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Porgani, à Wapassou, Colin à Gouldsboro, Urville, Barrsempuy, Erikson sur les navires, etc., il les considérait tous comme des gentilshommes d'aventures et ne leur promettait rien d'autre que le sort qui s'attache à l'embrassement d'une forme d'existence dont le titre définissait les charges : soit un temps riche d'exploits, de dangers, de travaux et de trafics, d'où ils pourraient se retirer nantis d'un substantiel pécule, voire, si leur habileté et leur ténacité le méritaient, d'une fortune enviable, soit, selon les risques du métier, la mort qui ne cesserait de les guetter comme tout être humain, mais avec une plus quotidienne imminence, vu les chemins dans lesquels ils se trouveraient contraints de s'engager sous sa bannière.

Sur les navires de la flotte du comte de Peyrac, le maître et le pilote hauturier étaient toujours conviés à la table des officiers. Il estimait que l'importance de leurs rôles, dont dépendait entièrement, après Dieu, le bon succès du voyage, méritait cet honneur qui leur était pourtant refusé par un vieux code de marine sur tous les autres bâtiments de toute nationalité.

L'indépendance de Joffrey et de Wapassou lui permettait d'instituer et d'imposer ses propres lois ainsi qu'il l'avait toujours fait en Méditerranée ou aux Caraïbes et aussi lorsqu'il régnait en Aquitaine, vassal en apparence d'un jeune roi de France ombrageux qui s'en vengea.

Lord Cranmer et Joffrey de Peyrac allaient et venaient, arpentant le pont. Leurs conversations d'apparence mondaine avaient aussi leur importance et la présence de l'Anglais à bord, prévue avec intention, ôtait à ces échanges un aspect de pourparlers officiels dont les partis malintentionnés auraient pu s'emparer. À bord, on était à l'abri plus qu'à terre de l'œil des espions.

– À propos d'espions... disait lord Cranmer.

Angélique saisissait quelques bribes au passage.

– ...vous ne savez pas tout. J'ai en ma possession un document de votre jésuite qui pourrait réveiller la guerre entre nos deux nations. Et pourtant, nous sommes en paix depuis près de dix années, fait rare entre la France et l'Angleterre. Mais informons-en Mme de Peyrac. Après la vindicte déclarée et les anathèmes jetés contre elle, c'est bien le moins qu'on ne la tienne pas à l'écart des secrets diplomatiques.

– Ces jésuites, ils nous ont joué des tours pendables.

– Plus encore que vous ne pensez ! Samuel Wexter, lors de l'altercation qu'il a eue avec le père de Marville à Salem, n'a pas eu le temps de parler du plus grave : une lettre envoyée par le père d'Orgeval à un gentilhomme français qui se trouvait dans les parages du lac des Illinois tomba entre les mains des Mohicans.

– Envoyée quand et d'où ? demanda Angélique.

Cela, il ne le savait pas exactement. Plusieurs mois auparavant. Aujourd'hui, le renseignement valait pour confirmer que la lutte sournoise et implacable avait bien été menée, et que les défenses qu'ils y avaient opposées n'étaient le fruit ni de la mauvaise foi ni de l'imagination.

Le messager était un Narragansett, des tribus révoltées. On le savait en liaison avec les Français du Nord. Il portait pour le jésuite des messages dans des petites feuilles de plomb scellées, cela jusqu'à New York et en Virginie. En cas de danger, il les avalait. Les Mohicans trouvèrent la lettre dans ses entrailles. Portée à Boston, puis à Salem, on y lut :

J'ai été chargé par le roi Louis XIV de maintenir l'état de guerre avec l'Angleterre par le truchement des attaques indiennes...

Sébastien d'Orgeval.

Samuel Wexter n'avait eu ni le temps ni la force de brandir un si terrible document.

La reprise des raids franco-indiens à l'ouest avait suscité des inquiétudes de voir reprendre ces guerres sans fin, si funestes au commerce. Plus que jamais, on espérait en la diplomatie du gentilhomme français et en son influence sur les gens de Québec pour venir à bout de ces crises qui prenaient les Français de Canada comme des convulsions du haut-mal sans qu'aucune tension entre les royaumes de France et d'Angleterre ne justifie ces actes sanglants qui finiraient par jeter les souverains des deux nations dans de plus graves conflits.

