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En fin de liste, Delphine se nomma, ajouta en moulant les lettres avec amour, les noms, titres et qualité de son époux.

– Pas d'enfants..., soupira-t-elle.

Elle était la seule parmi ses compagnes mariées qui ne tînt encore un poupon dans les bras.

– En êtes-vous très affectée ? demanda Angélique.

– Certes ! Et surtout Gildas, mon mari.

Angélique remit à plus tard de s'entretenir avec elle de ce sujet.

Delphine écrivait les noms des onze absentes et le fit avec une douleur contenue. Elle tremblait presque.

– Marie-Jeanne Delille, morte, fit-elle en s'arrêtant sur ce nom.

Et devant l'expression interrogative d'Angélique, elle précisa :

– Celle qu'on appelait Marie-la-douce.

– Le grand amour de Barssempuy.

– Elle aurait pu l'épouser. Elle était demoiselle, comme moi, orpheline, mais de bonne famille bourgeoise. Elle a peut-être des oncles, des tantes, des frères et sœurs qui veulent s'informer de son sort. Que vais-je écrire ?

– Morte d'accident durant une escale. Cela gagnera du temps. Je doute fort que quelqu'un se préoccupe d'elle plus avant. Mais on pourra toujours indiquer l'emplacement de sa tombe, à Tidmagouche. Je vois là Julienne Denis, épouse d'Aristide Beaumarchand.

Elles eurent toutes deux un même sourire mi-indulgent, mi-découragé.

– Inscrivons Aristide comme aide-apothicaire de l'Hôtel-Dieu de Québec. Cela paraîtra respectable. Mais il faut que je revienne, en pensée, au moment où nous avons quitté Gouldsboro au cours de cet été funeste. Nous étions bien vingt-sept alors, excepté Julienne qui épousait ce Beaumarchand. À Port-Royal, trois de nos compagnes ont réussi à se cacher chez Mme de la Roche-Posay au moment du départ avec l'Anglais qui nous avait fait prisonnières. Elles s'étaient mis en tête de retourner à Gouldsboro où elles avaient des promis. Elles en avaient parlé avant avec M. le gouverneur qui les avait assurées qu'il les ferait chercher à Port-Royal si elles pouvaient nous fausser compagnie. Mme de Maudribourg, étant aux mains des Anglais, n'a pu les faire chercher comme elle le voulait. Elle était furieuse et nous avons toutes bien pâti de son humeur.

– Finalement, elles sont restées à Port-Royal et sont actuellement aux mines de Beaubassin, renseigna Angélique. Germaine Maillotin, Louise Perrier, Antoinette Trouchu. Je peux vous donner les noms de leurs époux. Par contre, nous en avons trois autres à Gouldsboro, mais d'où sortent-elles, celles-là ?

– Nous y venons.

Delphine se leva pour aller allumer une chandelle. Elle avait les tempes moites. L'effort de mémoire, ajouté au désagrément d'évoquer ces jours pénibles, les mettaient en nage.

– L'une d'entre nous est morte pendant ce voyage vers Boston et je vois son nom ici : Aline Charmette. Des fièvres ou du mal de mer, je ne sais plus. Ou bien c'était à la Hève où le commandant Phips nous avait débarquées. Non, c'était sur le navire. Je me souviens maintenant. Cet affreux Anglais a fait jeter son corps à la mer.

– Sept.

– M. de Peyrac nous ayant secourues à la Hève, nous a ensuite conduites jusqu'à Tidmagouche. Je ne parlerai pas de Marie-la-douce qui a été tuée là-bas, puisque nous l'avons comptée. Mais il y a eu, avant notre départ pour le Saint-Laurent, cette décision que vous avez prise pour trois de nos compagnes, de les autoriser de revenir à Gouldsboro.

– J'avoue que je ne me souviens pas, reconnut Angélique.

Ce temps de Tidmagouche, après les drames qui venaient de s'y dérouler, lui laissait une impression confuse. En se recueillant, elle commença à se rappeler qu'on avait en effet discuté de ce projet.

