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– Comment osez-vous le laisser avec son crâne chauve alors que vous savez bien que les Iroquois n'aiment pas les chauves et qu'ils leur cassent la tête quand ils les voient. J'ai pensé que c'étaient mes cheveux qu'il lui fallait car il est le « comte roux ». Mon père l'a dit. Il doit donc avoir des cheveux roux comme les miens.

Les grandes personnes ne sont pas rapides à saisir des évidences. Voici qu'au lieu de la féliciter, on tentait de lui expliquer qu'il fallait attendre que Raimon-Roger ait ses cheveux à lui. Les cheveux ne peuvent pas être collés. Ils doivent appartenir à la personne elle-même...

– Ce n'est pas vrai. J'ai bien vu que M. de Ville-d'Avray portait des cheveux qu'il enlevait et qu'il mettait sur un champignon le soir, et M. de Frontenac, et tous, et même M. le gouverneur Paturel quand il reçoit l'amiral anglais !

– Mais ce sont des perruques !

– Eh bien ! Je lui fais une perruque. Pourquoi attendre qu'Outtaké vienne lui briser le crâne ?

Devant le silence qui accueillait ses paroles, et les rires étouffés qui rusaient, le découragement la saisit, puis la colère.

Elle dégringola de son tabouret en criant :

– Vous faites peser sur moi une intolérable servitude.

Là, ce devait être une citation d'un roman de chevalerie. Angélique la rattrapa. Honorine sanglotait.

– Je fais ce que je peux pour te prouver... que je les aime... et ça... ça ne te plaît pas... ça ne réussit pas...

Angélique fit de son mieux pour calmer son désespoir. Honorine avait eu de bonnes intentions. Elle avait fabriqué une colle de poisson remarquable, c'était dommage pour ses cheveux à elle, mais ils repousseraient, ce n'était pas la première fois, on s'habituait ; Raimondeau, quand il serait grand, serait très touché d'apprendre ce que sa grande sœur avait fait pour lui. Voici qu'Angélique venait d'avoir une idée : grâce à l'initiative d'Honorine, elle allait fabriquer une pommade pour en frotter le petit crâne de Raimondeau afin que ses cheveux poussent plus vite...

Et... Eh bien, oui, avec les cheveux sacrifiés d'Honorine, on allait essayer de lui fabriquer une petite perruque en attendant.

Ils y venaient donc à son idée !... Alors pourquoi l'avoir grondée ? Pourquoi s'être moqué d'elle ?

Après avoir nettoyé les enfants, les jeunes femmes et jeunes filles, Yolande, Elvire, Ève, les berceuses, filles de la sage-femme irlandaise, pleines de remords, vinrent la chercher pour l'emmener se promener et faire une grande partie de traîne indienne.

Au retour, l'enfant était rassérénée. Le cours des journées reprit sans heurts...

*****

Ses frères l'appelaient « Honn' ! », Florimond quelquefois, mais Cantor toujours, le début de son nom, en le faisant sonner longuement, comme une conque marine, ou une trompe antique. Ils prétendaient qu'elle ne répondait que lorsqu'on l'appelait ainsi...

– Mais ce n'est pas un nom prononçable, un nom des Écritures, protestait Elvire.

C'était au temps du premier Wapassou. Elvire était attachée à Honorine et devait surveiller la petite qui ne tenait pas en place et n'était généralement guère loin, mais introuvable.

Souvent, la pauvre Elvire faisait appel à Cantor qui détestait rechercher sa demi-sœur, mais, peut-être pour cela même, savait où elle se trouvait.

– Honorine ! Ho-no-ri-ne ! continuait de s'égosiller la jeune boulangère de La Rochelle, dont la voix devenait stridente et affolée. Silence.

– Cantor ! Can-to-or, criait-elle alors.

Cantor apparaissait, assez vite, en bougonnant.

– J' suis pas une nourrice, moi.

– C'est votre sœur. Elle court toujours je ne sais où dans ce pays terrifiant où derrière chaque arbre il y a un Indien qui vous guette avec son couteau à scalper.