Par bonheur, les deux rois actuels, Charles II et Louis XIV, étaient cousins germains, par la sœur de Louis XIII qui avait épousé Charles Ier d'Angleterre, le roi à la tête coupée. Les relations entre les deux cours étaient bonnes, presque familiales.

Parfois, Colin Paturel partageait leurs entretiens.

Lord Cranmer parlait avec humour des questions de religion qui, par la passion qu'elles avaient inspirée aux hommes de ce temps, avaient fait couler beaucoup de sang, et en feraient couler beaucoup encore et par la faute desquelles le gouverneur des colonies anglaises d'Amérique, anglican, devait résider à la Jamaïque, ses administrés des États continentaux ne pouvant souffrir, chacun pour une raison différente, puritanisme, luthérianisme, catholicisme, et l'on ne sait quoi encore, les représentants de la religion officielle de l'Angleterre, leur patrie.

– Mon oncle, l'archevêque de Canterbury, dont je porte le nom, peut être considéré comme le premier évêque anglican puisqu'il édifia, dès les premières heures de la Réforme, pour son prince Henri VIII, « cette Église catholique sans pape » que le roi exigeait. Mais, sous la réaction calviniste et déjà puritaine, il dut renvoyer l'Allemande dont il avait fait sa femme. Puis, sous Marie Tudor la catholique, on l'arrêta et on lui coupa la tête.

L'époux de Mrs Cranmer reconnaissait volontiers que les colons anglais, bien qu'ils lui fissent tête de bois lorsqu'il se présentait chez eux, étaient les plus actifs sujets de Sa Majesté, mais aussi, de quelque obédience religieuse qu'ils fussent, il leur manquait une certaine disposition naturelle pour s'adapter au Nouveau Monde. À l'encontre de l'Écossais, de l'Irlandais, même du Hollandais et surtout du Français, l'Anglais colonial et le puritain n'avaient pas su s'attacher l'indigène. Ils le méprisaient et le pourchassaient. C'était un instinct profond, où l'horreur de la paresse, de l'indolence, de la sensualité, de l'inculture et du paganisme dressait une barrière infranchissable entre eux et ces « serpents rouges » se glissant, silencieux, invisibles, entre les arbres de leur forêt impénétrable dans les profondeurs de laquelle ne pouvaient se perpétrer que les pires abominations. Ça ne s'arrangerait pas, ça ne s'arrangerait jamais et ça ne ferait qu'empirer.

Pour quelques pères pèlerins, pleins de douceur et d'illusions qui avaient partagé avec les Indiens aussi démunis qu'eux la dinde aux myrtilles du Thanksgiving, pour un John Éliot, anglican, qui avait été évangéliser les Wapanoags, pour un généreux Roger Williams, citoyen de Salem, qui, banni par ses intolérants coreligionnaires pour ses « opinions nouvelles et dangereuses », dut s'enfuir dans une tempête de neige et chercher refuge chez un Indien de ses amis parmi lesquels il hiverna avant d'aller plus au sud fonder à Rhode Island, dans la baie de Narragansett, la plantation de Providence où toutes les opinions religieuses étaient admises, pour ces quelques fous désireux d'appliquer les principes charitables de leur foi chrétienne et de vivre dans la liberté de conscience qu'ils étaient venus chercher jusque-là, demeuraient une bonne centaine de mille de croyants, que révulsait et effrayait la présence de l'Indien, et qu'ils préféraient oublier, sauf quand elle se rappelait à eux de sanglante façon. Car ils étaient vraiment pacifistes, ces pieux Anglais. Ils étaient venus sans aucune idée d'oppression sur l'indigène, ni de pillage. Tout ce qu'ils demandaient c'était de ne pas voir les païens qui rôdaient sur la Terre que le Seigneur leur avait accordée et de pouvoir y prier en paix selon leurs lois.