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Le reste, joue, tempe, chevelure, était dans l'ombre, mais là où se croisaient la ligne du cou et l'angle du visage, à la pointe de l'oreille, la longue boucle d'oreille de diamant posait comme une étoile scintillante dont l'éclat pur fascinait.

Elle pensait à ce père de Marville qu'ils avaient vu à Salem, l'œil brûlant et vindicatif, et qui avait dit :

« J'emporte ses dernières volontés, ses dernières revendications, ses dernières adjurations. J'emporte son message et vous y êtes condamnée, madame. »

– Jusqu'à la mort, murmura-t-elle, jusqu'au bord du supplice, il m'a accusée. Ne trouvez-vous pas qu'il y a, dans un tel acharnement à poursuivre et à calomnier une personne qu'il n'avait jamais vue, quelque chose qui ne s'explique pas ?

– Ou qui s'explique trop bien ! Au cas où le R.P. d'Orgeval aurait su, de source sûre, tout de vos actes et aurait estimé de son devoir de me les dévoiler et d'en demander justice.

– Ce sont les visions dues à son don de voyance que vous baptisez sources sûres, monsieur le lieutenant de police ? ironisa-t-elle.

– Certes non !

Il prit une cassette sur la table et, après l'avoir présentée de loin à Angélique qui dédaigna d'y porter attention, l'enferma dans un petit secrétaire dont il tourna et retira la clé.

– Ces lettres, dont les copies m'ont été communiquées par le R.P. Duval, ce n'est pas d'elles que je ferais état devant un tribunal séculier, moins encore sur elles que je baserais les pièces d'accusation d'un dossier, c'est évident.

– Mais c'est sur elles que vous fondez vos convictions ?

– Oui.

Elle continua de regarder par la fenêtre.

Au fond, elle ne lui en voulait pas. Il constatait qu'elle mentait. Et que pouvait-elle faire d'autre que de lui mentir ? Il savait qu'elle mentait. Pouvait-elle le blâmer d'être un excellent policier ?

Une fois de plus, elle se trouvait en porte à faux, mise en accusation par des êtres dont, dans le fond, elle était proche. Car ils n'étaient pas ennemis. Le mal ne venait ni des uns ni des autres. Ils se ressemblaient, ils avaient le même désir de justice, de voir triompher le bien, le message de paix de Dieu, au moins celui du Christ, et pourtant, en face d'eux, elle, Angélique, représentait on ne sait quel danger. Elle leur apparaissait comme la coupable et en fait, pour Garreau, elle l'était si l'on posait comme postulat qu'une personne qu'il convoquait devant lui pour savoir la vérité et qui lui mentait était coupable.

– Quel dommage ! murmura-t-elle.

– Que voulez-vous dire ?

– Je me réjouissais de revoir mes quelques amis de Québec. Je savais que la brièveté de notre voyage et les activités de la saison ne nous permettraient que de rapides retrouvailles, mais il ne me serait pas venu à l'idée que vous ne vous préoccuperiez de me voir que pour me mettre encore en accusation. Vous ne pouvez pas ne pas être au courant de l'aide que mon mari est en train de donner à M. de Frontenac sur le Saguenay. J'ai dû me séparer de lui, continuer seule mon voyage pour aller confier l'éducation de notre fille à Mlle Bourgeoys. Je suis seule, attristée, inquiète et voilà l'appui et l'amitié que je trouve près de vous ?

Elle s'aperçut qu'il serrait les poings et paraissait trembler d'une rage impuissante.

– Lors de mon premier passage vers Montréal, je me suis informée de vous, monsieur Garreau, et l'on m'a dit que vous étiez aux champs.

– Mais... j'étais aux champs ! s'écria-t-il d'un ton presque désespéré. Dans ma seigneurie. Il a fallu que mon greffier vienne me relancer jusque-là avec un courrier si pressant et si menaçant que venait d'apporter un navire de France, que je suis revenu aussitôt dans la crainte de vous manquer.

– Qui peut vous presser ainsi pour une affaire de si peu d'importance ? D'où émanent ce courrier, ces menaces ?