– Ta-ta-ta. Les Indiens, c'est pas des gens méchants, si on ne les craint pas. C'est plutôt elle, Honn'-la-flamme, qui leur ferait peur avec sa chevelure comme du feu : jamais ils ne la toucheront, sa chevelure. Ils auraient peur de se brûler. Allez ! Vous vous faites des idées idiotes !

– S'il n'y avait que les Indiens, se lamentait Elvire, mais il y a des ours, des tigres...

– Peuh ! fit Cantor, de simples lynx, tout au plus. Le lynx chasse la nuit, nous sommes en plein jour. Vous voyez que vous vous faites des idées...

– J'ai tellement peur, confessait Elvire. Je n'ose même pas accrocher le linge dehors. Dame Angélique me recommande de l'étendre loin de la maison pour qu'il prenne bien du soleil et du vent. Mais, dès que je suis loin de la maison, je sens mes cheveux qui bougent comme si on me scalpait.

– Si vous continuez à mijoter toutes ces stupidités, cela vous arrivera. Les idées peuvent provoquer les actes et même des Indiens qui n'y penseraient pas peuvent se sentir obligés de vous scalper.

Elvire poussa un cri d'épouvanté.

– Elle ne vous répondra pas, ricanait Cantor feignant de croire qu'elle avait voulu appeler Honorine, Honn'. Vous ne savez pas vous y prendre. Honn', ce n'est pas « Oû-oû-oû » comme un loup enrhumé...

Honorine pouffait sous ses couvertures.

– Honn', continuait-il, ce n'est pas un cri, c'est un son, vous comprenez ? Un son qu'on n'a pas besoin de crier, parce que de lui-même il va loin.

Sur ce, il élevait sa main qui tenait un insecte et le déposait sur le dos de son autre main.

– Seigneur ! Un scorpion !

– Ne criez pas, disait une fois de plus Cantor en rattrapant l'insecte. Heureusement, les insectes n'entendent pas la voix humaine. Mais par votre peur vous arriveriez à l'affoler et à l'obliger de me mordre alors qu'il n'en avait pas du tout envie. Je parie que lorsque vous étiez à La Rochelle, tous les chiens cherchaient à vous mordre, ou même vous ont mordue parfois, chère Elvire !

– Comment le savez-vous ? s'émerveilla l'innocente jeune femme. Il est vrai que votre père est un tel savant ! Vous devez avoir hérité de lui.

– J'essaie. Mais j'ai encore beaucoup à apprendre. Ce que je sais, c'est que mon père vous recommanderait de ne pas vous affoler à tout bout de champ, sinon, même les chiens indiens, qui sont très pacifiques, vous mordront aussi.

– J'essaierai, promit Elvire, mais où chercher Honorine ?

– Justement, au lieu de tous ces discours pour expliquer que vous êtes paralysée par la peur, vous devriez vous calmer, et alors vous sauriez, comme moi, qu'elle est là-bas derrière cet arbre pourri. Elle cherche à attraper un écureuil dans son trou. Elle en a donc pour des heures et ne risque pas de faire des bêtises.

– Ah ! fit Elvire incrédule en regardant dans cette direction et ne voyant rien qui bougeait sur les frondaisons rouge et or de l'été indien. Comment pouvez-vous le savoir puisque je vous ai vu arriver de l'autre côté de la forêt ?

– Mon esprit peut se promener de son côté, pendant que je suis occupé à autre chose. Je le savais, sans le savoir.

– Mais elle n'est peut-être pas là. Honn ! essayait de crier la jeune femme, comme le lui avait dit Cantor.

– Pas ainsi.

Le garçon mettait ses deux mains en cornet autour de ses lèvres et lançait sans effort :

– Hhhonn'...

Honorine surgissait comme attirée par un aimant de derrière une vieille souche.

– Tu m'empêches d'attraper l'écureuil, Cantor ! Qu'y a-t-il ?

– Viens ! Je vais te montrer un scorpion et tu pourras le caresser !

– Ne faites pas cela ! suppliait Elvire...

Honorine rabattait son drap au-dessus de sa tête afin de pouvoir rire à son aise au défilé de ses souvenirs.

Chapitre 33

« Elle est partie ! »

Angélique se dressa brusquement, renversant presque l'encrier.