proportions tout à fait brillantes, il se plaisait à lire solennellement la liste des marchandises qu'on y trouvait déjà, aussi bien à Salem qu'à Boston :

Couvertures faites de bonne laine de Manchester

Bouteilles, dames-jeannes

Chapeaux de paille

Dentelles des Flandres

Lampes, lanternes, trompettes

Soie et batiste

Chandeliers, cloches

Perles, ambre, ivoire, corail

Jaspe

Poupées et jouets d'enfants

Scies, haches, clous

Garnitures de cheminées, meubles (armoires, coffres)

Cuivre en feuilles et en baguettes

Briques, pièces de cheminées et de fourneaux

Défenses d'éléphant

Pelles à feu et autres

Passementeries et tissus d'or et d'argent

Vitraux de couleur

Argent et or et... dentiers

Poudre à canon

Corsets

Couleurs pour tissus

Bas

Bas de Paris

Gants de filoselle de Paris

Tabac du Brésil de St-Christophe, de Virginie, de la Barbade

Manteaux de Paris de couleur et sans couleur

Biberons de bébé

Épices

Cuivres, balances de ménage et de commerce

Velours

Tapis d'Écosse, de Chine, de Perse et de Venise

Carrelages, verre à vitres

Aiguilles, lunettes, longues-vues

Hameçons, articles de ménage

Ceintures, cols, gants

Amidon, cire

Tapisseries

Serges

Sucre

Services de table français

Draps et laines

Couteaux

Serrures

Jus de citron en dame-jeanne

Oignons