Il eut un geste d'exaspération qui dispersa les papiers, rouleaux et dossiers qui encombraient sa table.

– Des services de M. Colbert comme toujours, mais cela recouvre tant et tant de ramifications, d'intrigues et de trafics d'influences qu'on ne peut plus jamais savoir quelle est la véritable instance qui se trouve derrière les ordres dont ils vous bombardent...

– Une chose est certaine, monsieur d'Entremont. Le roi nous garde son amitié. Nous en avons maintes preuves. Si M. Colbert se trouve lui-même derrière ces demandes outrancières et ridicules, il a agi sans en discuter avec Sa Majesté, et je doute fort que ce ministre, qui est pondéré et ne se mêle guère de superfluités de ce genre, soit au courant.

– Je ne sais qui « ils » ont dans leurs manches.

– Ce ne serait pas raisonnable de penser que les seules déclarations du père de Marville, qui ne nous aime pas et cherchera peut-être à monter les esprits dévots contre nous, suffiraient. Les jésuites sont des gens sérieux. Je doute qu'ils fassent désormais pression contre nous auprès de Sa Majesté.

Le lieutenant de police paraissait tourmenté.

– Certes, la mort et le martyre du père d'Orgeval accréditent d'autant plus la valeur de ses derniers écrits, de ses derniers anathèmes. Ce n'est pas seulement pour vous être désagréable que je ne vous cède rien de ce que l'on m'a communiqué, mais, pour que prévenue, vous puissiez vous mettre en garde.

« Voilà, pensa-t-il, que je perds complètement la tête. Je la préviens, je me fais complice, alors que je sais pertinemment qu'elle me ment avec impudence, que c'est elle qui a tué Varange et que toute cette bande, y compris Carlon et Ville-d'Avray, me cache sur La licorne et sur cette Mme de Maudribourg je ne sais quelle histoire sinistre où je trouverai certainement assez de cadavres pour arrêter tout le monde. »

Malgré cela, il continuait.

– Vous vous imaginez, et à raison, que l'opinion vous est favorable en Nouvelle-France. Mais elle peut connaître un revirement. Des langues peuvent se délier qui se taisaient pour vous complaire. Votre grâce et vos générosités vous ont acquis, parmi nous, beaucoup d'amis. Mais le monde est oublieux ! Or, vous n'êtes pas que vertueuse ! Et je ne crois pas à votre innocence.

– Vous l'avez déjà dit.

– Mais je le répète. Je ne crois pas à votre innocence.

– Je vous entends bien, monsieur le lieutenant de police, et je ne vous en veux pas.

Et soudain, elle lui dédia un sourire si plein de douceur et d'amitié qu'il en fut déconcerté.

Il se leva et se mit à marcher de long en large pour calmer sa tension intérieure.

– Écoutez-moi, je suis dans une situation impossible et que je déplore vis-à-vis de vous et de M. de Peyrac. Je vous en prie, madame, essayez de m'établir cette liste de jeunes femmes, qu'on puisse savoir ce qu'elles sont devenues, en regard de celles que l'on déclare comme s'étant embarquées de France. C'est une formalité. Cela n'engage à rien et me permettra de gagner du temps et de chercher qui s'intéresse avec une hargne inexplicable à cette affaire de remboursement de fonds. Peut-être, en effet, y a-t-il derrière cela une intrigue montée par d'habiles escrocs ? Certaines personnes, pour soutenir leur train à la cour, font flèche de tout bois et vont jusqu'à soudoyer des clercs ou des préposés de ministères pour être au courant de litiges en attente dont ils pourraient s'emparer.

– C'est bien, fit-elle résignée, si vous me le demandez en cette forme, je vous cède, je m'incline, et je vais essayer de faire de mon mieux. Donnez-moi ces liasses. Je crois savoir vers qui me tourner pour m'aider à remplir certains vides de votre questionnaire concernant le naufrage de La licorne et l'établissement des filles du roy. Mais je ne vous promets rien de plus.