– Elles regrettaient tellement de n'avoir pu se cacher, elles aussi, chez Mme de la Roche-Posay, insista Delphine, M. de Peyrac leur a donné l'autorisation de retourner là-bas avec Le sans-peur sous la protection de M. et Mme Malaprade qui avaient amené Honorine. Il leur a confié une lettre pour M. Paturel à leur sujet. Je sais qu'il lui mandait de s'occuper de leurs mariages et de leur bailler effets et dot, car elles étaient dépourvues de tout. Nous avions perdu nos cassettes du roi dans le naufrage de La licorne. Nous étions sans dot.

Elle soupira.

– Combien j'ai regretté Gouldsboro... C'est un lieu qui était un peu effrayant au début avec ces hérétiques et ces pirates, mais vite, on se laissait séduire par la chaleur du cœur qui régnait. M. le gouverneur Paturel est si bon. Il a été un père pour nous.

– Oui, oui ! dit Angélique qui se souvint que Delphine, à ce que prétendait Henriette, avait éprouvé pour Colin Paturel un tendre sentiment.

Elle ne voulait pas la laisser s'exalter.

– En voici donc trois autres que nous savons mariées. Celle-ci, Marie-Paule Navarin, n'est-ce pas, est restée sur la côte est, un Acadien, un des fils de Marcelline-la-Belle ayant demandé sa main ?

On commençait d'y voir clair et le chef de la police pourrait se montrer satisfait

– Avez-vous compté Pétronille Damourt, votre duègne, dans ce nombre de vingt-sept que vous m'avez donné au début ? demanda Angélique.

– Non. Je parlais seulement de notre groupe de jeunes filles et femmes envoyées par M. Colbert pour les célibataires de Canada.

– Alors, il me semble que, même si nous inscrivions parmi elles Julienne, qui voyagea de son côté, cela ne fait que dix pour les onze, mortes ou vivantes, qui n'ont pas été recensées à Québec. Il en manque une.

– Oui ! Il manque Henriette Maillotin, émit Delphine d'une voix blanche.

– Mais ne m'avez-vous pas dit qu'elle était retournée en France avec Mme de Baumont ?

– Je vous ai parlé d'Henriette Goubay, que vous connaissez, et non d'Henriette Maillotin, la sœur de Germaine... Et celle-ci... je ne sais pas ce qu'elle est devenue.

Chapitre 43

Il y avait donc deux Henriette.

Angélique le vérifia d'un coup d'œil et comprit pourquoi elle avait pu à la fois rassurer et induire en erreur la petite Germaine de Port-Royal.

– Mais alors, qu'est devenue l'autre Henriette, la sœur de Germaine Maillotin ?

Delphine lui jeta un regard où, l'espace d'un éclair, brilla l'expression de panique qui avait été la sienne si longtemps.

– Je vous l'ai dit, je l'ignore. Tout ce que je sais, c'est qu'elle était encore avec nous à Tidmagouche. Je peux d'autant mieux m'en souvenir que nous nous sommes querellées au moment de ces affreux événements. Elle était attaché à Mme de Maudribourg et ne pouvait supporter qu'on la condamne, ni admettre que notre bienfaitrice avait elle-même avoué ses crimes en se jetant sur le corps de son frère Zalil. Elle disait que la duchesse était victime d'un complot, qu'on l'avait rendue folle par malveillance. Elle-même était comme folle et j'ai dû l'entraîner de force pour la mettre à l'abri dans le fort au moment où les Indiens sont arrivés. Mais n'étions-nous pas tous à demi fous à ce moment-là ?

– En ensuite ?

– Je me suis aperçue qu'elle n'était pas avec notre groupe pour Québec alors que nous étions déjà en mer et voguions à travers le golfe Saint-Laurent.

– Pourquoi ne m'en avez-vous point parlé alors ?

Delphine passa la main sur son front.

– Je ne sais plus. Nous étions tellement ébranlées... J'ai dû penser qu'elle était repartie elle aussi avec les Malaprade pour Gouldsboro... Et ensuite, ma foi, l'occasion ne s'est plus présentée. À Québec, on nous a recensées comme étant seize filles du roy et déjà ce nombre leur semblait lourd. Pour ma part, je m'efforçais le plus possible d'oublier toutes ces horreurs.

Elle contempla rêveusement les pages couvertes d'écriture serrée, au jargon administratif.